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"erm rm T. oo SUUM χε MESS SR FEE M INNO CT uM
"ice : ue
VOYAGE
D'ITALIE, DE DALMATIE,
D E
GRECE ; ET DV LEVANT,
Fait ἐς années 1675.@ 1676. par lACOB
SPON Doiteur Medecin Agercgé à
Lyon , & GEORGE VVHELER
Gentilhomme Azalos,
OM E:-.L
| k-*L ONCE NS
Chez Antoine Crerrzrrzn le fils,
rue Merciere, à la Conftance. |
E Aa DU LXNFITL.
AVEC PAIVILEGE DV.ROX.
"b UMP
*
ad v di Wi.
"die? a 4
ἐξ i , diti MCN
jah EAM
AU. TRES-REVEREND PIRE
- LE REVEREND PERE
DE LA CHAIZE,
CONSEILLER DV ROY
& fon Confelleur ordinaire.
2ON REVEREND PERE,
za
Ced
Comme ceft feulement l'a-
mour de l'Antiquité, qui m'a fait
entreprendre le “voyage d Itaüte
€ de Grece : auffs ay-je cri ne-
ceffaire aprés mon retour.de con-
| facrer mes remarques à une per-
à fonne éclairée dans cette. anti-
»
adu
ἜΡΙΝ
quite, tel que j'ay l'avantage,
MoN REVEREND PERE, de
vous (ΟἼΟΥ depurs plufieurs
années y car apres les recherches
que vous avez, faites l'incli-
pation que vous avez. témoignée
pour les bijoux antiques , il n'y a
perfonne qui n accepte V. R. pour
un jufle arbitre en cette matiere,
€? qui ue sen tiene à [a de-
ciffon. C'eft ce qui m'a fait pren-
dre la liberté de vous prefenter
, ce que je fum alle deterrer de
plus curieux dans la Grece , e
[^w [eg umets entierement à y0-
^ fre cenfure, cfperant que vous le
recevrez. favorablement, de mé-
ene que vous mo faiffex la gra-
ce de me permettre à Lyon de
m
ΠΡ, 4 ARMES:
| vous aborder toutes les fois que
| je fas quelque decouverte —
a antiquité ; C me flattant de
lus, que comme vous aurez la
bonté d'excufer les fautes qui [8
feront gliffées dans cet Ouvrage,
“vous appuyerez.auffi de vôtre
proteétion: les veritez que 1 y au-
ray mi[es au jour. Souffrez donc
de grace, M.R.P. que je vous
cofdere plutôt comme un curieux
ΤΠ ἦγε , que comme une perfonne
vevétue du charactere éleve.dont
le plus fage de tous les Rois a re-
comun “uûtre probité € cotre
suerite,co* dot l'amour que vous
avez eu depuis lons-tems pour les
Cefars eo les Heros de l'Antiqui-
. 26, femble avoir élé un heureux
4 3
EPITRE
Augure, comme autrefoss l'iucli-
nation du jeune Achille pour les
armes fut un prefage de fes gran-
des afdions. Infeélé que je fuis de
l'air de la Province € de la pou[-
frere du Cabinet.ce feret mal fai-
ve (za Cour decvous aller impor-
tuner ju[fqu au milieu du Louvre,
€? interrompre des occupations
auffi ferieufes e auff importan-
tes que les cuûtres. Il efl curay
qu encore que je ne puif]e penfer
à V.R. fans penfer en méme
tems à citte place qu'elle occupe
avec tant d'applandiffement , je
ne defefpere pas neanmoins, que
mes Obférvations vous pulfent
étre utiles à cét égard : car il
v'eft rien de ft jufle, mi mème de
/
CO. CURA x
EPA TRIE
ff necelfaire que de donner dans
les grands attachemens quelque
relâche à l'efprit ; e» j'ofe fon-
tenir quil gy en 4 point de plus
noble ni de plus azreable, que
celuy qui nous eff procuré par
la con; deratiom des Monnmens
antiques , € particulierement
des Medailles c? des Marbres;
qui feront d'égale durée avec le.
monde. Ce ne peut-être, dis-je,
Mon REVEREND PERE,
qu'un divertiffement digne d'une
ame héroïque eo d'une e perf 0n-
me» qui eff iuce[]amment prés
d'un grand Monarque, d'avoir
tous les jours entre les mains
des marques empreintes far le
bronze € fur la pierre, de la
à 4
EPITRT.
rvertu des anciens Heros. - On y
«void la pompe de leurs triom-
phes ; leur clemence envers les
peuples fouss » les particuliers
recompenfez, de leur foin € de
leur affcétiom pour le public. On
yremarague la liberalité des Sou-
cverains , «9 la reconnoiflance
des fujets. Nerva qu donne du
bled à toute la populace , Trajan
qui diffribué des Couronnes à di-
cvers concurrens , «o Hadrian
qui fait du bien à toute la terre.
On y obfirve enfin tout ce que
la cvertu morale &> les bonnes.
loix avoient infhiré de grand
e de jufle à l'ancienne Rome.
Les Marbres à la cverité ne peu-
vent pas facilement être tranf"
-
EPA TRY
| portes. pour orner les Cabinets
- des curieux. On fe contente des
| Copies qi en ont ete faites fur les
origimatx. . Ceft , M. R:P. ce
que vay ou de plas en cote dans
mon voyage de Grece, € ce qui.
ne seff pas fait Jens peine eg*
fins rifque y parma des peuples
grofféers 7 ignorans : mais je
me tiendray tres - avautagenfe-.
ment payé des peines que cette
paffou zm 4 causées 5 (1. je puis
par la contribuer à L aflortiment
de cos curiofitez. , em joignant
à vos Medailles les Infc craptioms
des marores qué | 4) rapportéess
de mème qu Aticus revenant de
Grece apporta une. Hermathene
. pour fervir d'ornement à la Bi-
à 5
EPITRE
bliotheque de Cicerou. 16. pour-
roii dire à Votre Reverence, que
ceft là ma pafhorädominante » ff
elle n'étoit [urmontée par une
autre bien plus forte , qui eft de
faire connoître à tout le monde.
les fentimens de cveneration que.
j 4y tohjours eus pour vôtre me-
rite fiugulier ; «?* le zle refhc-
Elueux avec lequel je feray toute
MA CIE ;
MON REVEREND PERE,
De Votre Reverence ,
à Lyon, ce 15.Novemb.
. 1677-
Le tres-humble , & tres-
obeiffant ferviteur ,
lacos Srom
-—
e
Li
4.
x3 HE LR OPER) EA ER DEA Pap ME
ἘΞ ceca
1
EOPRELPACE.
ASE ST une chofe ordinaire,
pin que ceux. qui font des rela-
7 "sions de Voyage, traitent leur
fujet felon leur Genie. Les uns ne
parlent que de Palais, d'Eglifes ὃς
de places publiques. Les autres
n’entretiennent leurs Lecteurs que
du plan des Villes, de leur Peuple,
de leurs Fortifications & de leur Po-
lice. Il y en a de plus fpeculatifs ,
qui s'attachent à décrire la Religion,
les Mœurs & les Coütumes des
Pays , où ils n'ont fait que paffer.
Quelques autres nous font la defcri-
puon des Plantes , des Mineraux, &
du Negoce des lieux qu'ils ont fre-
quentez. J'avoue qu'un Voyageur
devroit fcavoir répondre à tout ce
qu'on peut s'informer de luy aprés
fon retour ; mais c'eft une chofe à
fouhaiter , plutôt quà efperer , à
PREF AC E.
moins que de trouver un homme
fort univerfel , qui eût beaucoup de
fanté , de rentes & de loifir en fes
Voyages. Pour moy , je n'ay pas à
la verité negligé toutes ces particu-
laritez , loríque je les ay pû appren-
dre avec facilité & avec peu de frais:
mais il ne fera pas mal-aifé de voir,
quand je n’en ferois pas un aveu
fincere , que mes plus grandes re-
cherches ont eu pour but la con-
noiffance des Monumens antiques
des pays que j'ay vûs danc ce Voya-
ge , & que Ç’a été là ma plus forte
inclination. Je ne me fuis jamais
fort empreffé d'affifter aux plus cele-
bres ceremonies de Rome, aux Con-
certs ni aux Opera d'Italie. : mais
comme j'avois entrepris & aflez
avancé avant que partir, un ouvrage
des Infcriptions antiques pour fervir
de fupplément à celles de Gruterus,
je paflay à Rome les jours & les
mois entiers à ne faire prefqu'autre
chofe que confiderer les ftatues , les
bas reliefs & les mazures , & à co-
pier toutes. les Infcriptions non feu-
PREFACE.
lement qui ne fe trouvent pas dans
Gruterus , mais aufli une grande
partie de celles qui y font déja;pour
examiner fi elles:y éroient exacte-
ment rapportées : de forte qu'a-
prés y avoir demeuré cinq mois de
fuite & recueilli par le moyen de
diverfes perfonnes intelligentes ,
toutes celles qui faifoient à mon fu-
jet ; du Royaume de Naples &
d'autres lieux d'Italie où je n'avois
pas deffein de me tranfporter, je
m'en trouvay chargé de plus de
deux mille inconnues à cét Auteur,
dont il y en a nombre de tres-con-
fiderables : & meditant là deffus la
belle recolte que j'en pourrois faire
dans la Grece , où les Voyageurs
n'ont fait jufqu'à prefent qu'efileu-
rer cette curiofité , il me prit une
forte envie d’aller faire du moins
une promenade jufqu’à Athenes ,
qui a été autrefois dans la Grece,
ce que Rome fut dans l'Italie.Peut-
être n'aurois-je pas executé mom
deffein , fi je n'euffe trouvé trois
G:ntilshommes Auglois qui s'offzi-
PREFACE.
rent d'étre de la partie, & de parta-
ger avec moy les rifques du trajet :
mais comme la paflion de voyager
croit en marchant , nous n'eümes |
pas plutôt apperceu les cótes de la
Grece , que nous dimes entre nous
qu'il n'étoit pas jufte de la quitter
fans voir Conftantinople , qui y
tient prefentement le premier τη σὲ;
& à peine eûmes- nous fejourné
dans cette Ville-là un mois entier,
que nous voyans fi voifins de l'A-
fie mineure , nous nous crumes
obligez de luy donner une de nos
vifites avant nótre retour. Dans
toute cette route jay trouvé de-
quoy fatisfaire amplement ma cu-
riofité , en ayant rapporté un grand
nombre d'infcriptions Grecques
qui n'avoient point encore và le
jour. J'en donne icy les plus cu-
rieufes, & qui fervent à la Geogra-
phie : mais comme cela n'eft pas du
goût de tout le monde , je les ay
renvoyées à la fin du difcours, qui
en fera moins interrompu. Je les
produis le plus exactement & Le
PREFACE.
plus fidelement qu'il eft poffible :
toute l'infidelité que j'y puis avoir
commife , eft de n'avoir pas toû-
jours pà faire entrer lesinícriptions
felon la difpofition & le nombre
des lignes qui font aux originaux ,
ayant été borné par la petiteffe du
volume , ce qui fe pourra reparer
dans une edition Latine en plus
grande forme , fi celle-cy eft bien
receüe. Une autre infidelité donc
on pourroit m'accufer ; quoy qu'el-
le foit avantageufe aux Lecteurs ,
eft que dans ces infcriptions Gre-
ques je fepare les mots qui doivent
être feparez , quoy qu'à la verité il
n'y ait la plus grande partie du
tems aucune diftin&ion fur les pier-
res & les marbres d’où je les ay ti-
rées , foit-par la faute des Scul-
pteurs , ou par des raifons qui nous
font inconnués. Ce qui fait une
telle confufion , & donne tant de
peine à les dechiffrer, qu'à caufe de
cela dans le Livre intitulé Æ/#r#0-
ra Oxonienfia , pour foulager le Le-
éteur, on les a mifes premieremeng
PREFACE..
felen l'original , & enfuite en peti-
te lettre avec les mots diftinguez &
marquez des accens. Aü fonds je
n'ay pas crû que ce fcrupule fuft de
fi grande importance , que ccla me
düt obliger d'en ufer de la forte.
Pour ce qui eft de toute la relation
de ce Voyage , je ne crains pas
qu'on m'accufe d'être menreur s
comme laplüpart de ceux qui vien-
nent dé loin, n'y ayant pas dit
des chofes fort difficiles à croire,
& la maniere fimple fans politeffe
dont je les debire,ne les fera jamais
paller pour des Romans; outre que
Jay eu pour compagnon de mon
Voyage , un Gentilhomme d'hon-
neur Ánglois, qui n'a pas moins de.
fincerité , & qui feroit connoître
au public mon peu de foy , fi j'en
avois manqué , ayant eu d'auff
boiis:yeux que moy. Je croy qu'il
&'eft. pas neceffaire. de juftifier icy
Putilité que l'on peut tirer des In-
fcriptions»antiques ; puis qu'on la
trouvera affez établie ,. par la fuite
de-ces Obfervations ; je prétens
PREFACE.
méme qu'elles font d'une neceffité
indifpenfable à ceux qui fe veulent
ingerer d'écrire des Antiquitez de
quelque lieu : car qui peut par
exemple dire,de qui étoit ce Monu-
ment antique qui eft fur le Mulée à
Athenes, s'il ne confulte l'infcri-
prion qui s'y lit encore;ce que pou-
voit étre ce Fanari tou Dimofthe-
nis , fi l'on ne prend la peine de li-
re ce qui eft gravé fur la frife. Je
n'aurois point de méme été affuré
que Salona fut la Ville d'Amphi(-
fa , Caftri celle de Delphes , Hak-
hiffas celle de Thyatire, Melaffo
celle de Mylafa & non pas de Mi-
let , fans le fecours des marbres an-
tiques que j'y ay trouvez. Je n'in-
fifte pas davantage là deffus , parce
que celuy qui voudroit niet opinià-
trement une chofe fi evidente , ne
merite pas qu'on prenne la peine de
l'en convaincre , & je ne luy vou-
drois oppofer que les premieres li-
nes de la Preface de Gruterus, oà
il dit que les Infcriptions ont été
de teut tems en fi grande cftime ,
PREFACE.
qu'on a toüjours crû à jufte titre,
que celuy qui n'avoit pas de la ve-
neration pour elles ne meritoit pas
le nom de Sçavant , & que celuy
qui les méprifoit meritoit celuy d'i-.
enorant. Comme je ne penfe pas
que cét Autheur ait eu par ces pa-
roles le deffein de s’attirer un Elo-
ge à lui-même, je ne pretens pas
auffi tirer vanité des recueils que
jen ay faits. Je m'y fuis appliqué
plutôt par caprice & pour mon di-
vertiffement, que pour devenir fça-
vant. Bien loin de pretendre à cet-
te qualité , je me contenterois d'é-
tre de ces gens-là que Scaliger ap-
pelle les porte-faix des grans hom-
mes , en leur fourniffant par leurs
fatigues de quoy exercer leurs fpe-
culations,& enrichir leurs connoif-
fances : auffi n'ay- je ajoûté d'expli-
cation à mes marbres , qu'autant
qu'il étoit neceffaire pour en don-
ner quelque intelligence à ceux qui
ont un peu de curiofité, mais que le
travail & la meditation rebutrent,
lors qu'il fe prefente quelque dif-
culté dans leur chemin.
PREFACE.
Quelqu'un fera furpris de ce que
je cite à la pag.201. du Tome II. un
fymbole de S. Iean, à S.Gregoire
Evéque de Neocefarée,qui n'a vécu
neanmoins que long -tems aprés
luy , à fçavoir dans le troifiéme fie-
dle : mais il faut que les premiers
Copiftes qui l'ont ajoüté aux Ocu-
vres de S.Denys Areopagite , ayent
cru ou que S.Iean ne foit point morr,
comme quelques-uns des anciens fe
le font perfuadez , ou que ce Sym-
bole αἷς été diété à S.Gregoire;lors
que S.Iean l’Evangelifte luy appa-
füt : car du refte on ne peut pas en-
tendre par ces mots de 5. Ieanle
Theologien & l'Evangelifte;S.Iean
Chryfoftome , qui ne vivoit qu'au
quatriéme fiecle. Voicy les ter-
mes Grecs du titre de ce Symbole.
Θεολογία τῷ ἀγίς l'edvys T8 Θεολόγε xj
᾿ἐναγγιλιςᾷ, mpès τὸν ἅγιον T piryóexey one
σκοπὸν Νεοχωσαρίας τὸν Θαρυματες yy,
----Ο
Fautes ἃ corriger.
Tom. L
p^ 2. ligne 23. Aux Corde-
liers, lifez, aux Iacopins.
Pag.140. lign.16. lifez , Ville avec
Château. |
P.143.1.19. lif. s’accommodent,
P.210. au titre, lif. l'Archipel.
P.2:1.12. lif. couverts.
P.240.l.18. lif.de fes fix vingt.
P.304.1.9. à Smyrne.
Pag.311.1 26. hfoùil y en a qui fe
vendent.
Pag.512.lign.r. dix-huit livres &
demy.
P.326.l.15. Ce font ces trois.
Pag.366.l.10. plufieurs autres oy-
feaux, Ajoutez , à force de man-
- ger.
P.394.1.15. Il en avoit écrit trois
mille. Lifez , il en avoit acheté
trente mille. ,
Tom. Il.
| pe s Lar. lifexcellente & fort frai-
| che. |
P.126.1.5. lif.de fi.
P.179.1.19. appelloient.
τ ὦ TET
Tnfcriptions du Tome ‘I.
Pas.o.lis.s. lifez, de la curiofité.
P.28.1.14. dum quarit.
P.108.1.8. lifez, MAPKOTY.
P.175.1.23. au lieu de Caracalle,lif,
Gordian.
_ P.179.1.21. de Laodicée.
P.197.1.23. medailles, lifez,medail-
. lons,
P.199.1.8. lifez , πλανχισυ͵
Infériprions du Tome I I.
D.53.l.1.& 2. CMYPNAN, les deux
lignes jointes.
D.34.l.11. lifez, par la.
—— ].16.au lieu de ç2.lif.32,
|. P.36.1.22. Ef. Chalcidicus.
P.58.1.16.lif. KIA IKIA.
P.45.l.:5. lif A bYAH NOT,
P.53.112. lif. AYKOY PT OZ.
P.142.1.20. liL XXV,
D. 172.l.10. lif. CVIILH.
P.179.1.4. Iupiter Apemien.
P.194.1.10. ayant eu le foin.
Wesen
EXTRAIT DF PRIFILEGE
du Roy.
pe Ar Lettres Patentes de la
S127 Chancellerie du 28.May 1677
fellées du grand Sceau en cire jaune,
& fignées, Par le Roy en fon Con-
fil; DALENCE : Il eft per-
mis au fieur IAcoB-Spow de faire
imprimer un Livre intitulé , ojage
d'Italie, de Dalmatie , de Grece οὖ:
du Levant , fait és années 1675. &
1676. par Iacob Spon Docteur en
Medecine Ageregé à Lyon , &
Gcorge Vvheler Gentilhomme An-
glois ; en tel volume & chara&ere,
& autant de fois que bon luy fem-
- blera , pendant le temps de dix an-
nées entieres & confecutives, à
compter du jour qu'il fera achevé
d'imprimer pour la premiere fois:
avec deffenfes à tout autre de le
faire imprimer ni diftribuer fans
{on confentement , ni d'en faire
des extraits ou abregez fous peine
de trois mille livres d'amende , &
confifcation d'Exemplaires contre-
faits : A condition d'en mettre
.deux exemplaires dans la Biblio-
à; theque publique du Roy , une en
celle du Louvre, & une en celle du
fieur DAL 1G Rn E Chevalier Chance-
lier de France ; comme il eft plus
amplement porté par ledit Privi-
lege.
Ledit fieur Spon a cedé fon Pri-
vilege à fieur Antoine Cellier fils
Marchand Libraire à Lyon , par le
Contract entr'eux fait le quator-
ziéme Avril mil fix cent foixante
dix-fept , receu par M^ Perrichon
Notaire Royal audit Lyon.
b.
Regiffre [ur le Livre de la Com-
munauté des Libraires © Impri-
meurs de Paris, le 4.Oëtob.1677.
Signé,
CourrzRor Syndic.
Achevé d'imprimer pour la premiere fois
le 15.Novemb.1677.
Les Exemplaires ent été fourms.
Se ΝΑ ΜᾺ ΔΑ δ ang A St
de De l'Imprimerie 58
ὃς de 3: |
lAQUESs FAETON
μὰς
jam 30857 i yy 3
i esr xv ui in MS I sius. br
"ebus i AS τὰς A. #2 yos τὰ die Ps! res iN
di ds. PME $: TT x* blur Md ses
em w-— + - : - - . Ν - + v.
E. :
Antiqui adsiduws Meruit qui dicier dur.
Cultor, Sepe Manu Marmora. prisca. terens|}
Moribus Antiquis S'PONIVS, priscoá pudore,
Quem. tabula expresfit parvulae, paré liber:
— ——— —ÓM
fe ὡς ΤΑΣ ἧ € δε 4 = =
VOY D'ITALIE,
DE DALMATIE,DE GRECE
& du Levant,
LIVRE PREMIER.
Voyage de Provence, & d Italie
327€ V commencement d'Oc-
MA tobre 1674. Monfieur
ENS Vaillant Antiquaire du
EG) Roy pafla à Lyon, dans
1777" le deffein d'aller en Italie
avec des ordres de Monfieur Col-
bert, pour enrichir le Cabinet de fa
Majefté, de medailles & d'autres An-
tiquitez qu'il pourroit recouvrer en
Íon voyage. Comme j'avois l'hon-
neur de le connoitre , je luy fis con-
fidence du deffein que j'avois de fai-
rc le méme voyage ; & m'ayant té-
VALEN:
CE,
' dans tous les Itineraires 5 ὃς qui vou
'donneroit peu de fatisfa&ion. 1
'và de plus remarquable, & que d
“os au Cabiner du Roy ; & l'on
%
2 Voyage de Provence,
moigné que ma compagnie ne Idy fe-1
roit pas defagreable , je luy donna
parole de l'aller joindre à Marfeill
pour nous éiibarquet enfemble,qael-]-
ques affaires domeftiques m'obli
geant de pafferà Creft en Dauphiné
qui eft hors de la route de Provence
Pour ne le pas faire attendre, je par-
tis avant luy de Lyon, & me rendis
Valence, fans m'arréter ni à Vienne
ni à Tournon , oü je n'avois rien
faire.
Ie vous avertiray d'abord , que j
n'entreprens pas de faire une deferi
pron exacte des Villes & des autre
lieux de ma route ; ce qui fe trouv
vous diray feulement ce que j'y a
moins curieux que moy ne fe fon
‘peut-être pas donné la peine d'écrit
^fi exactement. Ie vids donc aux Cor
deliers de ‘Valence le portrait -d't
"fquelete de Geant trouvé prés de là.
de l'autre côté du Rhône dans le Vi
varets. On en a tranfporté quelqué
e d'Italie. 3
“montre au Convent de S.Rufs quel-
ques autres, qui font d'une grandeur
prodigieufe. Vn Chanoine me fit
voir une dent deux fois plus épaiffe
.que le poûce, & il pretendoit qu'elle
- fuft de Geant: mais j'ofe affurer que
- €'eft une dent d'Elefant, parce qu'cl-
le fe leve en écailles. On eft encore
plus infatué de ces os de Geans à
Soyons & à Charmes. Ce font deux
. villages proche de Valence au delà
' du Rhône , & j'y fus pour voir quel-
!ques antiquitez dont l'on m'avoit
; parlé. On m'y montra de ces grands
os, & dans la campagne des pierres à
| peu prés comme des pierres de mou-
- lin troüées au milieu , dont les fem-
mes de ces Geans, à ce que difent les
“bonnes gens de ce pays-là , fe fer-
"voient pour mettre au bout de leur
nfufeau. Proche de Charmes je fus à
Ja cime d’une petite montagne ; pour
y voir un tombeau antique;dont per-
#fonne, à ce qu'on me dit alors,n’avoit
encore pü lire l'infcription. Le peu-
…ple entêté d'une devotion indifcrete
να fouvent vifiter ce fepulcre,preten-
* dant qu'il eft de quelque Saint incon-
À 2
-
4 7γαρε de Proven ; ——
nu. Ie ne pus neanmoins y obferv er
aucune marque du Chriftianifme ,
comme étoient les croix , les figures |
de la Bible, ou l’Alpha & l'Omega.
De dix vers qui y font gravez je n’en
pus lire que deux entiers , qui me
femblent plutôt être des produétions
d'un fiecle Payen ; & le temps qui
confume toutes chofes, a effacé de la.
pierre le nom de celuy qui y étoit
enfeveli.
Eftant de retour à Valence on crutf
m'obliger beaucoup de me faire voit
un tombeau qu'on pretend étre de
l'Imperatrice Iuftine , parce qu'on y
lit deffus, D. 1vsriN A M. ce que
Golniz dans fon Itineraire explique
tres-mal Diva Iuflina Mater , au lieu
de Diis Manibus Inflina : cax la pre-
miete & la derniere lettre vont en
femble , étant d'un charactere plu
eros que le mot du milieu. C'eft-à-
dire , que l'on recommandoit au
Dieux Manes ou Infernaux cette Iu-
ftine, pour qui étoit fait ce tombeau.
Si vous me demandez pourquoy on
n'y avoit mis que fon nom , fans au-
cun titre, ni aucun cloge; je vous ré
& d'Italie. $
| pondray qué ce n'étoit qu'une petite
fille, de qui il n'y avoit rien à dire, &
dont les parens n'étoient pas confi-
“derables, Ce que je n'avance pas fans
raifon , puifque le tombeau eft petit,
δὲ n'a aucun ornement,bien loin d’é-
tre d'une femme d'Empereur , qu'on
in’auroit pas enfevelie fi pauvrement,
quand même le tombeau auroit été
raffez grand. Joint que Iuftine étant
une Imperatrice Chrétienne,les Dieux
Manes ne convenoient pas à fon tom-
beau.
.. On me fit voir à côté de la porte
S.Felix , une tour ronde qui avance
"beaucoup plus en haut qu'en bas , de
Worte qu'étant au pied, vous étes à
couvert de la muraille.Quelques-uns
«royent que c'eft un chef-d'œuvre:
d'Architecture , comme la tour pan-
chante de Pife & celle de Bologne,
"avec lefquelles elle n'eft pas à com-
arer , ni pour la grandeur > ni pour
la fabrique.Mais le peuple;à qui d'or-
dinaire tout ce qui eft difficile à pe-
netrer , paffe pour miracle, dit que
cette tour s'eft courbée de la forte,
lorfque S,Felix & deux autres Mar
r A 3
€REST
6 Voyage de Provence,
tyrs entrerent dans la Ville, comme
pour fe profterner devant eux. Va-
lence au refte n’a pas pris fon nom de
l'Empereur Valentinian;comme quel-
ques-uns ont avancé ; car Ptolomée
qui vivoit du temps de Trajan &
d'Hadrian, en fait déja mention foûs .
le nom de Valentia Colenia ; & jay:
fait imprimer une belle infcription:
trouvée depuis peu à Die , ὃς gravé&
du temps de l'Empereur Philippe, où:
elle eft ainfi nommée.
CREST n'eft qu'une petite Ville:
à quatre lieucs de Valence, & n'étoit
dans fes commencemens qu'un Chá-. E
teau fur la Drome des: Comtes: de
Diois & Valentinois. Il: eft: fouvent.
parlé de la. Tour: de-Creft: dans.les-
demélez qu'ils avoient avec les. Dau--
fins de Viennois; Ly trouvay aux
murs dela: Cathedrale: une infcri-.
ption de l'année 1188: oùil.eft faite
mention d'un de ces: anciens Comtes: #
appellé Aymar de Poitiers, Ademarus: ἢ
de Piélawss,& une autre un peu moins.
ancienne d'un certain Pierre Evéque:
de Die. Dans laipremiere de cesin--
feriptions. cette Ville eft appellée
D [
e? d'Italie. 7
1€rifa , & dans la derniere C vefium :
“mais dans les reconnoiffances de
(τῇ manufcrites , clle. eft nommée
Criffa Arnaudi , de quelque Seigneur
qui portoicle nom d'Arnaud. Auffi
eft-elle fituée à l’extremité d'une cré-
τε de montagne, qui ne fait qu'une
chaine depuis Grenoble. jufques à
| Creft. Ie m'étonnay de voir fur la
bporte de la Ville , les armes.du Prin-
“ce de Monaco ; mais ma furprife cef-
Ma,quand on m'eut dit que le Roy luy.
"avoit donné les revenus de Creft,Va-
Mence, Chabueil , Grane & Monteli-
mar. Ce fut par cette derniere Ville
E. je repris la route de Marfeille.
MONTELIMAR eft appellé A4oz-
tilium. dans une infcripuon de l'an
1198. laquelle π᾿ εἴ autre chofe qu'u-
me exemption de droits & impofts
"accordée par deux Seigneurs , qui en
'avoient alors la Souveraineté, ἃς qui
"s'appelloient Gerald Aymar & Lam-
bert. Le premier. étoit, Vicomte de
Maxfeille . ἃς l'on trouve à Aix en,
Provence une charte écrite en l'an
1213. contenant promefle de maria-
'ge entre Edcliarde fa fille;& Bertrand.
; ΑΝ
—
᾿
i
MONTE.
LIMAR,
On AN-
ΘΕ.
8 Voyagc de Provence,
de Baux fieur de Meirargues. Mon-
telimar a. une fortereffe prefque ne-
oligée , & qui étoit peut-être alors
“une des plus confiderables places de
ces petits Seigneurs. De Montelimar
je vins à Orange.
Cette Ville a des antiquitez bien
remarquables , entre lefquelles il y a
un Arc de triomphe , qui merite d'é-
tre confideré. Les Trophées qu'on y
void gravez feront des monumens
eternels de la vi&oire de Marius &
de Catulus fur les Cimbres , dont il
en demeura deux cent mille fur la —
place, ὃς quatre-vingt mille prifon- -
niers , felon qu'Eutrope en convient. ἡ.
Il n'y a point à Rome d'arc de triom-
phe de cette grandeur, ni méme fi fu-
perbe ; car on void dans celui-cy un
nombre de Roys captifs , & des ar-
mes de differentes Nations entaffées
les unes fur les autres. Peut-être qu'à
Rome on craignoit d'en faire de fi
hauts, pour ne pas donner lieu au, .
murmure du peuple & à l'envie des
Grans. Quoy qu'il en foit , ceux de
Tite , de Trajan & de Gallien ne ré-
pondent pas aux viétoires du pre-
ERR TA
4
j
i
> =
εὖ" 4 Italie. 9
mier , aux conquêtes du fecond , & ἃ
l'orgueil du dernier. Les noms de ces
. deux Confuls paroiffent encore à de-
my dans une pierre de cet Arc. On y
remarque d'un cóté Rome triomfan-
te , ayant la téte entourée de rayons,
pour fignifier par là que Rome com-
_ mandoit par tout où le Soleil éclaire.
Dans un autre coin de l’arcon void
la figure de Marthe la Pythonefle te-
nant le doigt à l'oreille, Marius la
menoit avec grand honneur dans
- fes armées , pour luy predire le fuc-
. cés de fes entreprifes. Il y a δῇ! à
Oránge un Cirque fort grand, & un
pavé à la Mofaique dans une cham-
bre baffle d'un particulier , où eft re-
prefenté fort au naturel un chat qui
tient un rat entre fes dens ; ce qui
fans doute avoit fon myftere en ce
temps-là.
Aprés avoir quitté Orange, je paf-
fay la petite riviere de Sorgue , qui
n'eít confiderable que par le fejour
qu'a fait dans ion voifinage le fa-
meux Petrarque. Il y compofa ces
beaux Vers qui ont fait l'admiration
τάς fon fiecle ; & l’on dit en effet
À 3j
AIX.
yo Voyage de Provence,
qu'elle a vers fa fource des endroits
merveilleux pour les enthouziafmes
des Poëtes. Comme je ne pretens
point à cette qualité; je ne m'y arré-
tay pas , & pourfuivant ma route , je
vins par Cavaillon, Tort, Lambefc &
S.Canal à Aix ville capitale de Pro-
vence.
A 1X étoit appellée anciennement
Aqua Sextia , parce qu'il y avoit des
eaux chaudes , que Strabon aflure
avoir été prefque changées en froides
de fon temps. Elles font pourtant en-
core tiedes , quoy qu'on les neglige,
& qu’elles ne fervent qu'aux Teintu= f
tiers , dans le quartier defquels on
me les fit remarquer. Vn Seigneur
Romain nommé Sextius y avoit
mené une Colonie , & c'eft ce qui
luy a donné fon fecend nom. Cet-
te Ville eft une des mieux bâties de
France , & les maifons du Cours
font autant de Palais , dont l'Archi-
te&ure eft beaucoup mieux entendué
que celle du Cours de Marfeille, qui
toutefois donne plus dans la vüc que
celui-cy.
Le Cabinet de Monfeux Lauthier
€ d'Italie. II
fait un des ornemens de la Ville. On
y, void de petits ouvrages , excellens.
& admirables des anciens Graveurs.
fur des pierres precieufes; entr’autres
une Bacchanale gravée dans un bel
Eliotrope en ovale de la grandeur
d'une piece de quinze fols. C'eft un
joyau qui ne fe peut pas payer. Vne
vandange gravée dans, une excellen-
te Corniole,qui n’eft pas plus grande
que l'ongle , quoy qu'il y ait quinze
perfonnages . & trente-cinq figures
d'inftrumens , vafes & autres chofes
differentes. Vne téte de Marcellus
fur une Cornaline , & une de Solon
- fur une Amethyfte gravée par Diof-
coride le meilleur Ouvrier qu'Augu-
fte avoit à fes gages. En un mot c’eft
un recueil furprenant d'Agathes,d'O-
nyces,de Cornioles,de ΤΣ Sar-
doines & de Jacinthes gravées en
creux & en relief par les plus habiles
maîtres de l'Antiquité. Il y a auff
-. des coquillages , des vafes, des me-
dailles , des ftatués » ὃς pluficurs au-
tres galanteries qui réjouiffent la γᾶς
& l'efprit.
Monfieur Borelly 4 des sableaux,
12 — Voyage de Provence,
des chofes naturelles , des medailles
d'or & des infcriptions antiques. τ
conferve le fquelete d'un Cyclope.
Ce n'étoit pas un de ceux qui man-
gerent autrefois les compagnons
d'Vlyffe, à qui il eut l'audace de cre-
ver l’œil avec une longue poutreal-
lumée , comme lui-mème le recite
dans Homere. Celui-cy n'étoit qu'un
enfant , né avec un œil feulement au |
milieu du front, comme l'Antiquité a
accoütumé de reprefenter ces Mon-
' ftres.
Toutes ces curiofitez ne m'aue
roient pas neantmoins tant retenu ἃς
Aix,fans les manufcripts de Monfieur
de Peiresk , que j'avois grande envie
de feuilleter. Cét homme infatiga-
ble en avoit laiffé prés de cent Volu-
mes, ou de fa main, ou de celle de fes
Secretaires. Vne partie eft entre les
mains de fon heritier. Monfieur Si-
bon en a dix chez luy. C’eft un tres-
galant homme , qui a auffi un Cabi-
net rempli d'une infinité de chofes
rares, comme gravures, medailles, &
autres pieces antiques. Vn de ces
manufcrits traite des poids ὃς des me-
[
Ἢ
4
€
| e d'iralie. "
fures des Anciens. Vn autre n'eft que
de Genealogies. ju y en a deux qui ne
traitent que des Langues Orientales,
|" & deux autres que d'Infcriptions an-
tiques,ce qui étoit demon σοῦτ & qui
me convenoit mieux que le refte.
Monfieur Sibon me permit d'en tirer
ce que je voudrois. ly en trouvay
plus de trois cent qui n'ont pas été
| imprimées , & entr'autres une tres-
curieufe , dont je me fouviens d'a-
voir và depuis quelques fragmens en
“Italie. Elle me femble fi particuliere,
que je crois vous en devoir dire quel-
que chofe, C'eft une Infcription;qui
contient beaucoup de noms de che-
vaux,& le nombre des vi&oires qu'ils
avoient remportées. Vous verrez fi
ces noms avoient du rapport à ceux
que nos Ecuyers donnent à prefent à
leurs chevaux. Voicy les principaux
qui fe peuvent traduire en Frangois.
Le Pegafe, le Coureur, le Paffereau,
le Loup , le Gay, le Mouchete , l'Ai-
cle, le Meurtrier, l'Emeraude, le De-
licar,le Grave, le Satyre, le Leopard,
le Raviffeur,le Dedale,l’Archer,FAr-
balète, le Dard, le Ramier, l'Eercvit-
14 Voyage de Provence,
fe, l’Araignée, l'Exa& , le Poignard,,
le Romain , l'Aiax,le Franc, l'Inno-.
cent, le Vainqueur, le Barbu, le Ru-
fé, l'Argus ὃς l’Arion. Pour ce qui.
eft de leur pays , la plüpart étoient,
Africains , ce qui nous apprend que.
ce n'eft pas depuis peu qu'on fait
eftime des Barbes. Les autres étoient.
d'Efpagne, de Mauritanie , de Cyre- |
ne & des Gaules. Mais à propos de
chevaux , je ne püs point apprendre,
qu'étoit devenu l'Epitaphe de Bory+
fthene Coureur de l'Empereur Ha+ :
drian. Elle avoit été trouvée à Nice,
& portée à Aix , chez M.de Pciresx.
Comme les Epitaphes des bétes font
fort extraordinaires , elles doivent
auffi avoir quelque cara&tere de poli-
teffe, qui les faffe confiderer. On en
lit une à Genes au Palais du Prince
Doria , faiteà un de fes Chiens , &
qui eft d'affez bonne maniere : maig
je n'ay rien và de fi galant que celle
d'un Roffignol , gravée fur une Vrne
antique de marbre qui fe void à Ro-
me àu Palais du Cardinal de Ma-
mis.
Lefcjour que je fis à Aix me fug
d'Italie. I$
|. plus favorable que je n'aurois penfé,
- ayant été caufe que je n'arrivay pas
à tems à Marfeille;pour m'embarquer
avec M. Vaillant , dans le malheur
duquel j'aurois été envelopé : puis
qu'étant parti dans une Barque Li-
vournoife , il fut pris par les Corfai-
res avec une vintaine de Frangois,qui
alloient à Rome voir l'ouverture du
Jubilé, Bien que je m'engage dans
une affez longue digreflion , je croy
qu'elle ne vous déplaira pas, & que
vous ferez bien aife d'apprendre une
avanture que fes circonftances ren-
dent finguliere, & que lui-méme m'a
_ apprife depuis fon retour.
Comme le Corfaire éroit d'Alger;
' quia paix avec nous, nos François fe
flatterent qu'on les mettroit à terre,
. comme il s'étoit pratiqué en d'autres
rencontres : mais le Reis ou Capitai-
ne appellé Mezomorto,s'en excufa fur
_ce qu'il étoit trop loin de France &
d'Italie , & qu'il n'aveit pas plus de
provifion qu'il luy en falloit pour fon
retour à Alger , promettant de les
mettre entre les mains de leur Con-
ful à fon arrivée, On fe contenta de
16 Voyage de Provence,
leur faire configner l'argent qu'ils
avolent , & de les fouiller en leur di-
fant: Bona pace , Francefi , (ans leur
parler d'efclavage. Mais dés qu'ils
furent entrez à Alger , tout changea
de face. Le Day, c'eft-à-dire , le
Roy du Pays , prit fon huitiéme , qui
eft fon droit fur les Efclaves de bon-
ne prife , pretendant en faire autant |
fur les Frangois,qui étoient reclamez -
par le Chevalier d'Arvieux Conful
de France. Le Bay fe fondoit fur ce
qu'ayant écrit trois fois à fa Majefté |
Tres-Chrétienne pour avoir huit Al-. |
geriens qui étoient aux Galeres de |
France , on ne les luy avoit pas ren-
voyez , & ainfiil pretendoit vendre. -
les François , pour racheter les huit |
Turcs de cét argent. Le Conful s’y !
oppofa fortement , proteftant qu'il fe M
vendroit plutót lui-même pour les :
racheter, que de fouffrir qu'ils fuffent
vendus,& que c'étoit rompre la paix.
Le Day infiftant toûjours là deflus, M
M. le Vacher Pere de la Miffion luy -
propofa de les mettre en depót jnf
qu'à ce qu'on eût réponfe de France:
ce qu'il accepta à condition de ne pas
e ditalie. 17
donner le pain aux François , qui fu-
rent conduits au Bain de la Douane,
: où le Conful leur donna un écu par
jour jaíqu'au mois de Février , qu'on :
receut les Lettres du Roy qui pro-
| mettoit de renvoyer les Turcs, pour-
| veu qu'on renvoyát les François. Le
| Day ne voulut pas commencer, &
| tout ce qu'on put faire par le moyen
| d'un renegat Parifien , à qui on‘don-
pa cinquante piaftres fous main , fut
d'obtenir la liberté de M. Vaillant,
| qui fe devoit charger des Lettres du
"Day. Dés le lendemain il Le fit venir
devant luy , & luy dit : Sois le bien
venu. Ayant apris que tu es au fervi-
ce du Roy de France, je veux te ren-
-voyer , & je voudrois le faire de mé
me des autres : mais je ne fuis pas icy
| fiabfolu,que ton Maitre eft chez luy.
| Tu l'affureras que je defire d'entrete-
nir une bonne correfpondance avec
| luy & de continuer la paix. Ie te fe-
ray donner les noms des Algeriens
| qui font en France,afin que tu procu-
res leur liberté, comme je t'ay accor-
dé la tienne.
Trois femaines aprés une Barque
|
|
18 Voyage de Provence,
de Marfcille étant fur fon depart , il:
fut rappellé devant le Day avec le
Capitaine , qui par ordre du Day luy
rendit vingt medailles d'or antiques,
& deux cent medailles d'argent,qu'on
avoit trouvées dans fa Valife.Il s'em-
barqua donc le lendemain , quatre:
mois & demy aprés fa prife , laiffant
les autres, François dans l’efperance
d'un femblable retour, La Barque:
ayant fait vole, avança pendant deux
jours avec un vent favorable : mais À
la fin un matelot qui étoit au haut du: |
maft,cria qu'il voyoitun Vaiffeau qui.
avoit le vent fur eux. Le Pilote mon-.
tant aufli-tôt lui-même , découvrit. |
que c'étoit un Corfaire de Salé avec
une Barque de prife : ce qui le fit re-
foudre à mettre la fienne en. poupe,
pour fuir en Efpagne, Comme M.
Vaillant fçavoit la mifere des Efcla- [
ves , & particulierement de ceux qui
l'étoient à Salé., il forma un deffein
tout-à-fait extraordinaire, qui fut.
d'avaler les vingt medailles d'or qu'il
avoit fur luy , pour fe faire quelque.
reffource dans les neccflitez , qu'il
prevoyoit luy devoir arriver ; & dés
D D MARRE
! e d'Italie. I9
«que le Corfaire fut proche prefque à
la portée du Canon , il ne manqua
pas de l'executer. Les autres paífa-
gers étoient de méme dans la dernie-
re confternation par les. affreufes
idées de l'eíclavage dont ils étoient
[menacez, lors qu'une bourrafque s'é-
tant tout d'un coup levée; elle écarta
le bátiment de Salé. Vous pouvez
juger quelle joye ils en eurent: nean-
moins le vent étant toûjours violent;
ils n'étoient pas à la fin de leurs crain-
tes;le Pilete ne vouvant refifter à l’o-
rage qui dura deux jours, & les jetta
ue les côtes de Catalogne;préts
.d'échoüer fur les fables, où ja Efpa-
gnols les auroient pris, fi une groffe
vague ne les eût remis en mer, & s'ils
.m'euffent enfuite cotoyé tout ce pays-
;Jààla faveur d'une banniere G:noife
qu'ils arborerent. Mais comme les
malheurs s'entrefuivent. ordinaire-
ment, ils vinrent encore s'embarafferc
dans les bancs, qui font vers l'em-
bouchure du Rhône, à une liené du
Village de Saintes, oü apres avoir
perdu leurs anchres , M.Vaillant re-
folut d'aborder avec l'cíquif, luy cin-
20 Voyage de Provence.
cinquiéme , le rivage Le plus proche :
ce qui leur reüffit heureufemét,quan-
tité de monde étant fur le Port , qui
leur montrerent J'endroit commode
pour venir à terre , & les Confuls du
lieu luy modererent fa quarantaine à
24.heures , en confideration des de-
pêches qu'il avoit pour fa Majefté. ——
Cependant comme il avoit avalé
tant de medailles d'or, qui luy pe-
foient fort à l'eftomac , il demanda |
avis à deux Medecins qu'il rencontra
fur le chemin d'Avignon. L'accident |
leur parut fingulier, & ils ne demeu-
rerent pas d'accord du remede , l'un
propofant des purgatifs,& l'autre des
vomitifs ; & dans cette incertitude il
ne fitrien , ὃς pourfuivit fon chemin
juíqu'à Lyon , où il en fit quelques-
unes par deffous , de méme qu'aupa-
ravant à S.Vailier , apres avoir man-
σέ des épinars. Il fut d'abord rendre
vifite à M.Dufour fon amy, & fe pre-
fentant devant luy avec fa barbe &
fon habit d'efclave , il fut obligé de
dire fon nom. Apres s'étre embraf-
fez, il luy fit le recit de fes avantures,
& n'oublia pas la particularité. des
d. e d'Italie. 21
medailles. M. Dufour , qui eft uni-
verfellement curieux des belles cho-
fes , par le commerce qu'il entretient
avec les curieux en Europe & en Afie,
a fait auffi un beau recueil de medail- :
les. Il demanda à M. Vaillantla qua-
lité des fiennes , & fi elles étoient du
haut Empire, qui font les plus pefan-
tes. Celui-cy luy en fit voir l'échan-
tillon , & luy affura qu'elles étoient
toutes des premiers Empereurs. Mais
eft-il poffible, luy dit M. Dufour,
qu'un homme d'efprit & un habile
- Mede£in comme vous, ait ofé charger
o
fon eftomac d'un poids fi confidera-
ble de cinq ou fix onces,& d’une ma-
tiere fi folide. Vous parlez luy repli-
ua-t-il , comme un homme qui eft à
bn aife dans fon Cabinet , & qui
m'envifage que de cent lieués loin les
malheurs de l'eíclavage. Si vous
aviez été en ma place, vous auriez
peut-être avalé , non feulement les
medailles , mais la Barque méme s'il
avoit été poffible , pour adoucir les
amertumes dela captivité. M.Dufour
qui avoit acheté en méme tems cinq
medailles que fon amy luy avoit
22 Voyage de Provence,
montrécs fit auffi marché d'un Othos
d'or,& de quelques autres qu'il avoit
encore dans le corps ; negoce dont il
ne s'éftoit peut-être jamais parlé. Il
s'y accorda pour la rareté du fait ,.&
ayant pris congé de luy ,il fe refolut:
de partir le lendemain par le Coche :#
mais par bon-heur il acheva de les
rendre avant que de s'embarquer , & |
les remit à Vader.
Ic reprens mh relation que j'ay in-
terrompué , & je vous diray qu'étant |
arrivé à Marfcille, je voulus m'appli- |
quer à la recherche des curiofitez. |
l'y trouvay quelques infcriptions Ro- |
maines,mais Je n'y remarquay aucun -
edifice de grande antiquité,quoy que «
la Ville foit un ouvrage des anciens |
Phoceens. Elle cft affife dans un ter- |
Foir pietreux , ayant au bas un Port -
'creufé dans fes roches , en forme
d'amphitheatre; & tourné versle Mi- #
dy : car elle eft preíque de méme au-
jourd'huy,que Strabon l'a ancienne- |
+ ment décrite , & a l'avantage de s'é-
tre mieux confervée qu'aucune autre
Ville. Les deux Citadelles ὃς l'Arfe-
nal font en bon état , ὃς ce font des
À
au amy
e d'Italie. 25
chofes dignes de la curiofité des
Etrangers ; mais comme je ne‘ine pi-
que pas de m'y entendre , je ne vous
en marqueray aucune particularité,
J'aime mieux vous entretenir d'une
téte prodigieufement groffe que l'on
conferve au Convent de l'Obíervan-
-ce. C'étoit la téte d'un nommé Bor-
duni fils d'un Notaire de Marfeille,
Il mourat il y a envigon foixante ans,
âgé de cinquante. E Religieux de
ce Convent qui l'ont và, m'ont aflu-
‘ré qu'il n'avoit pas plus de quatre
pieds de haut , & neantmoins fa téte
en a trois de tour par les cótez , &
moins d'un pied de hauteur. Les os à
force de s'élargir étoient devenus fort
minces, & entrouverts de lalargeur
d'un écu, à l'endroit où la future fa-
gittale fe rencontre avec la coronale,
qu'on appelle auffi la Fontanclle ; &
au derriere de la téte à l’occipirale,
“Bien qu'il εὖτ beaucoup de cervelle,
il n'en avoit pas plus d'efprit pour
‘cela, ὃς c'étoit un Proverbe qui cou-
1 oit dans Marfeille , T4 n'as pas plus
«de fers que Borduni. Quand il devint
- &géjil ne pouvoit plus foütenir (a tete
24. Voyage de Provence,
fans l'appuyer fur un couffin. Il avoit |
été ehterré à l'Obfervance,& comme.
on creufoit dans leur cimetiere il y a
quelques années, on y trouva ce cra-
ne, qu'on a depuis confervé par rare.
té. l'ay vû depuis à Negrepont un.
garcon de 15. à τό. ans qui eft encore
en vie, qui a la tête à peu prés fem
blable , & entierement difforme ; car i
le front luy avance de trois travers |
de doigt au deffus du vifage , comme
s’il avoit une groffe courge applatie |
par deffus la téte,. Prés de l'Obfer-
vance j'allay voir la Sucrerie, que la.
Compagnie des Indes de Hollande |
. avoit établie , & qu'elle a depuis
vendué à un Marfeillois. On fait |
fondre dans de grandes chaudieres la
Maícoüade , qui eft le Sucre comme
il fort des cannes , tout noirátre & i
plein d'ordures , & quand elle boût
trop , on-y jette du beurre ou de la #
Σ
eraiffe, pour l'empécher de fe répan- |
T
ὡαΊὰ TT
she E
dre au dehors.Eníuite on la met däns |
de grandes formes de terre , & puis
dans de plus petites ; qui donnentila
figure à nos pains de Sucre. On met
ces formes la pointe en bas, & par
deflus
e d'Italie. 1$
deffus le fucre une couche d'argile
que l'on arrofe d'eau chaude,laqucl-
le de méme qu'une leflive emporte
ce qui εἰ d'impur, & s'écoule par
une petite ouverture au dcífous de la
forme. Il fe fait aufli à Marfeille
grande quantité de Savon. Il eft
compofé d'huile, de lcffive de chaux
& de la foude qu'on apporte d'Efpa-
gne, qui n’eft autre chofe que le {εἰ
d'une herbe marine appellée Kz/.
- Ce Compofé que l'on cuit auffi dans
de grandes chaudieres , ne boüt pas
fenfiblement , mais il ne laiffe pas de
jetter de temps en temps de gros
bouillons de 8. ou 10.pieds de haut,
ἃς il eft dangereux d'en approcher,
parce qu'il brüle tout ce qu'il touche
de combuftible. Il me fcmble que
les Etrangers ne devroient pas auffi
neglieer de voir les boutiques des
Coralliftes , Marf.ille étant la feule
Ville de France où l'on fçache bien
travailler le Corail. Fy en ay trouvé
des efpeces qui ne font pas ordinai-
res, comme du blanc, c’eft-à-dire,de
| celuy qui eft folide ; car pour celuy
qui cft creux & troue,ce n'eft pas un
26 Voyage de Provence,
vray corail.l'en achetay une piece qui
étoit moitié rouge & moitié blanc;
pour du noir,les Maîtres m'affurerent
tous , qu'il ne s'en trouvoit point de
veritable,mais feulement des plantes
corallifées, qui ne peuvent pas fouf-
frirla meule pour être mifes en œu-
vre. Monfieur Magis me fit voir
d'autres fortes de curiofitez, des Mu-
mies & des Idoles d'Egypte,avec des
caracteres dont je laitle l'explication
au R. P. Kircher , qui a depuis peu
mis au jour dans un grand volume,
ceux qui fe trouverent dans la caifle
& dans les bandes d'une belle Mu-
mie que Monfieur Dufour avoit re-
ceuc d'Egypte, & qui a merité d'etre
mife au Cabinet du Roy.
En attendant que le temps fe ren-
dit beau pour faire voile, j'allay voir
ce qu'il y a de plus remarquable au-
tour de Marfeille. Sur le chemin
d'Arles on void la petite ville de Sa-
lon » qui n'eft confiderable que pour
avoir été le lieu de la naiffance de
Noftradamus. ll eft enterré aux Cor-
deliers, moitié dans l'Eelife, & moi-
tie dehors ; peut-être parce qu'on ne
e d'Italie. 27
fçavoit pas s’il étoit Sorcier ou Pro-
phete. Ie traverfay enfuite la Crau;
qui eft une grande campagne de cinq
ou fix lieués de largeur, toute pleine
de pierres,entre ΠΡ ΡΗΝΑΙ il croit un
peu d'herbe excellente pour le pátu-
rage, Le vent y foufloit alors terri-
blement,mais il n'étoit pas affez fort
pour faire rouler les pierres, comme
Strabon affure qu'il arrivoit quelque-
fois. Les Anciens fe font rompus la
téte pour donner la raifon de cette
prodigieufe quantité depierres. Ari-
ftote croyoit qu'elles y avoient été
pouffées par ces fortes de tremble-
mens de terre, qui en jettent quel-
quefois un grand nombre , qui tom-
bent enfuite comme une pluye dans
les plaines. Poffidonius s'imaginoit
que cette campagne avoit été au«
trefois un Lac qui s'étoit deffeché :
mais Æfchyle , à qui il étoit permis
de mentir auffi bien qu'aux autres
Poétes , raconte qu'Hercule combat-
tant contre les Liguriens , Iupiter
Íon pere craignit pour luy dans l'ex-
tremité où il le voyoit réduit , & fit
tomber une fi grande Pu de pier-
2
ARLES.
28 Voyage de Provence,
res, qu'il en accabla tous fes en.
nemis.
ARLES eft plein de ruines ancien-
nes , entre lefquelles on void un re-
fte d'amphiteatre affez beau , que les
maifons bâties dedans cachent à de-
my. Vne Diane de marbre qu'on
conferve dans la Maifon de Ville, fait
voir que lesMarfeillois avoient établi
_ le culte dela Diane d'Ephefe en ces
quartiers-là,comme l'affure Strabon.
Elle n'a pas de bras mais elle ne laif-
fe pas d’être belle;car il n'cft pas im-
poffible qu'il y ait de belles mancho-
tes auffi bien que de belles aveugles
& de belles boiteufes ; & fans doute
c’eftun ouvrage de quelque excellent
Sculpteur de l'Antiquité. Plus bas
qu'Atles il y avoit dans une Ifle que.
font les embouchüres du Rhône, un
Temple confacré à cette Deeffe, où
apparemment cette ftatue étoit pla-
^
cée,; Autour des Minimes qui font.
hors de la Ville, on void une quanti-
té furprenáte de tombeaux antiques.
Ceux des Chrétiens ont des Croix,
où des hiítoires de la Bible gravées
au dehors, & ceux des Payens ont
& d'Italie. 29
pour la plus grande partie des infcri-
prions que l'injure du temps à laquel-
le ils font expofez;a prefque enticre-
ment cffacécs. Le Chœur de l'Eelife
eft fermé d'une baluftrade compofée
de fculptures de la Bible,qu’on a ra-
maífées des pieces de ces monumens
du Chriftianifme. On dit que les
Payens appelloient.cette campagne
les champs Elvíées , & qu'ils fe
croyoient bicn-heureux d'y pouvoir
étre enfevelis. On ajoüte méme que
ceux qui habitoient le long du Rhó-
ne trois ou quatre journées au deffus
d'Arles,envoyoient quelquefois leurs
morts attachez fur un aix à la mercy
de cette riviere avec l'argent necef-
faire pour leur fepulture, .& qu'ils ne
manquoient pas de s'arréter à Arles -
. où l'on avoit foin de les enterrer.
Dans les Catacombes qui font fous
l'Eglifej; il y a les Epitaphes de Saint
Trophime, de S.Hilaire , & de quel-
ques autres Evéques d’Arles. Les
Vers en font excellens , & paroiffent
être des produétions du cinquiéme
fiecle,qui étoit aflez fecond en beaux
efprits, On admire fur tout au milieu
B 3
LA Ste
BAVMEB.
go Voyage de Provence,
de la voute une de ces Tombes , qui
eft tot jours moitie pleine d'eau;quoy
qu'il n'y en ait point dans les autres
qui font deffus & deffous.
D'Arles je me rendis à /a Suinre
Baume m'atrétant au pied de la mon-
tagne à un lieu appellé Gargwiez,
qui n'a qu'une petite Eglife & un
tres-méchant logis. Ce lieu-là etoit
pourtant connu dans l'antiquité foûs
un nom femblable ; car dans une in-
Íciiption qui y fut trouvée , & qu'on
a tranfportée au village de Gemenos
où je l'allay voir, il eft appellé Locas
Gargarius. Τὶ faut monter de là plus
de deux heures avant que d'étreàla M
Sainte Baume , qui eft remarquable
par fon defert & par fa fituation dans
une roche efcarpée , où l'on a prati-
qué un petit chemin. La grore eft
fort humide , à caufe de l'eau qui en
degoute par tout, excepté à l'endroit
où l'on croit que fe tenoir la Made-
laine.Il y fait prefque toûjours froid,
le vent de Nord y fouflant (ouvent
d'une étrange force, & s'il n'y avoit
du bois en abondance, on y pafferoit
bien mal le cemps. Les Religieux qui
e d'Italie. 31
y fervent font du Convent de S.Ma-
ximin , où l'on garde les reliques de
cette Sainte Penitente, Le lendemain
je grimpay à cheval jufques au Ciel,
du moins juiqu’au deffus des nu£s;
car la cime de cette montagne, qu'on
appelle le Saint Pilon , eft fi élevée,
que les nues paroiffent fouvent au
deffous. M’étant tiré en trois ou qua-
tre heures de marche de ces deferts
affreux, je vins me rendre au chemin
de Maríeille à Toulon , d'où je fus
bien-tôt à Olioure qui me divertit
plus agreablement la νῦξ par ces
grans Orangers , íoüs lefquels un
homme à cheval pourroit librement
pañler.
Trois heures apres j'arrivay à Tou-
lo, où je vids d'abord tout ce que les
Etrangers vont voir,le Parc, & le fu-
perbe Vaiffeau nómé leR oyal Louys,
qui porte plus de fix-vingt pieces de
canon. Le Port eft fermé d'un beau
mole, & toute la plage a un bon an-
crage pour les grans Vaiffeaux, il n'y
a que le vent Grec qui y eft fort in-
commode.
HIERES n'cft qu'à trois lieues de
b 4
TOv.
LON.
H IE-
RES.
3. Woyage de Provence,
Toulon , & merite bien qu'on y faffe ὦ
untour. Les jardins de citroniers &
d'orangers y font admirables par une
profufion de la nature plutót que par
les foins que l'on apporte à les culti-
ver. Vn Gentilhomme du pays tire
jufques à quinze mille livres de rente
du fien,bien qu'il ne foit pas de gran-
de étenduc.
D'Hieres je revins à Marfeille,d'oà
je me propofois de reprendre mon
chemin pour Lyon,lors qu’un de mes
amis y arriva pour aller en Italie voir
l'ouverture du Iubilé. Ie m'engageay
aifément avec luy, & nous arrétames
nôtre embarquement fur un Vaiffcau
de Hambourg, qui devoit partir pour
Genes au premier bon vent,qu'il nous
fallut attendre prés de trois femai-
nes, Nous étant rendus au Vaiffcau
au moment qu’il levoit l'anchre;nous
nous vimes d'abord à la voile, & le
depart fut fi promt, que de deux Ale-
mans qui vouloient s'embarquer avec
nous , l'un demeura en s'amufant à
faire des adieux, quoyque fes hardes
fuffent déja embarquées ; & l'autre
ayant laiffé les fiennes à une Barque
e d'Italie. 33
qui ne put atteindre le Vaiffeau , fe
trouva dedans fans manteau & fans
Lettres de Change.
En trente-fix heures nous fümes à GENES
la vàe de Gezes , & un vent de Nord
s'étant levé comme nous étions prêts
d'y entrer , il nous fallut deux jours
entiers pour en venir à bout à force de
bordées. Le Port eft tout ouvert du
cóté du Midy , & a de petits rochers
| couverts d'eau qui le rendent mal
| eur, quand il vient quelque bourraf-
que. La Ville eft bâtie en amphithea-
| tre autour du Port, & fait une tres-
belle perfpe&ive,& le dedans furpaf-
fe de beaucoup l'idée qu'on en a con-
ceuc.On n’y void que des Palais ἃς du
-marbre, & la Strada nova n'en a que
de fort fuperbes. Genesa cela de par-
-ticulier & d'avantageux fur les autres
Villes d'Italie , que tous fes Palais fe
fuivent fans étre joints avec des mai-
-fons ordinaires.Celuy du Prince Do-
ria , qui eft au Faux-bourg , eft des
plus confiderables. Pour ce qui eft
des Eglifes, elles font les plus belles
du monde , & particulierement l'An-
nonciade,les Icfuites & les Theatins,
Bg
|
34 Voyage de Provence,
La nouvelle fabrique de Santa Maria
in Carignano ne leur cede pas. Ce
n'eft par tout que marbre, que jafpe,
que dorures,& que tableaux des plus
fins. Ie n'ay jamais và quelà des Ex-
communications écrites au dehors des
Eglifes contre ceux qui pifferont au-
tour , ou qui joücront aux cartes , OÙ.
commettront quelqu'autre indecence. .
[
Mais peut-être les foupconneroit-on
d'être moins jaloux de la gloire de
Dieu que de la propreté de leurs ou-
vrages ; car au refte ils n'ont pas la
‘réputation d’être plus Saints que les
autres ; au contraire, il court un Pro-
verbe d'eux en Italie, qui ne leur eft -
pas avantageux : 7Mare fénza pefce,
montagne fenza legno ,, Done fenza ver-
gogna , € gente fenza fede. Mer fans
poiffon , montagnes fans bois , fem-
mes fans honte, & gens fans foy. Il
y à pourtant d'honnétes gens comme
par tout , mais le grand nombre d'é-
pions & de Sbirres qui obfervét tout
ce que l'on fait,ne me plait pas. Mon-
fieur le Chanoine Ferro me fit voir
avec beaucoup de civilité fon Cabi-
net de medailles , de gravüres , &
d'autres bijoux antiques.
LN
e d'Italie. 33
De Genes nous primes une Felou-
que, & patfant le long de la cote,que
les Anciens appelloient mer Ligufti-
que, & que l'on nomme aujourd’huy
riviere de Genes , parceque de méme
que les bors d'une riviere elle eft
pleine de petites Villes tres-jolies qui
appartiennent à la Republique , nous.
arrivàmes heureufement à Livourne.
LIVOVRNE eft une Ville fameu-
fe pour le negoce , mais inutile pour
ma curiofité. Tout ce que j'y obfer-
vay fut la ftatue du Pere du Grand
Duc, avec quatre Efclaves de bronze
au deffous., qui ne font pas mal tra-
vaillez. L'ouverture de la Porte-
Sainte fe devoit bien-tót faire à Ro-
me, ce qui nous obligea de nous em-
barquer le jour fuivant fur le Canal
qui nous conduifit à 7;fe.
Cette Ville eft grande &cbelle,mais
elle n'eft pas peuplée. Elle a autre-
fois fait bruit dans le monde , & j'ay
trouvé à S.Victor de Marfeille une
Epitaphe des Pifans qui étoienz morts
dans une glorieufe entreprife qu'ils
avoient faite l'an 1114. fur l’Ifle de
Majorque ; tenue en ce temps-là par
LIVOVR:
NE.
PISE.
SIENE.
ROME.
36 Voyage de Provence ,
des Mahometans. La Tour de Pife
qui panche par le haut eft quelque
chofe d'admirable , foit que l'Archi-
te&e ait eu deffein d'en faire un
Chef-d'ceuvre , ou qu'elle fe foit af-
faiffée de cette maniere par un trem-
blement de terre. Les Scavans n'en
font pas d'accord entr'eux , & je ne
fuis pas affez habile pour leur fervir
d'arbitre. Il y a une autre Tour à Bo-
logne de méme nature , & Yon s'eft
raillé autrefois des Religieux voifins, |
qui prefenterent requête pour la fai- |
re abbatre,croyant qu'elle alloit tom-
ber. Lelendemain nous primes des
chevaux , & ne vimes qu'en paffant
Szene.
C'eft une celebre Academie , &
bien que nous ne vouluffions pas
nous y arréter , nous nous donnâmes M
pourtant le temps d'aller voir le DG- —
me & la Bibliotheque peinte à fref-
que par Pietro Perugin , & par Ra-
phaël , qui furpaffa bien-tót fon
Maitre, |
Enfin nous arrivâmes à Rome quel- «
ques jours devant l'ouverture du Iu- M
bilé;cóme nous le fouhaitions.Elle fe
c d'Italie. 54
fit par la Cavalcade des Cardinaux &
de toute la Cour de Rome qui les fui-
_voit,car le Pape à caufe de fon âge ne
s'y trouva pas. l'y vids des Caroffes
tres-fuperbes, & des chevaux avec de
tres beaux harnois ; mais ceux qui les
montoient n'étoient pas les meilleurs
Cavaliers du monde. Ie vous avoue
que je ne me pouffay pas dans la fou-
le, pour aller voir comme fe faifoit
l'ouverture delaPorte-Sainte. On
me dit que les materiaux qui la mu-
rent font tout difpofez à tomber, &
qu'aux premiers coups que le Pape,
eu le Doyen des Cardinaux en fa
place , donne , elle tombe par terre,
‘enfuite dequoy tout le monde y en-
tre, baife la Porte & fait toucher fes
Chapcelets. Pour gaigner les Indul-
'gences données à ceux qui vifitent
cette Eglife , & les trois autres de S.
Iean de Latran:, de Sainte Marie Ma-
jor & de S.Paul , où la méme Cere-
monie fe fait,on les doit vifirer quin-
ze fois chacune , & l'exercice de les
voir toutes quatre en un jour eft aí-
fez rude ; car on ne le fçauroit faire
“en moins de cinq heures de chemin,
38 Voyage de Provence,
Les Relations que fans doute on en
aura faites doivent fuffire , & je n'en
parleray pas davantage.
Le Pape avoit fait alors une Ore
donnance fort fainte , qui étoit que
les Courtifanes n'euffent point à te-
nir cette année-là de penfonnaires..
Nous étions allez loger M. Mayer &
moy chez une honnéte Dame que
l’âge mettoit à couvert de tout foup-
gon ; neantmoins comme elle eut ap-
pris. cét ordre, elle craignit qu'on ne
l'accusàt d'avoir été du nombre de
ces Courtifanes , & inventa quelque
méchante excufe pour fe difpenfer de
nous accorder ce qu'elle nous avoit
promis, Ce fut à nous.de nous pour-
voir ailleurs,dequoy nous fümes bien
aifes , apres en avoir fceu la rai-
fon ; car non feulement nous vou-
lons vivre fagement , mais auffi
nous ne voulions pas donner lieu de
croire que nous vécuffions d'autre
forte , Monfieur Mayer n'étant venu:
à Rome que par un pur motif de de-
votion , & moy que par un pur prin-
cipe de curiofitée. De cette maniere 4
vous ne devez attendre de moy que —
€ d'Italie. 39
des Antiquitez, des Jardins,des Fon-
taines & d'autres chofes de cette na-
ture ; mais plutót n'attendez pas que
je vous donne rien de particulier de
Rome. Ses curiofitez m'ont fi forc
ébloui , qu'il ne m'en refe que des
idées confufes , bien que j'y aye de-
meuré cinq mois à bien contempler
les chofes. En effet , il faudroit être
tout-à-fait ftupide, pour ne pas trou-
ver à Rome dequoy fe fatisfaire en
toutes manicres,& voyager fans nul-
le curiofité, c'eft , à mon avis, perdre
fon temps.
Si vous aimez les Livres,vous avez
à Rome deux belles Bibliotheques,
où vous pouvez aller étudier tous les
jours , excepté les Fétes & le Ieudy ;
fçavoir celle du College dela Sapien-
ce & celle des Auguftins. Si l'on eft
curieux de manufcrits , il faut voir la.
Bibliotheque du Varican,.qui s'ouvre
auffi trois ou quatre fois la femaine..
On y void un Virgile & un Terence
anciens de mille ans , & quantité de
Livres qui ne fe trouvent point ail-
leurs. Si quelqu'un eft charmé de la
Mufique ; on peut entendre tous les
4o Voyage de Provence,
jours des Concerts dans les Eelifes,
chez la Reine de Suede , & chez les
Cardinaux , & des voix les plus ex-
cellentes du monde. Pour ce qui eft
des ceremonies de l'Eglife , il n'y a
point de lieu dans toute la Chrétien-
té où il y en ait davantage, & où elles
foient plus pompeufes. Si l'on a de la,
paffion pour les tableaux , on n'en
peut pas voir plus grande. quantité
qu'à Rome,& on y en void de la main
des plus grans Maîtres qu'il y ait eu
en cette Profeflion. Pendant que j'y
étois on en compofa un Livre, qui eft
un recueil des plus fins ouvrages de :
toutes les Eglifes de cette Ville. Si
vous avez lacuriofité de voir de la
peinture des anciens Romains , que
vous pourriez chercher inutilement
dans tout le refte du monde, vous en
trouverez des pieces dans quelques
cabinets de Cardinaux , & une toute
entiere à la Vigne Aldobrandine;,qui
reprefente une noce. Si vous en avez
pour les deffeins des pieces antiques
᾿ ὃς des peintres modernes , le Cheva-
- lier del Pozzo & plufieurs autres cu-
rieux vous cn feront voir de tres-
> d'Italie. 41
| beaux recueils. La Sculpture vous
plait-elle? Si vous en voulez de la
moderne , vous en verrez de Michel-
Ange, comme cft ce Moyfe incompa-
rable de San Pietro in Vincola , de
Sanfouin,& du Chevalier Bernin qui
fait des merveilles. Pour celle des an-
ciens Grecs & Romains, elle pafle
| jufqu'au prodige.Le Laocoon du Va-
| tican, l'Hercule Farnefe, l'Antinous,
& la Venus de Medicis tiennent le
| premier rang.Enfuite le Taureau Far-
nefe, le Marc-Aurele du Capitole, &
le Gladiateur de Ludovifio. Mais je
ne veux pas entrer dans le detail, de
| peur de me faire une affaire avec ceux
du métier , qui les rangent en diffc-
rentes claffes , & j'en parle felon que
| ma memoire meles reprefente;à quoy
jajoüte feulement que rien ne m'a
tant furpris que de voir que Rome,
apres avoir été ἢ fouvent faccagée,
|puiffe avoir confervé tant de belles
chofes. Le Palais Paleftrine a plus
de 6o Statués, qui pour la plus gran-
de partie ont été trouvées dans leter-
rain de la maifon, Celuy de Iuftinia-
ni en a environ 150. dans une feule
42 Voyage de Provence , |
Sale : de forte qu'on pourroit encore 1|
dire de Rome ce qu'on difoit autrefois !
d'Athenes , que le peuple n'y étoir |
pas en fi grand nombre que les fta-
tués. Da moins ce qui ne fe juftifie-
roit pas fur la quantité, fe pourroit |
recompenfer fur le prix ; caril y a
telle ftatué que l'on ne donneroit pas |
pour cent mille écus , & une infinité
de miferables fe vendroient pour peu
de chofe. | |
— My a peu d'honnétes gens & dem
gens d'efprit qui n’ayent de l'eftime
pour l'Archite&ure. Si vous aimez
celle des Anciens,confiderez celle du
Colifée, du Theatre de Marcellus,du
Pantheon , & des reftes des Bains de
Diocletian qui font aux Chattreux,
Et pour PArchite&ure moderne, M
vous n'avez qu'à voir le Palais Farne- 4
fe , le Palais Borghefe & cent autres M
dont l'on a fait graver des Livres ; la |
Porte Pie & la Porte del Populo,mais |
par deffus tout l'Eglife de S.Pierre, !
qui eft la plus belle du monde. |
Pour ce qui eft des Fontaines,vous |
en trouverez d'admirables & d'excel-
lemment beaux originaux. Sur tout
© d'Italie. 43
celle de S.Pietro Montorio merite
l'admiration de tous les humains.
Si vous étes curieux des bas reliefs,
-VOuS en avez pour vous occuper dix
ans entiers; quand ce ne feroit qu'au
Palais Matthei,& à la Villa Borghele
qui en font tous revétus par dehors;
-& ce qu'on en a de gravé n'eft pas la
vingtiéme partie de ce qui refte.
Pour les Pyramides , les Obelif-
ques , les Colonnes & les Arcs de
| triomphe, où en pourroit-on trouver
de plus remarquables pour l'hiftoire
du plus floriffant empire qui ait ja-
mais été?
Si vous vous plaifez aux medailles
antiques, Vous en trouverez des Ca
binets tres precieux chez la Reine de
Suede, chez le Cardinal de Maximis,
& chez l’Abbé Brachefi. Ceux de
Monfignor Ginetti, du Chevalier dcl
Pozzo, de Dom Auguftin;& d'autres
particuliers,ont auff chacun plufieurs
pieces remarquables.
Si vous prenez plus de plaifir aux
petits bijoux antiques , comme (ont
des Vrnes , des Lacrymatoires , des
Idoles , des Vafes , des Poids & des
44 — Voyate de Provence,
Mefures, vous en trouverez un Cabi-
net tres-bien fourni chez Monfieur ἢν
I. P. Bellori Antiquaire du Pape ; ὃς ἢ}
tres-fçavant en toutes fortes d'Anti-
uitez. ΟἿ à luy que nous fommes
redevables de l'explication de la Co-
Jomne Trajane & Antonine, & ila
δα ΠῚ fait l'Eloge des Peintres illu-
ftres, & plufieurs autres ouvrages. M
La conference des perfonnes fga- 1
vantes vous plait-elle ? voyez le Pere 2
Kirker pour les Langues inconnués,
& pour les Mathematiques. Le Pere
Fabry grand Penitencier de France
pouf la Theologie & la Mathemati-
que. Monfieur Iean Lucij pour l'Hi-
ftoire & pour l'Archite&ure. Mon-
fieur Suarez Evéque de Vaifon pour M
les Antiquitez , l'Hiftoire & les Ge-
nealogies. Le Pere Bartoli pour la
Phyfique & les Humanitez.Monfieur M
Fabretty pour les Antiques & les bel-
les Lettres, Monfieur Camely Bi- |
bliothequaire de la Reine de Suede 4
pour les Medailles , & Monfieur Na-
zari, qui traduit en Italien le Journal $
des Sçavans, pour la Literature. Je
n'gnore pas qu'il y en ἃ un grand
c duae c δῇ
nombre d'autres , mais je ne nomme
jue ceux que jay eu l'honneur de
connoitre & d'approcher.
| Les beaux Jardins & les Maifons
le plaifance de Rome , attirent tout
re qu'il y a de curieux , & ce (ont de
"rays Paradis terreftres & comme des
ieux enchantez que les Vignes Bor-
:hefe, Pamfilé, Montalto;Ludovifio,
Matthei , & de l'Abbé Benedetto ,
fi bien que les jardins du Vatican,
Ὁ Montecavallo & de Medicis.
' Pour de beaux ameublemens, il ne
aut qu'entrer dans les Palais Bor-
hefe , Colonne , Paleftrine , Chigi,
;udovifio & Maximis.
| Seriez-vous touché comme moy
(cs Infcriptions antiques , vous en
vez à Rome pour contenter votre
aiofité. Ie ne m'eronnois pas d'en-
ndre dire à quelques Etrangers qu'il
en avoit peu, parce qu'on ne re-
arque d'ordinaire que ce qui plait,
; que peu de gens prennent plaifir
1x infcriptions. Pour ce qui eft de
Toy. j'y en ay leu plus de trois mille,
Τ᾿ copié plus de mille,qui ne font pas
Iicore imprimées, |
46 Voyage de Provence,
Si vous demandez des gands , de
effences , des parfums , du tabace
poudre & des vins delicats , Rome le
difputera encore avec toutes les Vil-
les du monde. 3
Si vous étes curieux des Langues
que l'on parle prefentement en Eu
rope,le Bourgeois de Rome parle bor
Italien,la place d'Efpagne parle Fran
ois ὃς Alemand,les pierres y parlent?
Latin, & les Obelifques Egyptien, 848
ainfi vous y avez les Langues mortes
avec les vivantes. Pour le Grec,il eft?
renfermé dans les livres du Vatican
ὃς de la Sapience, & iliY'y a qu'un pe
tit nombre de Doctes qui l'entendent,
' Enfin je ne trouveray pas étrange?!
que vous n'ayez aucune de ces curio
fitez , fi vous n'allez jamais à Rome
ue par devotion. Car vous aurez aff
fe d'occupation à vifiter tant d'Egli
fes & de Reliques que l'on y montre
& vous ne vous en rctournerez paste
fans Indulgéces, Chapelets & Agnust]
Dei , qu'elle fournit abondamment :
toute l'Europe Catholique. !
C'eft ainfi qu'il faut profiter de cef
que l'on rencontre. de bon dans les
e» d'Italie. 47
ivoyages , fücer le miel & la rofée
comme les abeilles, & non pas le ve-
nin comme les araignées. Ceux qui
trouvent quil fe fait tant de mal à
Rome ont cu part affurément à celuy
qui s'y commer,& l'on n'apprend or-
dinairement le vice qu'en le commet-
tant.
Celuy qui a fait imprimer la Lifte
des tableaux qui font à Rome,en pro-
met une femblable des Palais & des
Cabinets, & Monfieur Patin nous
fait efperer la relation de fon voyage
d'Italie, qui ne fcauroit manquer d'e-
tre bien receué : ce qui me difpenfe
de m'étendre fur cette matiere, qui
€ra amplement traitée dans ces deux
Livres qu'on nous prepare.
Jene voulus pas quitter Rome fans
Aller vifiter les environs,& Monfieur
Vvheler Gentilhomme Anglois , qui
t fait enfuite le voyage du Levant
avec moy, voulut être de la partie.
Nous fümes premierement à 77voJ;,
qui n'eft qu'à demi-journée de Rome.
—'eft unlieu , où il femble que l’art
X la nature difputent à qui fera pa-
“être plus de merveilles, La grande
TIVOLL:
48 Voyage de Provence ,
Cafcade & celle de Ciceron,qui pre- ἢ
cipitent d'un rocher efcarpé la petite
riviere de Teverone, font à mon fens |
une des plus belles chofes que lana- |
türe faffe dans les eaux ; de méme
que la grande Cafcade & les differens
jeux d'eau du jardin d'Efte , font les
artifices les plus rares que nous puiffe
fournir l'art Hydraulique.Cetre chu-
te precipitée du Teverone a creufé
avec le temps les rochers, & formé
ces voütes , qu'on dit avoir fervi de
logement à la Sybille Tiburtine; car
Tivoli eft l'ancien 7;bur. En effet,au.
deffus de la Cafcade on void les reftes
d'un petit Temple, que quelques-uns;
affurent avoir été dedié à cette Sy=
bille ; d'autres auffi veulent qu'il l'ait.
été à Hercule , à caufe d'une infcri-M
ption qui s'eft trouvée dans cette Vil- 2
le, & qui eft confacrée à un Hercules
Saxanus, ccft-à-dire ,un Hercule du.
rocher , dont le Temple étoit fur le;
roc.En approchant de Tivoli on paf-:
fe fur un Pont, appellé Ponte Lucano
où il y a un beau Maufolée avec deux
ou trois grandes infcriptions de Plau-
tius Sylvanus Conful Romain,& l'un
deg
| € d'Italie. 49
des fept Intendans du banquet des
Dieux , à qui le Senat avoit accordé
le Triomphe pour les belles actions
qu'il avoit faites dans l'Illyrie.Nous
vimes dans la Ville quelques Infcri-
ptions & quelques Mafures,qui font
t. anciens titres de Noblefft,& dans
la Place deux tres-belles Status
d'un beau marbre granite rougeätre
& moucheté de eroffcs taches noi-
res , dont il ne fe trouve guere ail-
leurs de femblable. Elles reprefen-
tent toutes deux la Deeffe I(is adorée
dans l'Egypte,d'oà Hadrian les avoit
apparemment fait venir pour fervi
d'ornement à fa maifon de plaifance
de Tivoli, dont je parleray bien-tot.
Voilà ce que les Etrangers remar-
guet à Tivoli,mais il y en a peu qui
e mettent en peine d'aller voir ce qui
eft de plus curieux à demi-lieuë& de-
là; C'eft un petit Lac qui n'a que
quatre ou cinq cent pas de rour,mais
qui eft extremement profond, L'eau
en eft fort (οὗ rée , & produit un
ruiffeau de même, fur lequel on paffe
en allant de Rome à Tivoli. Cette
au apporte un limon qui s'attache
‘50 Voyage de Provence, E
ὃς s'endurcit dans le canal , & qui
boucheroit bien-tôt le paffage; fi on |
n'avoit foin de le nettoyer de tems
en tems. L'air d'alentour eft infecté.
de cette odeur foûfrée, ce qui fait |
qu'on luy donne le nomde Solfatara,.
& l'on s'y vient baigner de Rome
pour la guerifon de differentes mala-
dies, Mais ce n'eft pas cequ'il y a de
plus remarquable. Nous avions và
dans la carte de la Campagne deRo-
me, que le Pere Kirker l'appelloit le.
Lac des Ifles flotantes,& nous en in-
"formant à Tivoli , on nous donnoit
“des réponfes qui ne nous rendoient
"pas aflez fcavans , ce M nous obli-
'gea de nous en aller éclaircir fur le.
.lieu. Comme nous y arrivâmes,nouss
:decouvrimes dans ce petit Lac , une
‘douzaine d'Ifles au milieu, qui ne
‘nous paroifloient pas d'abord fe re-
muer , & nous craignions déja d'a-
“voir été pris pour dupes, lors qu'il fe
leva un petit zephir qui commença
de pouffer peu à peu ces Ifles de ηδ-
tre cóté, comme fi elles nous fuffent
venues à la rencontre pour nous ré-
procher nôtre incredulité, Elles font
& d'Italie. $1
à fleur d'eau, & toutes couvertes de
rofeaux , par lefquels nous en faifi-
mes une , pendant quel'un de nous
pafferoit deffus , ce que nous fifmes
tour à tour , & nous reconníüimes
qu'elles avoient de la folidité & de
l'épaiffeur , car nous n'en pümes pas
atteindre le fonds avec nos épées.
Auffi ce Lac, comme j'ay dit,eft fort
"profond , & on le juge par le temps
-que demeure à s'élever un boü llon,
que les pierres qu'on y jette pouffent
en haut. La plus grande de ces Ifles
ra environ 25.pas de long & τ΄. de
large,& les autres font un peu moin-
-dres, Pline fait mention de plufieurs
| Mles flotantes en divers Lacs d'Ita-
he, mais entr'autres d'une dans le
Lac Vadimonis , que quelques-uns
.eftiment être le Lac de Viterbe , ἃς
-d'autres celuy de Baffanelle.Il ajoüte
"que cette Ifle éroit chargée d'une
épaiffe foreft , & qu'on ne la voyoit
jamais de jour & de nuit dans le mê-
me lieu. Pline le neveu a fort galam-
-ment decrit ce Lac & fes Ifles flo-
«tantes, dans fes Lettres : c’eft à la 20.
du $.Liv. & on y remarqne beaucoup
σι
$2. Voyage de Provence,
de reffembläce avec celles dà Lac de
Tivoli,que nous décrivons. Le vieux
Pline parle auffi de quelques autres «
Yles dans la Lydie , qu'on nomme
Calamine, à caufe de l'abondance des
rofeaux qu'elles portent,cóme celles-
cy,dont je ne vois pas pourtant qu'il.
ait eu la connoiffance , & qui peut-
€tte n'étaient pas formées de fon
tems. Denis d'Halicarnaffe nous fait.
la defcription d'une Ifle dans le Lac
-Cutilinm, appellé prefentement Con-
tigliano , qui avoit go.piéds de dia-
metre , & un pied de terre au deffusM
.de l'eau, & qui portoit quelques ar-
briffeaux. Le peuple de Tivoli appel-#
le celles-cy des barquetes , parce
qu'elles fe peuvent gouverner com-
me des barques;& je ne fais point de
doute que fi le Lac étoit plus grand, |
elles ne fe puffent agrandir confide-
rablement , jufqu'à pouvoir porter!
des jardins & des forérs comme celle:
de Pline, & celles qui font auprés de:
.S.Omer, où il y a des habitans. Car:
.quand méme le terroir ne le fouffri-#
soit pas pour être trop humide, il fe
roit aifé d'y porter dcffus un pied ou.
e d Italie. 5
deux d'autre bonne terre. La raifon
qu'on peut donner de ces Iles flo-
tantes, eft, ce me femble,que ce Lac
| étant produit par des fources d'eau
foufrée, les boüillons qu'on y reníar-
ique élevent du limon rarcfié par le
foufre,qui furnageant & s'attachant
lavec des joncs & des herbages qui
's'amaffent dans ce marais , fe groffit-
ipeu à peu par de femblable matiere,
ὃς s'augmente par embas ; de forte
ique ces Ifles étant compofées d’une
terre poreufe & melée de ce foufre,
fe foütient de cette maniere fur l'eau,
& produit des joncs de méme que les
autres terres marécageufes. Mais de
quelque maniere que cela fe faffe, 1]
me femble toüjours que c'eft une
chofe tres-remarquable , & que les
Etrangers qui vont à Rome, ne de-
vroient pas negliger d'aller voir,
quand ce ne feroit que pour juftifier
line qu'on accufe de menterie plus
fouvent qu'il ne merite. Ce que j'en
dis icy obligera peut-être quelque
curieux à y faire d'autres nouvelles
remarques,
De Tivoli nous primes le chemin
3
VILL
HADR!
NI
$4. Voyage de Provence,
è de Ftafcati , & nous nous-detourná-
mcs un peu fur la gauche pour voir
les malures de Villa Hadriani , que
les Payfans appellent Tivo/i vecchio;
le vieux Tivoli ; ignorant que c'étoit
feulement une maifon de plaifance
de l'Émpereur Hadrian. Les Iefuites
- y ont converti en Cellier un Temple
ui en dcpendoit , & qui eft encore
Dre entier. Al eft quarré par dehors
& rond par dedans, de 5o.pieds feu-
lement de diametre; mais aix angles
il y a quatre reduits ménagez dans le
mur , qui fervoient ou pour confer-
. ver les ornemens du Temple,ou pour
les y cacher dans la neceffité, Nous
vimes enfuite deux ou trois Temples
à demy détruits,& une partie des ap-
pattemens du Palais , dont le dedans:
ne répondoit pas à l'idée que nous
avions conceue d'un bâtiment fi vafte-
& fi magnifique , comme on nous le
decrit. Car ce font plufieurs petites
chambres voütées de méme gran-
deur, où nous remarquâmes qu'il ne
paroiffoit point de cheminée. Au
refte l'Empereur Hadrian avoit bâti,
gomme Spartian le rapporte , cette
οὐ d'Italie. 5;
maifon de campagne , d'une maniere
fi galante, qu'il y avoit imite ὃς don-
né les noms des lieux les plus cele-
bres du monde, comme du Lycée,de
l'Academie, du. Prytanée , du Porti-
que,du Canope d'Egypte & du Tem-
pé de Theffalie. Ce nous auroit été
une occupation peu utile de nous,
amufer à debroüiller tous ces lieux-
là. Nous ne voulümes pas méme
nous opiniátrer à chercher les fon-
demens. de, cette muraille qu'il y.
ayoit bâtie, où l'on avoit le Soleil
| d'un côté, & l'ombre de l’autre, par-
| ceque c'étoit une chofe aifée en la
| difpofant du Levant au Couchanr.
Le bâtiment paroit tout de brique,
mais il pouvoir bien être revêtu de
marbre. Les ftatués d'Ifis de marbre
noir qu'on void au Palais de Maxi-
| mis à Rome, en ont été tirées, De là
fuivant nôtre chemin nous laifsámes
à main gauche le Lac de R.egilla, ce-
lebre par la defaite des Tarquins, &
yinmes à Frafcati.
Ce n'étoit autrefois qu'une mai- FRAS-
fon de plaifance de Lucullus , mais CATL
-€'eft maintenant une petite Ville avec
n "i 4 à
La Villa Borghefe y eft remarquable
par fes grádes allées de laurier à per-
te de váe,& par fes buftes & fes fta-
tués antiques. Mais celle du Cardi- -
nal Aldobrandin la furpaffe pour les
artifices d’eau. Nous allàmes voir |
les autres jardins , & primes enfuite |
ün guide pour nous mener aux ma- -
fures de Tufculum , qui eft à deux |
milles de là au deffus dela monta: |
gne. Il y a quelques mafures peu’
confiderables , & un bâtiment pref- #
que entier au deffus du grand che= .
min appellé le chemin vieux. Lan
tradition affure que ç’a été lamaifon |
de Ciceron. C'eft une des plus bel- #
les vües qui foient au voifinage de |
Rome , car elle eft à la cime de la
montagne , & l’on decouvre de là.
Caftel- Gandolfe , le Lac d'Albano,:
la Mer & toute la campagne de Ro- :
me. Les beautez & les agreables |
fraicheurs de Frafcati ne nous firent |
pourtant pas oublier qu'il nous fal- |
loit pourfuivre nótre voyage. Nous
pafsâmes par un gros Bourg appellé !
Marini, parceque c'étoit autrefois |
& d Italie. 57
une mailon de campagne de Marius,
& les Princes Colonnes y en ont
prefentement une, À quatre ou cinq
milles delà nous trouvàmes Caftel-
Gandolfe, qui eft un autre Bourg,où
les Papes ont un Palais. Nous y en-
trâmes, mais fans y rien trouver qui
meritát de nous y arréter long-tems.
La vûc en eft belle fur le Lac d’Al-
bano, le long duquel nous continuà-
mes nôtre chemin , en jettant quel-
- quefois les yeux fur l'endroit où de-
voit étre autrefois la Ville d'Albe-
Longue,entre le Lac & la montagne.
Il n^y a prefentementlà qu'un Con-
vent appellé Palazxuola , oul'on de-
couvre quelquefois en remuant la
terre quelques reftes de cette fameu-
fe Ville. )
ALBANO qui en a retenu le nom;; AL BA
| n’en eft qu'à deux ou trois milles: NO.
|. C'eft un Bourg affez joli , à qui une
_maifon de plaifance de Domitian a
. donné les fondemens. On y void
| plufieurs anciennes mafures , & par-
| ticulierement foüs les Capucins un
petit amphitheatre de pierre de tail-
| de; dont il refte quelques degrez. Les
e 5
$8 Voyage de Provence,
vins d’Albano & de Genzano tien-
nent rang entre les plus delicats qui
fe boivent à Rome , où nous retour-
nâmes par le grand chemin qui có-
toye l'ancienne via Appia , qui eft
encore toute remplie des reftes de
monumens placez de cóté & d'autre.
Ce chemin étoit beau & tiroità Ro-
me en droite ligne , pavé comme les
autres grands chemins de grans quar» -
tiers de pierre , dont l'on appergoit
les traces prefque dans tout le che-
min de Naples.
Il n'y a point de condition plus !
changeante que celle d'un voyageur, ἔ
Vn lieu ne commence pas plutôt à |
plaire, qu'il le faut quitter, Plus on |
demeure à Rome , plus on y trouve -
de charmes ; mais il m'en fallut par- |
tir pour me rendre à Venife , où j'a- |
vois rendez-vous avec trois Gentil{-
hommes Anglois, qui devoient s'em-
barquer avec moy pour la Grece. Je.
me ἀνὰ de la commodité des Cam- |
biatures , que je n'ay pas vàc établie
ailleurs qu'en Italie. On change de
cheval de pofte en pofte , mais on ne;
court pas,& vous n'avez beloin ni de
c d'Italie. $9
poftillon » ni de guide , les chevaux
vous rendant à leurs gites ordinaires.
. En un peu plus d'un jour je me VITER-
rendis à Viterbe , où je me fis condui- BE.
re d'abord avec la bote à 'Hótel-de-
Ville. l'y rencontray quelques Gen-
ülshommes du pays , qui me firent
voir le Portrait à frefque d'Anne de
Viterbe , qui s'eft rendu celebre par
{es fourbes dans la Republique des
Lettres. Les Sçavans ne doutent pas
qu'il ne foit l'Autheur des Livres mis
au jour fous les noms fupofez d’Anti-
quitez Babyloniques de Berofe & de
Chroniques de Manethon. Il faifoit
de plus graver des Infcriptions fur
des marbres en Grec & en Latin avec
des carackeres tres-difficiles , & les
faifoit enterrer. Et comme elles ve-
noient à étre découvertes quelques
années aprés, & les Scavans fe tour-
mentant l'efprit pour les expliquer,
il l'emportoit fur eux , & fe faifoit
eftimer par cette addreffe plus que
tous les autres, Len vids de cette ef-
pece qu'on a enchaffées dans le mur
de la Maifon de Ville à l'entrée d'u-
ne des chambres, L'une eft une re-
60 Voyage dePrwovence, — — |
vocation de Didier Roy de Lombar= |
die , des Decrets d'Aftolphe , que —
Gruterus a prife pour antique. L'au-
tre eft Greque, & parle d'un certain:
Temple de Cybele auprés de Viter-
be. La Ville n'a pas manqué pour
Fhonneur du pays d'y mettre un Elo-
ce & une explication , avec le titre.
de pierre tres-antique ; cependant, à |
mon avis , l'une & l'autre font des M
produétions del'efprit de cebon Re- M
ligieux. Ce qui rend méme la fourbe
trop groffiere,c'eft que les deux pier- .
res qui devroient être de deux fiecles M
bien éloignez l’un de l’autre , font #
d'une méme forte , d'une méme con- :
fervation , & d'un caractere fembla- :
ble , fort menu & d'une maniere qui
ne fe trouve pas ailleurs. f
Je pañfay enfuite Radicofani, une M
des plus hautes montagnes d'Italie,
fur la cime de laquelle le Grand Duc...
a une Fortereffe, qui confine avec les
Terres du Pape. |
TLO- FLORENCE eft furnommée la !
RENCE Belle, & ce n'eft pas fansraifon, La :
Galerie du Grand Duc eft une de fes
beautez qui me touche le plus.Apres.
e d'Italie... 61
avoir và à Rome un fi grand nombre
de Statués & de Buftes , je ne me fe-
rois pas imaginé d'en pouvoir trou-
ver encore là deux cent cinquan-
te ; &ily a parmy 5 quelques in-
fcriptions que le Cardinal de Medi-
cis avoit fait venir d'Afrique. On
me crut habile homme,parceque j'en
lüs quelqu'une mieux que l'Abbé -
Falconieri qui les a données au jour.
C'étoit toutefois une perfonne tres-
Ícavante , mais cc n’eft pas un grand
crime de faire quelque faute en co-
piant une Infcription. Autour de
cette Galerieil y a plufieurs cham-
bres, où l'on fait voir les trefors des
Grands Ducs. Il y en a quatre ou
cinq pleines d'armes, plus confidera-
bles parla qualité que par le nom-
bre. On y void une arquebufe d'or
maffif qui avoit été prefentée à un
Empereur. S'il y avoit encore quel-
que Heliogabale au monde, il ne
pourroit choifir d'inftrument pour
mourir plus precieux que celui-là ;
car nous lifons dans l'Hiftoire de cet
Empereur , qu'il avoit preparé un
4oignard d'or;& des vafes d'emerau-
62 Voyage de Provence,
de pour boire du poifon, au cas qu'il
füt obligé de fe tuer foi-méme. On
y void auffi des armes tres-precicufes.
prifes fur les Turcs par les Galeres
du Grand Duc. On conferve dans.
ce petit Arfenal un gros Aymant qui
tire beaucoup ; mais il y en aun à la
Cour du Palais , où le Prince fait fa
refidence , que les Etrangers ne re-
marquent pas,parce qu'il femble n'é-
tre qu'un gros quartier de roche , &
l'on ne jugeroit pas que ce fuft un
aymant. C'eft une pierre qui pefe
lus de cinquante quintaux , & fi
elle avoit de la vertu à proportion de.
fa grandeur, les effets en feroient fur-
prenans. Mais elle ne tire que tres-
peu, parce qu'elle a été gâtée du feu.
dans un embrafement. Sur ceíujet M
je vous diray un mot d'un autre Ay-
mant que jay vü à Avignon chez 6
le fieur Roftani , dont l'effet eft fort !
bizarre. Il n'eft pas fi gros que le |
poing, & ne tire pas plus d'une peti- !
te clef, quoy qu'il foit bien armé;
mais un couteau , ou quelqu'autre -
piece de fer qui en a été frotée , tire
quatre fois plus que ne fait la pierre |
j
e d Italie. 63
méme , dequoy j'ay và faire l'expe-
rience. Son maitre ajoütoit qu'elle
étoit merveilleufe pour toucher les
aiguilles de Quadran,& que fi on ve-
noit à mettre un autre aymant au-
prés, le fien le tuoit incontinent , &
luy faifoit perdre toute fa force.
Les autres chambres font remplies
de vaiffelle d'or & d'argent , de ta-
bleaux de Titian , de Raphaël & de
Carrache ; de meubles precieux , &
de plufieurs bijoux antiques & mo-
dernes. On n'y ofe plus guere mon-
trer le clou de fer, dont la moitié
avoit été changée en or , comme on
pretendoit , par lartifice de la Chy-
mie, parce qu'on a découvert que
tout le miracle confiftoit en la fou-
dure,qui joignoit imperceptiblement
ces deux metaux l'un à l'autre. Dans
la baffe-cour du Palais on tient le
Carroffe du Grand Duc , dont il fe
fervit à fon mariage. Les roües font
d'acier,& l'étoffe prefque toute d'or.
lamais Empereur Romain n'en eut
de fi riche. Auffi les Romains n'a-
voient-ils que de petits chariots fans
couverture, à la referve de leurs fem
64 Voyage de Provence, ——
mes qui en avoient d'approchans de
nos Carroffes. Mais on donnoit des
bornes à leur vanité , en ne leur
permettant d'avoir que deux mules
pour l'attelage.
Le Palais où le Grand Duc fe tient.
ordinairement, n'étoit que la maifon
d'un particulier de la famille des Piti,
mais qui meritoit bien de loger un fi
grand Prince. Les Curieux y admi-
rent moins les riches ameublemens,
que les platfonds peints par Pietro
de Cortone. Le Cardinal de Medicis |
qui vivoit encore quand je paffay à
Florence , eut la bonté de me faire
voir lui-même fes medailles, fes gra- 7
vüres & camayeux antiques,où j'ob- —
fervay des chofes tres-(ingulieres.
Vne autre de fes curiofitez étoit d'a-
voir recueilli les portraits de quanti-
té de fameux Peintres , faits de leur
propre main, & j'en vids une cham-
bre toute pleine. Le Jardin qui joint :
le Palais cft beau,fpacieux & en bel-
le vüe. Sur une hauteur qui cft dans
fon enceinte ily a une perite Cita-
delle , où le Prince tient fes deniers.
+ L T
‘La Bibliotheque du Palais eft: bien |
| e d'ialie 6
fournie , mais les manufcrits qu'on
tient à S.Laurens me plaifent encore
plus. On y garde un Virgile écrit du
temps de Theodofe, une Hiftoire de
l'Empereur Alexius Comnenus , &
une de Florence de Borghinius. Je
vous parleray d'un autre manufcrit
qui regarde mon métier , & qui eft
l'unique qu'on fçache de toutes les
Bibliotheques de l'Europe. C'eft un
| gros volume Grec , qui comprend la
Chirurgie des Anciens, cóme d'Hip-
pocrare, de Galien , d'Afclepiade, de
Bithynus, d'Apollonius , d'Archige-
nes, de Nymphodorus, d'Heliodore,
| de Diocles , de Rufus Ephefius ἃς
d'Apollodorus Citienfis , dans l'ou-
| vrage duquel il y a des figures pein-
tes fur le parchemin pour la maniere
de remettre les diflocations. Ce der-
nier, auffi bien qu'Afclepiade, Apol-
'lonius ὃς Diocles font.citez diverfes
fois par Pline , ὃς Galien parle fou-
vent d’Archigene, Mais nous ne
voyons point de leurs ouvrages en-
tiers ; & Bithynus, Nymphodorus &
Heliodore ne nous font prefque pas
connus de nom. C'eft affurement un
66 Voyage de Provence ,
grand trefor pour la Medecine &
pour la Chirurgie de trouver tous
ces Autheurs-là enfemble. Monfieur
Antoine Magliabeki eft Intendant de — |
ces deux Bibliotheques. Jamais hom-
me ne fut plus propre queluy pour .
cet employ, il a tous les Livres dans
fa téte, & connoit tous les Scavans
de l'Europe. La Chapelle de S.Lau-
rens où font les tombeaux des Ducs
doit être mife entre les plus riches
ouvrages de l'Tralie ; tout y eft mar-
bre, porphyre , lapis & chalcedoine.
La Chapelle voifine où font en at-
tendant les corps de ces Princes en
depót, a deux Mauíolées de Michel-
Ange, & àla place du Grand Duc il
y a fur une fontaine un Neptune tiré
par quatre chevaux marins qu'on dit .
étre auffi de luy.Le Dome eft grand,
mais il a peu d'ornement. L'Annon-
ciade eft fort jolie. Les autres Egli-
fes de S.Iean, du S.Efprit & de Sain-
te Marie meritent aufli d'être vües.
Ma curiofité n'auroit pas été fatis-
faite , fi je n'euffe trouvé des Infcri-
prions. J'en vids tant chez les Mar-
quis Corfini & Richardi, & à la Vi-
e d'Italie. 67
gne de l'Abbé Strozzi , que j'en fus
furpris, & auffi-tót apres je pourfui-
| vis mon voyage.
BOLOGNE n’a rien de defagrea- BOLO-
. ble que fon langage, qui eft le plus GNE.
corrompu de toute l'Italie. On mar-
che prefque par toute la Ville foás
| des Portiques , & aux Faux-bourgs
on en a fait depuis peu detres-fuper-
bes. Les Convents y font les plus
beaux du monde, mais entr’autres
celuy de S.Michel-au-Bois,eft le lieu
le plus agreable qu'on pourroit choi-
| fir pour y faire une penitence com-
| mode. Il y a dedans des Loges pein-
| tes par Carrache & fes Eléves , &
| dans lEglife un beau tableau du
Chevalier Guarcini, Monfieur Io-
feph Magnavacca Peintre & curieux
en medailles, me fit remarquer deux
| peintures à frefque de Guido Reni
| dans la grande Place , & fous le Pa-
| ]ais de la Iuftice quatre figures ex-
| cellentes de marbre de Iean Bologna,
| & une peinture de Carrache , qui fe
fent beaucoup des injures de l'air; &
une Sainte Cecile de Raphaël à S.
Ican-in-Monte. L'Eglife de S. Pro-
68 Voyage de Provence, Ὁ
cule. n'a rien de remarquable “que:
l'Épitaphe d'un certain Procule , qui
fut tué par la cloche de S.Procule
qui luy tomba deffus; ce qui a don-
né fujet à deux V ers anciens qu'on a
gravez de nouveau au devant de l'E-'
glife.
Si procul à Proculo Proculi campana’
fuiffet , |
Iam procul à Proculo Proculus ipfe
foret.
Le Cabinet d'Aldrovandus rempli
de produ&ions naturelles ὃς d'ani-
maux rares eft gardé à la Maifon de
Vile , & merite d’être và des cu- |
reux. Monfieur Lotier Banquier de
Bologne s'applique aux medailles à
fes heures de recreation. Il en a un
tres-beau Cabinet que je parcourus;
& j'y remarquay plufeurs pieces ra.
res , entre lefquelles je dois conter
deux Othons de cuivre , dont l’anti-
quité ne peut être conteftée. Il faut
laiffer dire aux ignorans qu'il n'y en |
a point d'Antiques, car tout le mon-
de s'ingere d'en dire fon opinion.
Pour ce qui eft de moy , je puis dire
que j'en ay và une vintaine dans mes.
E. εν e d'Italie. 69
«voyages , qui font indubitablement
| antiques. l'allay enfuite avec luy &
un aütre curieux nommé Monfieur
| Louys Borgolocchi , à la maion de
«campagne du Senateur Volta , pour
voir l'Infcription enigmatique d’Æ-
liaLzlia Crifpis, qui n'étoit ni hom-
me, ni femme, ni hermaphrodite;qui
n'étoit morte ni de faim , ni par le
fer, ni parle poifon , mais par tout
cela enfemble ; qui n'étoit ni dans les
ΠΟ eaux, ni au Cicl,ni en terre,mais qui
-.étoit par tout. L'infcription avoit
» été mife par Lucius Agatho Priícus,
qui n'étoit ni fon marini fon galant,
- nifon parent,mais tout cela à la fois,
& femblables colifichets qui font pi-
tié , mais qui ont ncantmoins exercé
l'efprit des Scavans de diverfes Na-
tions. Vn Philofophe de Padoue l'a
expliquée de l'eau de pluye.Vn Iuri(-
. confulte Flaman , de la matiere pre-
. miere. Vn Frangois,du Mercure chy-
. mique;& un Hollandois,de l'Amour.
| Au rapport de ce dernier il s'eft fait
. un recueil des raifons des uns & des
“autres, imprimé premierement à Pa-
| :doüe, & puis à Dordrect, Pour moy,
70 Voyage de Provence,
je les aurois voulu accorder en leut
prouvant que cette infcription n’é-
toit pas antique , quoy qu'ils fuppo-
fent tous fon antiquité , & j'aurois
tâché de leur perfuader qu'on ne doit
pas s'alembiquer le cerveau à des
penfées ridicules de quelque moder-
ne qui a voulu faire le bel efprit.
Aufli ce que l'on montre n'en eft
qu'une copie, & je ne püs apprendre
ce qu'étoit devenu l'original. Ie pre-
tens méme que celuy qui l'a fait
n'entendoit pas feulement l'eecono- |
mie des noms Latins ; car Zlia& |
. Lælia font deux familles differentes,
& Agatho Prifcus font deux furnoms |
fans avoir aucune famille jointe. |
Je bornay enfuite ma curiofité ἃς
voir en differens endroits de la Ville!
des infcriptions antiques, que Mon-#
fieur le Comte Valerio Zani avoit.
eu la bonté de m'indiquer. C'eft un.
Gentilhomme tres-curieux & ama
teur des Lettres , lequel a éré Prince |
ou Chef d'une compagnie de Sca-
vans de Bologne;à qui l'on donne le^
"titre d' Academia Gelatorum.Yen vids
une entr'autres au Palais Albergati 1
À
|
1
e d'Italie. 71
d'un certain Tzz& Anviafins Servan-
d#s, qui avoit legué pour l'entretien
d'un Bain public bâti par Augufte,&
rétabli par Germanicus , quatte cerit
fefterces, qui font plus de vingt-cinq
mil écus de nótre monnoye ; car un
fefterce fe prend ordinairement dans
les infcriptions pour mille petits fef-
terces : comme on peut le voir dans
les origines de la langue Latine de
"Voffius. Auffi eft-il vray que les An-
ciens étoient fort fuperbes dans leurs
Bains, de méme que les Turcs le font
aujourd’huy. De Bologne je m'em-
barquay fur le canal pour Ferrare.
FERRARE eft une grande Ville, FERRA
& aflez belle, mais elle eft mal-faine RE.
'& mal peuplée. De là par des canaux
& par le PG on fe rend dans les La-
'gunes de Venife , où j'arrivay quel-
‘ques jours avant l'Afcenfion.
VENISE a quelque chofe de fi fin- ΨΕΝ]-
'gulier dans fa fituation , que quand SE.
"On auroit couru toute la Terre,on ne
| pourroit pas dire d'avoir yà aucune
Ville qui luy reffemble. Celles de
Hollande ont bien quelque chofe
'd'approchant à caufe de leurs Ca-
font en terre ferme , & que celle-cy
ft dans la mer. 1 εἰ vray que c'eft
ceux de terre ferme. ‘Le clocher de «
.S.Marc en eft une preuve tres-affu-M
rée, & il eft fi haut, qu'on découvre
mulo & affez grande. Elle cft bà-]
fur les côtez. On ne void point ail-
.leurs rant de Mofaique ancienne , &
les parois & les voütes en font tou-
tes incruftées en dedans. Les quatre
-chevaux de bronze dotez qui font à
da façade , furent, emportez par lesil,
72 — Foyage de Provence,
naux ; mais la difference eft qu’elles
une mer fort baffe , que les Italiens |
appellent des Lagunes , ce que nous
pourrions peut-étre nommer des Ma-
rais ; & neantmoins quoyque les bá- í
timens n'ayent de fondement que fur
1
À
}
le fable & le limon , ils ne laiffent |
pas d'avoir autant; de folidité. que”
dans un temps ferain les autres Vil-M
les qui font de la Iurifdi&tion de Ve-W
nife, jufqu'à dix ou douze lieues d'é- |
tendue. T
L'Eglife de S. Marc eft auffi fort:
Il
n
Venitieng
|
e d'Italie. 73
Venitiens au fac de Conftantinople,
Conftantin les avoit fait venir de
Rome pour mettre [ur um arc de
triomphe qu'on luy avoit dreffé, les
ayant ὅτε de celuy de cron , fur
lequel ils étoient placez ; comme on -
ἰδ reconnoit ἀπ revers d'une de fes
medailles.
- Le Palais Pifani à la place S.Etien-
ne a une des plus belles façades qui
fe voyent en Étalie, & ἢ y a à pue
te deux Hercules de marbre qui font
| parfaitement beaux. Ceux de Moro-
fini & de Loredan à la méme Place
| font auffi d'une manicrc bicn. galan-
|te; mais je ne veux pâs m'engager
dans un détail que d'autres ont déja
fait. Ie vids dans celuy de Rofini un
des plus beaux Cabinets du nionde
em medailles , agathes & tableaux
fins. Εἰ faudroic des volumes entiers
pouf donner une lifte exacte de ce
qu'il y a de rare à Venife dans ces
forces de curiofitcz;car pour Le grand
mombré de beaux tableaux , il eft
'conftant qu'elle palfe toutes Ies Vil-
les d'Italie ; & qu'elle le peut au
noïns difputer à Rome; & pour ce
D
|
74. Voyage de Provence,
qui eft des medailles , il n'y ἃ point
de V ille dans l'Europe où il y ait plus
de curieux qui les aiment, On void |
dans la grande Sale de l’Audiance
ce fameux tableau de Teintoret , qui |
reprefente le Jugement univerfel, & «
quantité d’autres de Paul Veronefe, |
du Baffan & Zuccaro. Le Convent :
de S.George conferve encore comme «
un trefor une Noce de Cana de la |
main du premier. L'Eglife eft tres- 4
bien bátie, & la Bibliotheque eft des
mieux fournies que l'on puiffe voir. |
. Jay dit qu'il y avoit beaucoup de
curieux de medailles à Venife, & voi- |
cy les noms des principaux. -Le Pro-
curateur Iuftiniani en a un Cabinet |
affez ample. La famille des Capello ;
a herité de celuy d'Erizzo, qui en a.
compofé un Livre. Monfieur Geor- 2
gio Barbaro en a fait en peu de tems 2
un recueil des plus confiderables.s
Meffieurs Morofini,Garzoni, Zani,le”
Baron de Taflis, le Docteur Bon , &!
d'autres Nobles en ont auffi : fans:
oublier le bon homme Francefco Ro
ta,qui en fournit ces Gentilshommes,
& qui m'en procura la connoiffance.!
A
1
-
|
V
rab Iur “τς
ne. miens © À
e d'Italie. 7j
La Bibliotheque de S.Marc eft une
des premieres de l'Europe pour la
quantité de manufcrits Grecs; laiffez
la plus grande partie par Le Cardinal
Beffarion Grec de Nation. Le Vefti-
- bule eft orné de ftatués, de buftes ὃς
. d'infcriptions antiques , & le dedans
. de cartouches peintes delicatement.
| L'Abbé Gradenigo Candiot de Na-
tion,qui eft un hóme fort civil;en eft
Bibliothecaire, Apres qu'il m'eut fait
voir les plus rares de ce lieu-là , fça-
chant que la curiofité étoit l'unique
objet de mes voyages , il me mena à
l'ancienne maifon d'Erizzo, pour me
faire voir cinq ou fix infcriptions ap-
portées autrefois de Grece;parmi lef-
quelles il y a l'Epitaphe de Diogene
| le Cynique, avec fon chien gravé (ur
la pierre. Celuy du Poëte Anacreon,
qui s'étoufa en avalant de travers un
| grain de raifin. Il fe trouve pourtant
imprimé dans Theocrite , & l'on ne
| fgait fi le Poëte l'a pris du marbre;ou.
Ἢ le marbre l’a pris du Pocte, Le
| Palais Grimani cft enrichi par dehors
| & par dedans de dépoüilles fembla-
bles d'Aquilée & de la Grece , car il
| D 2
76 Voyage de Provence,
v a des buftes, des ftatués & des in-
-
fcriptions antiques. > ς |
Pour ee qui cft des Eelifes , celle |
de la Salue eft la plus fuperbe pour
V'Archite&are , quoy qu'elle ne foit
pas encore tout-à-fait finie. Celle de
$.Ican δὲ S.Paul a une place au de-
vant; où eft la ftatueà cheval de Bar-
thelemy de Bergamo , fameux Gene-
ral des Venitiens, Dans: cette Eglifé |
il y'a un tableau de Tirian,quirepre- |
fente.le' crucifiment de S. Pierre, |
Tout joignant eft l'Ecolede S.Marc; M
où il yen: a de cres-beaux , & en ge: M
neral ceux qui aiment la Peinturene M
doivent pas oublier de vifitér toutes.
ces Ecoles qui en font ornées. 1
Je fus à Venife pendant toutes les |
Fétes de l’Afcenfion,qui commencent |
pat la promenade que le Doge & les
premiers de l'Etat vont faire fur la.
mer, montez fur le Bucentaure. C'eft. 6
uneefpece de Galere à deux étages,
enrichie tout autour de feulprure de!
bois dore. On tient qu'elle à coûté.
cinq cent mille livres, & le tapis.
αὐδῶ érendi fur le dernier couvert, 1.
toinme. les: houfles qu'on: jette: fur | |
© dale ^ 97
Y'imperiale des carroffes de nos Prin-
ces , eft de velours rouge cramoifi
avec de larges bandes d'or & une
crépine de même étofe qui regne à
lentour. On ne void que la parrie
des rames qui touche l'eau, fans
voir ceux qui les manient, & en ge-
neral toute la fabrique de cette ma-
gnifique Galere eft admirable. On ja
tient toute l’année dans l’Arfenal
{oûs un couvert , d’où l'on nc la tire
que deux jours avant la Fête de l'Af-
cenfion,lorfque le Prince avec le Se-
nat & les Ambaffadeurs va époufer
la mer, ὃς témoigner a tout le monde
| par cette pompeufe ceremonie que la
Republique eft maitreffe du Golphe,
| comme clie l'étoit autrefois de tout
| le commerce d'Orient. Deux Galeres
& une Galeace fuivirent le Bucen-
taure cette année-là , avec une quan-
uté de peouques & de gondoles, qui
font les carroffes de Venife. Il y en
avoit julques à quatre ou cinq mille,
& cela faifoivun tres-bel effet. Tout
ce Cortege s'en «a au delà de l'écueil
de Lido, & aprés s'étrc avancé envi-
ron un mille dans la haute mer , le
D 3
78 Voyage de Dalmatie , j
Doge époufe le Golfe de Venife ou !
la mer Adriatique, enjettant dedans.
un anneau d'or avecces parolesLa- |
ünes : Sponfamw te mare nofirum ΤῈ
fignum «eri & perpetui. Doming: c'eft-.—
à-dire; Nous vous époufóns nôtre mer,
pour marque d'une veritable c perpe=
telle Seigneurie. Le Patriarche don- |
ne la benediction au bruit des ca-
nons , des mortiers & des arquebu-
zades, & toute la compagnie vaoüir |
la Meffe à l'Eglife de Lido. Enfuite
on s'en retourne au Palais,où le Do- }
ge traite les Senateurs & les Procu- M
rateurs de S.Marc 5 pour ne rien ou- |
blier de la ceremonie d'un mariage. M
RÉSISTER M
LFVRE II }
Voyage de Dalmatie, de Zante, e»
autres Ifles des Venitiens ,&
de Conffantinople.
Gi Pnrs les réjoüiffances de.
245) l'Afcenfion, nous áprimes que
le Baile ou Ambaffadeur. des Veni- |
& de I Archipel. 79
tiens, partoit dans peu de jours pour
Conftantinople. C'étoit un Morofi-
ni qui a été Ambaffadeur en France,
ou Monfieur Vernhon Gentilhomme
Anglois qui devoit faire le voyage
avec nous , l'avoit connu ; de forcé
qu'il fe chargea de nous faire embar-
quer avec luy , l'occafion étant trop
favorable pour la negliger.
Le 20.de Iuin 1675. on nous vint
avertir qu'il falloit partir , ὃς nous-
nous rendimes incontinent fur une
|. Galere du Baile. Elle portoit pour
enfeigne Hercule au berceau, & étoit
commandée par un Gentilhomme
Venitien appellé Benedetto Sanuii,
Le Baile paffa detfus jufqu'au lende-
main qu'un de fes patens luy amena
la fienne. On fit voile fur le minuit,
& le vent étoit fi doux , qu'à peine
s'apercevoit-on qu'on avangàt. Nous
ne laifsàmes pourtant pas de nous
trouver le lendemain à la vüe de [1-
ftrie, Deux heures avant midy nous
donnámes fonds à l’écueil de S. An-
dre, où il y a un Convent de S.Fran-
| €ois dans une vüe tres-agreable que
| forment les bofquets de cette petite
D 4
R O V-
ViGNE
P OL A.
$o Voyage de Dalmatie ,
Id». On compte de Venife jufques-
là environ quatre-vingt mille.
. ROVVIGNE eft une petite Ville |
tout joignant l'écueil de S. André,fur
une langue de terre , dont le terroir
yoifin cft tres-fertile en vignes & en
oliviers. Le vin y eft bon,& je crois
que c'cft la raifon pour laquelle on y
void quantité de boiteux , parceque
le vin violent eft le pere & le nour- -
ricier de la goute & de la fciarique. M
Les femmes y portent des vertuga-
dins à 'Efpagnole , qui les rendent
effroyables.
POLA où nous allàmes moüiller
le lendemain,eft une des plusancien-
nes Villes del'Itrie, & ellefe fent
2uffi beaucoup de fon antiquité. A
peine y a-t-il maintenant fept à huit
cent habitans,& ἢ l'on n'y voyoit pas
des marques de fon ancienne gran-
deur, perfonne ne croiroit que c'eüt M
été une Republique , comme je l'ay
appris d'une infcription gravée fur la :
bafe d'une ftatuc de l'Empereur Se- M
vere , où elle eft appcllée Refpublica | |
Polenfis. Ce marbre eft à la Cour du
Dome , & on faillit à le mettre aux |
— (er de l Archipel. 8t
fondemens du clocher qu'on y bâtit.
Ce Dome(c'eft ce qu'autrement nous
appellons Eglife Cathedrale) a été
bâti apparemment fur les ruines de
quelque Temple Payen , car nous
xrouvâmes auprés, des reftes de co-
lonnes , de chapiteaux & d'infcri-
puons antiques, & un petit baffin de
Fontaine fort ancien, qui fert prefen-
tement de benétier. Pola felon le
Poëte Callimachus a été une colonie
des peuples de la Colchide qui pout-
fuivoient les Argonautes;car ne pou-
vant fçavoir ce qu'ils étoient deve-
nus, ils n'oferent retourner vers leur
Roy, & fe bannirent volontairement
de leur pays, ce qui donna le nom de
Pola à la Ville qu'ils bâtirent , Pola
fignifiant en leur langue des gens ban-
7:5, comme le remarque Strabon. On
eft en peine du chemin qu’ils tinrent
pour venir en ce lieu-là ; car quel-
ques Autheurs veulent qu'ils ayent
remonté le Danube appellé ancien-
nement Zf/er , ce qui leur fit donner
le nom d’/ffrie à la Province qu'ils
vinrent habiter , ὃς qu'eníuite ils f-
rent voile dans la mer Adriatique
D ;
82 Voyage de Dalmatie ,
avec leurs mêmes vaiffeaux,ce qu'ils !
ne pouvoient faire qu’en les char-
geant fur les épaules , le Danube.
n'ayant point de cómunication avec
ce Golfe. Quoy qu'il en foit,les an-
tiquitez qui paroiffent à Pola ne font
point des fiecles fi reculez,mais feu.
lement du temps des Empereurs R o- |
mains, Proche de laPlaceil y aun |
petit Temple avec quatre colonnes |
Corinthiennes à la façade , & huit |
aux cótez , & une frifc de feuillages M
qui regne autour, fort bien executée. |
Le peuple dit que ç’a été un Temple |
de Diane ; mais mes yeux me repre-m
fenterent la chofe autrement ; car jy
vids fous le fronton l'infcription dew
fa dedicace à Rome & à Augufte. M
Auffi les noms du vulgaire nous fer-
vent peu à reconnoitre les Antiqui-
tez. En voicy deux autres exemples
dans cette méme ville de Pola.L'Am- |
phitheatre appellé l'Orlandine ou
Maifon de Roland, & une efpece
d'arc de triomphe qu'on nomme /4
Porta dorata. M fert maintenant de
porte à la Ville, & n'en étoit pas au-
iefois un des moindres ornemens
P. #3.
CN SERGIVSCF|
L SERUIVS C!
AED. HIVER
AED uv are
-——
: Vae
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iid td
D
I. Lii NA
e de I Archipel. 85
Il avoit été erigé à l'honneur d'un
certain Sergius Lepidus par les foins
de fa femme. Quant à l'amphithea-
tre, il eft à peu prés de la grandeur de
celuy de Rome,& tout bâti de belles
pierres d’Iftrie,à trois rangs de fené-
tres l'une fur l'autre, & il y en a foi-
xante & douze à chaque rang. L'en-
ceinte en εἰ fort entiere , mais il n^»
paroit aucüs degrez,& l'on tient auf-
fi qu'ils étoient de bois. Palladius
dans fon Architecture en a donné le
plan & les dimenfions , que je n'en-
treprens pas de corriger. Les Veni-
tiens envoyent un Gouverneur à Po-
la, & il porte le titre de Comte. Ils y
ont bâti une petite Citadelleà qua-
tre baftions,& l'ont laiffée imparfai-
te,n”y tenant dedans que dix ou dou-
ze foldats, qui craignent plus la fa-
mine que la guerre. Le voifinage de
Venife fait leur feureté, :
Le foir de la S.Iean nos Galeres fe
remirent à la voile , mais ayant trou-
. vé le vent contraire,elles relàcherent
à fix mille plus avant au Port de la
Veruda , & le jour fuivant nous tra-
;wersames le Golfe de Guarneret lar-
(0 Cw RNC — REIECTA VE
ZAÀR A.
84 Voyage de Dalmatie,
ge de dix-huit milles. La bourrafque
nous y prit à moitié canal,mais nous
en fümes quites pour la peur. Les
Galeres ne font pas propres à refifter
au mauvais temps , comme les autres
bátimens; neanmoins les Venitiennes
font meilleures & plus fcures que cel-
les d'aucun autre pays, parcequ'elles
ont par tout le boifage double. Le
vent ne nous étant pas tout-à-fait
favorable, nous fümes encore deux
jours avant que d'arrivet à Zara, qui
eft à cent milles de Pola, & à deux
cent de Venife, On void en chemin
plufieurs Ifles & plufieurs Ports à
l'abry des écucils qui les forment, &
pluficurs Bourgs & Villages de Dal-
matie ; entr'autres l'Vlbo,Selva peti-
te Ville affez jolie habitée de riches
marinicts, & S.Pierre de Nembo, où
il y a une tour ceinte de murailles,&
gardée par douze ou quinze foldats.
Nous entrámas à Zara au bruit des
-canons & de la moufqueterie , qui
faifoient honneur au Baile. Le Com-
'te & le Capitaine des armes le vin-
rent recevoir au fortir de la Galere,
& le mencrent au Palais du Genera)
οὐ de P Archipel. 8;
de Dalmatie, qui le traita fomptueu-
fement & le mena voir la Ville. Mais
il ne luy donna pas la droite , parce-
que les nouveaux Bailes n'entrent .
pas dans la fonction de leur charge
qu'ils ne foient arrivez à Andrino-
ple, & que leur Predeceffeur ne les
ait inftallez. On arrive à Zara par un
beau & grand canal de mer , qui cft
entre les [fles & la Terre-ferme. La
Ville eft affife dans un lieu plain fur
une langue de terre , qui n’eft atta-
chée au Continent que par un Ifth-
me de vingt ou vingt-cinq pas, qu'il
leur feroit aifé de percer. Elle a de
ce côté -]à une Citadelle tres bien
fortifiée , avec trois Baftions minez
& contreminez , couverts de bonnes
Demi-lunes & contrefcarpes. Il y
avoit alors dans la Ville huit compa-
gnies d'Infanterie, & trois de Cava-
lerie tres-lcfte | compofée d’Efcla-
vons, de Croates,& de Tramontans.
- Auffi c'eft la Capitale, & une des
meilleures Places de ce que la Repu-
blique poffede dans la Dalmatie , le
Turc pendant la guerre de Candie
. wen ayant jamais approché 9 fans y
recevoir de la confufion,
86 Voyage de Dalmatie ,
Zara s'appelloit anciennement /4-
_ dera, & joüiffoit des droits de Colo-
nie Romaine. Ey lás une infcription
antique , où l'Empereur Augufte eft
qualifié du titre de pere de cette Co-
lonie, & il y eft ajoüté qu'il en avoit
fait bitir les Tours & les murailles.
Proche del'Eglife des Grecs appellée
S.Helie, je vids deux belles Colon- :
nes canelées d'ordre Corinthien ,
dont la bafe, le plinthe , le chapiteau
& l'architrave font également de
bonne maniere, On juge que c’eft le M
refte d'un Temple de Junon par une
infcription qu'on à trouvée proche
delà, & que je vids dans l'ancienne
Eglife de S.Donat. La porte de Saint
Chryfogone cft compofée d'une par-
tie d'Arc antique tran(porté d'un
quart de lieu? au delà. L'infcription
nous apprend quecet Arcétoitchas- M
σέ de quelques ftatués , qu'il y avoit M
en cét endroit-là un Marché, & qu'u-
ne ceitalne Zdelia Anniana Yavoit
erigé à l'honneur de fon mary Lap;-
cius Baffi ; ce qui donne à connoître
que la Ville avoit alors beaucoup
. plus d'érendué qu'elle n'a prefente«
IN MEMORIAM Q.LAEPIC Q-F-SERG. BASST MARITI κ᾽
EMPORIVM STERNI ET ARCVM FIERI ET 5 TATVAS SVPERPOM TEST, IVS5TT EX s
e de ἢ Archipel. “87
ment, le tour de fes murailles ne fai-
fant pas plus de deux milles d'Italie,
& le nombre de fes habitans ne pou-
vant guere monter qu'à cinq ou fix
mille.Dans l'enceinte d'une demi-Lu-
ne il y avoitun refte d'Amphitheatre,
dont on ne void maintenant aucun
veftige, ayant été détruit pour regler
la fortification. Les Romains ne
pourvoyoient pas tant au divertiffe-
ment, qu'ils ne pourvátfent davanta-
ge au neceffaire, L'eau manquoit à
la Ville, & méme prefentement il n'y
a que des citernes. Pour remedier à
ce defaut ils avoient faitun Aqueduc,
| qui menoit l'eau de dix lieués loin
delà. Il en refte quelques mafures,
proche defquelles Monfieur l'Archi-
diacre nous affura qu'on avoit trou-
véun fragment d'infcription de l’Em-
pereur Trajan , qu'on jugeoit par là
en avoir été l'Autheur. Cét Archi-
diacre s'appelle Vz/erie Ponte , hom-
me fçavant , & qui poffede bien l’hi-
.ftoire de fon pays. Il me fit voir par-
mi fes Livres un manufcrit des in-
fcriptions d'Iftrie & de Dalmatie. Le
; Comte ou Gouverneur qui commane
88 Voyage de Dalmatie,
doit alors à Zara étoit un Noble Ve-
nitien nommé Antonio Soderini, tres=
civil & obligeant. Α nôtre arrivée
nous fümcs d'abord à la feule hôtel-
lerie qui eft à Zara , où nous aurions |
été tres-mal logez ; auffi ne va-t-on |
pas en ces pays-là pour chercher fes |
aifes. Nous avions une lettre de re-
commandation pour voir le Cabinet
de ce Gentilhomme, & la luy ayant
été prefenter , il nous receut avec |
beaucoup de civilité , & nous retint
à fouper. Cependant il envoya que-
rit nos hardes , & nous fümes tout
furpris comme nous voulions retour- -
ner à notre logis , qu'il nous avoit
deftiné un appartement dans fon Pa- -
lais. Illa vá tout le Levant, & en a.
rapporté un Cabinet de medailles
confiderables. Ce qui vous furpren-
droit dans cette abondance de belles
chofes,ce feroit d'y voir cinq Othons
de cuivre indubitablement antiques,
& cela me fit reffouvenir de nôtre
incomparable Monfieur de Pcyresk.
Dans le temps que les Antiquaires
croyoient comme un article de Foy,
“qu'il ne fe trouvoit point de ces
c de ἢ Archipel. 89
Othons de cuivre antiques, il luy en
vint une flote du Levant. De cinq
qu’il en avoit,Monfieur le Procureur
General de Paris en aquit deux.Mais
le plus beau n’eût pas une fi bonne
| fortune ; car l'heriner de Monfieur
de Peiresk s'étant defait du Cabinet,
il fe referva un Othon , parce qu'il
avoit oùi dire que c'étoit une piece
rare, Il le porta long-temps dans fa
poche , pour le faire voir à fes amis,
& une fœur qu'il avoit dans un Clot-
tre l'ayant prié de le luy laiffer pour
quelques jours , incontinent aprés
elle tomba malade, ὃς mourut. On fe
reffouvint de cette medaille d'Othon,
on l'alla chercher parmi les hardes
de la defunte , mais on n'en pót j2-
mais apprendre aucune nouvelle,
Si vous voulez qu’enfuite je vous
parle des excellens tableaux qui fe
voyent dans les Egliíes de Zara, je
vous diray qu'au Dome , qui eft un
allez bel edifice , on me fit voir une
peinture de la Sainte Vierge avec
S.Pierre & S.Antoine, de la main du
Tintoret, & un autre tableau du Pal-
ma.À Sainte Catherine un du Titian.
9o Voyage de Dalmatie,
A S.Dominique, un S.Ieróme & une
Sainte Magdelaine du méme Palma,
lzsus enfeignant danslaSynagogue |
peint fur le bois des orgues par le
Schiavonetto.A Sainte Marie,S.Picr-
re & S.Ieróme duPalma, S.Frangois
du Tintoret. Vn tableau dela Sainte
Vierge du Diamantini , & un S.An-
toine du Padoüanin. Dans l'Eglife
de S.Simeon au deffus de l'Autel eft
un corps Saint V Lade de ludée.Les *
gens du pays dilent que c'eft S.Si-
meon qui porta Notre-Seigneur dans .
fes bras. On nous le découvrit à |
caufe du Baile qui y entendit la Mef- i
fe,& quand elle fut finie,nous l'allà- M
mes voir. La Chaffc a un cryftal au |
devant,& le corps paroit tout entier
avec la chair deffechée , mais route- !
fois affez blanche. Les habitans le !
tiennent pour leur Prote&eur, & le
portent quelquefois en proceflion
par la Ville. |
La campagne voifine eft affez bien
cultivée , mais depuis que ceux de
Zara ont eu des actes avec
les Turcs , on n’y a point laiflé d'ar-
bres. La montagne appellée la Mor-
& de L'Archipel. ΟἹ
laque qui regne le long dela Dalma-
tie eft habitée des Morlaques fujets
de la Republique , autrefois fugitifs
d' Albanie , gens determinez & infa-
tigables, qui ne demandoient pas
| mieux pendant la guerre, que de ve-
nir aux mains avecles Turcs. Vne
poignée d'entr'eux faifoit des partis
pour aller facager quelque Village,
& ils en revenoient toüjours char-
gez de butin. Ce font des gens fi ro-
buftes , que les chemins étant tres-
mauvais dans leurs montagnes,& les
chevaux courant quelquefois rifque
de fe rompre le col, quatre d'entr'eux
porteront un cheval une vingtaine de
pas en l'embraffant fous le ventre,
Des perfonnes dignes de foy me l'ont
affuré, & méme quelques-uns de ces
Morlaques, de qui je m'en fuis parti-
culierement informé, Quoy qu'il en
foit, ils ont la mine terrible, & ils ne
viennent point au marché avec leurs
denrées , qu'ils ne portent avec eux
leur fabre & leur carabine. Ils par-
lent Efclavon , & fuivent la plüpart
Ja Religion des Grecs.
Le jour qui fuivit nótre depart de
o» Poyage de Dalmatie ,
SEBE- Zara nous mena aux environs de Se- À
NICO.
benico. C'eít la plus forte place de |
la Dalmatie, avec quatre bonnes Ci- 4
tadelles. L'une eft au Port , & s'ap-
pelle S.Nicolas. La feconde com- |
prend les ouvrages qui renferment la !
Ville. Les autres deux {ont fur deux |
eminences voifines,& on les nomme |
S.André & le Baron. La Ville peut
contenir fept à huit mille ames; mais
avant la pefte il y en avoit prés de
vingt mille, & le pays d'alentour eft M
bien cultivé. Le Dome eft tout de M
- marbre & d'une belle Architecture, M
L'écueil d'or vis à vis de la Ville eft
une Ifle tres-aercable & tres-bien M
peuplée. De Zara à Sebenico l'on M
compte $o.milles , pendant lefquels
nous côtoyâmes Bibigne, S.Caffian, M
la Torrette, Zara vecchia, & Morta- *
τὸ qui porte en abondance des muf- M
cats & des olives. Dé Sebenico à |
Traou on va par canal entre la Terre M
ferme & les Ifles de Girona & de «
Bratza. Celle de Bua joint Traou,&
on l'appelle auffi l'Ifle des perdrix, à
caufe de la grande quantité qu'on y 4
en trouve, On les envoye pour la |
e de l' Archipel. 93
| plus grande partie à Venife falées ὃς
encaquees dans des barils comme des
| harangs.
| — TRAOV eft connu des Anciens
foûs le nom de Tragurium, & Ptolo-
| mée & Strabon en parlent comme
d'une Ile. Jean Lucius a montré que
| ce n'étoit qu'une Peninfule,& que le
| canal qui la fepare du Continent cft
| un ouvrage de l'art,& non pas de la
nature, Ce Monfieur Lucius eft un
Gentilhomme: de ce pays-là que j'ay
| €u l'honneur de connoitre à Rome;
où il s'eft habitué, Sa patrie luy cft
obligée de l'avoir tirée des tenebres
| de l'Antiquité, par l'hiftoire qu'il en
€fate. H a fait auffi imprimer les
infcriptions de Dalmatie ὃς d’autres
fçavans traitez. Nous étions arrivez
| à Traou à l'heure du dîner , & nous
| cherchions un logis;,lors qu'on nous
dit qu'il nous falloit pourvoir autre-
| ment à nôtre diner., & que ce n'étoit
pas la coûtume en ces: pays-là de te-
nirhótellerie. Le compliment étoit
: fec pour des gens qui ne mauquoient
pas d’appetit; neantmoins par grace
6n nous conduifit en -un endroit de
TRAOV.
94 Voyage de Dalmatie,
la Ville où l'on vendoit fimplement
- du vin,& l'on nous fit entrer dans le
corps de logis au deffous.Nous nous
étonnámes de voir cette maifon qui
eft affez belle , & qui a la vàe fur la
mer, toute vuide & comme deferte, :
& nous fümes encore plus furpris,
quand on nous eut dit que c'étoit la.
imaifon de ce Monfieur Lucius de qui -
je viens de parler.ll y a plus de vingt-
cinq ans qu'il l'a quittée , à caufe de |
lincivilité dun General de Dalma-
tie, lequel étant venu à Traou,luy fit M
fçavoir qu'il vouloit loger dans cet-
te maifon. Le Gentilhomme s'ap- —.
rétoit à le recevoir , & fe refervoit |
dent un appartement mediocre. *
Mais Monfieur le Provediteur tran= «
chant du Souverain envoya inconti- M
nent aprés,fes gens pour mettre tous
les meubles dehors. Cette incivilité
le fàcha tellement, qu'il partit auffi- ὦ
tôt de ce pays-là , & qu'il n'ya ja-
mais voulu revenir. | :
La Ville eft en affez bel afpe&, & «
principalement le Fauxbourg qui cft
fur l'Ifle de Bua. Elle peut renfermer M
tnviron quatre mille ames. Le Dome :
| εὐ del Avchipel. 95
n'eft pas laid , & la porte a été tirée
des dépouilles de la Ville de Salone,
qui eft à douze milles de là. Ily a
dans cette Eglife quelques Statues
d'affez bonne main.
Au refte nótre Galere ne vint pas
donner fondsà Traou,mais nous pri-
mes à Spalatro une Barque pour y al-
ler. Ce fut principalement pour y
| voir un manufcrit qui a fait grand
bruit dans la Republique des Lettres
il n'y a pas fort long-temps.C'eft un
fragment de Petronius Arbiter , qui
| manquoit à fes ouvrages imprimez.
Comme en n'avoit jamais và cette
piece, on s'imagina qu'elle étoit fup-
pofée , & un jeu d’efprit de quelque
Sçavant , qui avoit imité le ftile de
| Petrone, Monfeur de Valois étoit
un de ceux qui la tenoient pour fuf-
pe&te, mais Monfieur Lucius & l'Ab-
bé Gradi de Rome étoient de fes par-
| tifans.Ainfi,côme s'il εὖτ été queftion
de reconnoitre un Prince , l'Europe
| étoit divifée en trois partis. L'Italie
& la Dalmatie la portoient;la France
& la Hollande la dcfavoüoient, &
l'Allemagne fe tenoit neutre ; car le
96 Voysee de Dalmatie, |
doc&te Reinefius fit un. commentaite |
fur ce manufcrit , fans ofer neant-
moins rien prononcer {ur fon anti-
quité.Monfieur le Docteur Statilius
dans la Bibliotheque duquel cet oria
ginal fe trouve,eft un homme de ine-
rite,qui en auroit pü parler pertinem-
ment , fi fes maladies ne l'en euflent M
empéché ; ὃς Monfieur de Valois à M
eu tort de le haee pour un jeune M
homme , puifqu’il eft du moins pre-
Íentement âgé de foixante ans. Jene
veux pas remuer les cendres de cette
guerre , quoyque l'effet n'en pát pas
être fi funefte que de celle des Grecs
& des Troyens , mais je ne laifferay |
pas d'enrapporter ce que j'en ay re» M
marqué. Ce manufcrit eft infolio |
épais de deux doigts, contenant plus ο
fieurs traitez écrits fur du papier qui
a beaucoup de corps. Tibulle ; Ca-
rulle & Properce font au commence
ment,& non pas Horace,comme s'cft
trompé l'Autheur dela Prefacerima
primée à Padoüe. Petrone fuit dela |
méme main , & dela maniere que M
nous lavons dans nos Editions,
Aprés, on. voit cette piece dont il.eft
queftion,
ce del Arvcbipel. ΟῸ 97
queftion;intitulée F ragmentum Petro
πὴ Arbitri ex libro decimo-quinto, e
féxta-decimo , oi eft contenu le fou-
per de "Trimalcion,comme il a depuis
été imprime fur cét original. De Sa-
las Eípaenol; qui à commenté cét
Autheur fait mention d'un quinzié-
c & feiziéme Livre , mais il ne dic
as oil Pa và. Le Livre eft partout
ien lifible , & les commencemens
des Chapitres 8 des Poëmes font ew
araCteres bleus & rouges. Pour ce
ui eft del antiquité du manufctit,
| ne faut que s'y connoitre & le voir
our n'en pas douter, & l'on doit en
sette rencontre ajoüter plus de foy
ux yeux qu'au raifonnement.. M. le
Dot, Statilius nous fit faire une re-
arque que lés autres n'avoient pas
aite; c'eft que fous la page 179.l'an-
iée qu'il a été écrit eft marquée de
erte maniere : 1423. 20. Novemb.
Ze fiecle-là n'avoit pas des efprits fi
ien-faits que Petront;pour: pouvoir
e déguifer foûs foh nom.
Nous rencontrâmes auffilà un au-
€ homme fcavant;appcllé Monfieur -
Doéteur Dragatzo , qui nous fit
SPALA-
TRO,
LA
98 Voyage de Dalmatie ,
voir quelques Infcriptions antiques |
dans fon jardin,& nous informa des 4
particularitez du pays, en quoy jene.
trouvay pas qu'il y eüt rien de fort
remarquable.
SPALATRO n'eft qu'à douze
milles de Traou, & environ à quatre:
cent de Venife.Il n’eft pas plus grand.
que le lieu que nous venons de qui-
ter, mais il eft deux fois plus peuplé,
parceque c'eft une échelle pour les |
Caravanes de Turquie , qui déchar-
gent là leurs marchandifes pour Ve-
nife. Le Port eft grand, & a bong
fonds & bonne tenué;quoy qu'il foi
un peu à découvert au Sud. & Sud-#
Oùeft. Au fond du Port proche des
murailles de la Ville il y a un beau
& grand Lazarer. C'eft le nom que]
les Italiens donnent aux lieux où l'on?
fait la Quarantaine.Le Baile y logea]
faute d'autre lieu plus commode , &J
nous y primes auffi une chambre οὐ
il n'y avoit aucii meuble. Nous nous
arretámes dix ou douze jours à Spa-
latro , & la caufe de ce retardementj
fut. que le Baile ayant refolu de s'en
aller à Conftantinople parterre , illt
& de l'Archipel. 99
fallut aller querir à cinq journées de
là des chevaux pour 56 equipage.Ain-
fi nôtre Galere attendant fon depart
pour continuer fon voyage,& porter
les hardes les plus embarraffantes,&
les prefens pour le Grand Seigneur,
nous cümes le temps que nous fou-
haittions pour voir les curiofitez de
Ja Ville.
L'abord de Spalatro par mer eft
fort agreable , & il eft fitué au fond
d'un grand Port fait en demi-Lune,
a Ville eft quarrée , & n'a pas plus
d'un mille de tour. Dans les monu-
nens anciens de trois à quatre cent
ns elle eft appellée Spaletum, Spala-
um ὃς Afpalaium, & de cette manie-
ce Spalato me fembleroit plus con-
forme à l'origine, que Spalatro, quoy
que ce dernier foit plus en ufage.Ce
iom-là luy peut être venu du mot
Latin Palatinm , parceque ce n'étoit
|inciennement qu'un Palais de l'Em-
»ereur Diocleuan , natif de Salone,
ui n'eft éloignée de Spalatro que
l'une lieud, comme on l'apprend par
{fa tradition du lieu,& par ce qu'en a
[lit Conftantin Porphyrogenete , qui
2
100 Voyage de Dalmatie ,
rematque que ce Palais étroit tout |
bâti dc grádes pierres detaille, Ceux |
qui l'ont pris pour l'ancienne ville |
d'Epetium , fe {ont écartez de fix ou |
fept milles, car on en void les ruines |
plus au delà vers l'emboucháre de la
petiteriviere de Zarnowiffa. Spala-
tro cft fortifié de bons Baftions de |
pierre de taille, dont il y en a trois
entiers du coté dé la terre, & deux |
demy vers la mer. Mais ce qui le rend.
plus foible, c'eft que le terroir d'a-
lentour eft plus hauc, & que la colli-.
neau Couchant où eft le Fauxbourg;
commande toute la Ville. 3
A la portée du imoufquet hors de:
Ja Porte du Lévant,il y a une Forte-
reffe fur une eminence, qui comman-
de auffila Ville;avec quatre Baftions,
qui ne font ni achevez, ni réguliers.
Auffi les Venitiens y tiennerit peu de!
fofdats, & ils fe fient fur leur Forte--
τεῖς de Cliffa , foûs laquelle il faut)
paller pour venir de Turquie à Spa-
Jairo. Il y a un autre petit Fort de
terre que le Chevalier V ernede avoit
fait faire à la pointe du Croiffant qui
forme le Port : mais comme ils ont
€ de l'Archipel. 101
prefentement la paix avec le Turc,
ils le laiffent ἃ l'abandon , & n'ont à
Spalatro qu'une compagnie d'Infan-
terie ; & la moitié d'une de Cavale-
rie, l'autre moitié fe tenant à Cliffa;
Le Dome de Spalatro étoit autre-
fois un petit Temple au milieu du
Palais de Diocletian. 1l eft oétogone
au dehors , & rond au dedans , tour
bâti de belles pierres de taille, horf-
mis la voûte qui eft de brique , au
deffous de laquelle cft une galerie
foûtenue de huit colonnes Corin-
thiennes de porphyre & de granite.
Entre lecul de lampe & cette gale-
ricily a une frife chargée de diffe-
rens animaux , de feftons , de malca-
rons, & de quelques tétes , qu :
gens du paysentétez du nom de Dio-
cletian , prennent pour des têtes de
ét Empereur. Au dehors du Tem-
le regne à moitié de fa hauteur un
corridor couvert de pierres de taille
ravaillées en compartiment, & foû-
enu de huit colonnes Corinthiennes
e marbre , avec une frife bien tra-
allée: On.y montoit par un autre
Lemple quarré long;qui donnoit auf.
2
102 Voyage de Dalmatie ,
fi l'entréeà un autre Temple rond au
fond , & cn avoit un autre petit à
main droite qu'on appelle mainte-
nant S.Iean Baptifte. La place & la
difpofition de l'ouvrage étoient de
quelque bon maitre, mais dans le de-
tail les corniches,les feuillages & les
chapiteaux n'étoient pas de fi bonne |
maniere que du temps des premiers |
Empereurs. Depuis que ce Temple a
été changé en Eglife , on Ya percé
pour y faire un Chœur,& on y a fait |
quelques jours ; car auparavant il ne
recevoit de jour que par la porte.Les
Payens faifoient prefque tous leurs |
Temples obícurs, pour ne pas profa- — |
ux des mortels les myfte-
des flambeaux & des lampes
qu'on y allumoit. i
On a auffi ajoüté au devant dela
porte fur l’efcalier un tres-beau Clo-
cher , percé de quantité de fenétra- M
ges,dont les materiaux de marbre ou
de belle pierre ont été tirez des rui- —
nes de Salone, parmi lefquelles nous:
trouvámes quelques Infcriptions qui |
parlent de cette Ville, — Appian δῖ.
i-o
:
1.3.4. Portes du Palais 5: Milieu detout Ledifice. € "Temple quarré decouuerr
7 Temple Octogone 8 Temple Rond 9 Petit Temple quarre OT DRE 0
Ortens
sarpriw
Septentrio
res
€ ice -
& de l Archipel. 103
Gruter en citent une dans ce Temple
quarré proche d'une Idole de Cybe-
le. Py vids l'infcription ; mais cette
pretendué idole n'eft autre -chofe
qu'un Sphinx. de marbre granite
d'Egypte. Les colonnes qui font
là autour font aufli de la méme
pierre.
Les murailles du Palais de Dio-
cletian qui embraffent les deux tiers
de la Ville, font prefque entieres, &
font un quarré jufte , avec une porte
au milieu de chaque face. Il en refte
rois d'une architecture aufli belle
ue folide.Les pierres foûs l'arc font
ntées en mortaile les unes fur les
utres;ceux qui bátiffoierit alors pre-
endant de cette maniere rendre leut
voute plus affurée. Aux cótez de cha-
ue porte il y avoit deux petites
ours hexagones;qui gardoient Pen
crée, & y ajoütoient quelque embel-
iffement. Tout ce quartier de la
ille enfermé dans cette enceinte eft
oüté en plufieurs endroits, & a quä-
ἴτέ de mafures antiques. Du côté de
à marine il y avoit un corridor entre
& Palais & un mur élevé à même
E 4
104 Voyage de Dalmatie ,
hauteur , mais percé de fenétres qui
luy laiffoient la vàe de la mer. Ces
fenêtres ont des entre-colonnes &
une frife deffus d'ordre Doriqueaffez:
bien proportionnée, Nous y trouva -
mes une douzaine d'infcriptions qui
peuvent avoir été portées de Salone, |
& dans l'Eglife de S. Frangois un bas |
relief avec 2 5. figutes où environ,qui
paroiffoit étré la vi&toire de Conftan- !
tin fur Maxence qui fe noya dans le ὦ
Tybre. Vers la pointe Occidentale
du Port il y a une Eglife de S.Geor-
ge.qui eft apparemmentl'endroit ap-
pellé Ad Dianam , dans la Table de |
Peutinger,à caufe de quelque Temple |
de Diane qui y etoit. Prés de la porte
pat où Jon fort en ce quartier-là , ik
a deux ou trois. petits rüiffeaux M
d'eau falée & foufrée qui coulent |
dans la mer, & dont l'on ne tire ad- 7
cun avantage. | |
Le Gentilhomme Venitien qui «
commandoit alors à Spalatro, appel- «
lé François Lauredano a été Prove-
diteur à Cerigo. Il nous fit voir des ἡ
colonnes qu'il en avoit apportées. Il
femble qu’elles foient de marbre |
& de l'Archipel. τος.
blanc tranfparent,mais ce n’eft qu'u-
ne-eau congelée qui fe petrifie dans
les grotes de cette Ifle.
Le temps que nous fejournâmes à
Spalatro ne nous dura pas , parceque
nous y decouvrions tous les jours
quelque chofe de nouveau , & que
d'ailleurs on y fait tres-bonne chere.
. H n'y avoit à redire qu'au logement
qui n'étoit pas fort commode,n'ayant
trouvé que quatre murailles. nues.
Les perdrix n'y valent que cinq fols,
δέ un liévre n'y coûte guere davanta-
tage. On a la viande de boucherie
pour un fol lalivre , ὃς les tortues
groffes comme les deux poings pour
quatre ou cinq fols. Mais le plus fou-
vent nous aimions mieux faire mai-
gre & manger de ces petites truites
de Salone , dont l'Empereur Diocle-
tian étoit fi friand, que de peur d'en
manquer il avoit fait un conduit ex-
prés qui les amenoit dans fon Palais;
Elles font affurément de tres- bon
goût : mais celles de la riviere Afca
nius dans la Natolie , où nous avons
depuis paffé en allant à Smyrne, font
encore meilleures. & beaucoup plus
ἼΣΗΝ
1o6 Voyage de Dalmatie ,
groffes. Il n'y avoit point , comme
j'ay dit, d'hótellerie dans la Ville, fi
ce n'eft un petit cabaret que tenoit
une Allemande qui nous apprétoit à
manger. Vn foir que nous foupámes
trop tard, nous trouvámes les portes
dela Ville fermées,comme nous vou-
lions nous retirer à nótre chambre
du Lazaret.Nous crümes quele Gou-
verneur auroit la civilité de nous fai-
re ouvrir pour ne pas laiffer coucher
des Etrangers furla dure. Mais il
nous fit dire que le mot du guet étoit
donné,& qu'il falloit prendre patien-
ce. Nous priâmes un foldat de nous
chercher quelqu'un qui nous donnât
au moins le couvert, & nous trouvá-
mes enfin un Gentilhomme du lieu
nommé Pierre Alberti , qui nous re-
ceut tres- bien, & nous coucha beau-
coup mieux quenous n'étions fur nos
Strapontains ordinaires.-Mais il faut
vous dire quelque chofe de Salone
& de Cliffa,que nous fümes voir en-
fuite.
SALO. SALONE étoit une Ville fimeufe
NA. dans l’Antiquité,rnais nous n'y trou- |
vâmes que des mafures » & il n'y 4
G del Avchipel. 107
plus qu'une Eglife avec quatre ou
cinq Moulins. Les Villes periffent
auíh bien que les hommes. Elle étoit
dans uue belle plaine à deux milles
de la montagne Morlaque qu'elle
avoit au Nord, & s’érendoit jufques
à un petit golfe qui étoit fon Port,
dans lequel va tomber la petite ri-
viere qui paffe au milieu , & où l'on
pêche les truites. Elle eft dans une
égale diftance de Cliffa & de Spala-
tro , c'eft-à-dire , environ à quatre
milles de l'une & de l’autre.Elle pou-
voit avoir huit à neuf milles de tour,
mais ceux du pays en difent davan-
tage. Nous étions quatre de compa-
gnie,& nous avions autant de voitu-
rins à pied , qni étoient quatre Mor-
laques,& bien qu'ils fuffent d'un re-
gard terrible & tels que j'ay depeint
plus haut ceux de cette Nation, nous
en fümes pourtant affez bien fervis,
& on auroït de la peine en nos quar-
tiers à trouver de plus honnétes gens
de cette profeflion. Ils nous mene-
rent voir parmi ces ruines un trou
qu'ils difoient être le fepulchre de S.
Domne premier Evéque de Salone ὃς
CLISSA
108 Voyage de Dalmatie , 4
difciple de S. Pierre, & prés de ἴὰ
deux autres fepulchres de S.Anaftafe — |
& de S.Rainier Prelats du même |
lieu. Le chemin qui va delà à Cliffa
portoit anciennement le nom de 254 -
Gabiniana, comme je l'appris par une
infcription antique.
CLISSA eft le lieu que Prolomée
appelle Andecrium , ὃς Strabon A4n-
derrinum. Mais cette pierre dont je — |
viens.de parler le nomme Andetrium,
& ccs monumens font plus certains
que les livres qui ont pà étre alterez
par les copiftes. C'eft une Citadelle
de grande importance , qui fut prife
aux Turcs par les Veniuens fous le
commandement de Fufculo Provedi-
teur de Dalmatie. Elleavoit été au-
trefois à l'Émpereur d'Allemagne, &
l'on dit qu'une Reine de Hongrie l'a-
voit fait bàrr. Depuis que la Repu-
blique la tient, elle en a fait fauter
une partie au devant pour la rendre
plus forte & plus aifée à garder. Elle
eft fur une créte de colline entre deux
hautes montagnes, fur le chemin de
Turquie en Dalmatie. La fentinelle:
void tous ceux qui paflent ,. & les
C de l'Archipel. ^. 109
oblige à parler. I] n'y a pourtant ni
Baftions,ni ouvrages de dehors,mais.
feulement quelques terratfes , & le
soc fert de muraille. L'eau y man-
que , & le froid y eft terrible en hy-
ver. Je m'imagine que c'eft une rude
penitence pour un Gentilhomme Ve-
nitien d'y aller faire pendant deux
ans la charge de Provediteur. Il y a
deux compagnies d'Infanterie , & la
moitié d'une de Cavalerie. La caufe
de fa prife fut , outre les vives atta-
ques qu'on y avoit données , une
bombe qui tomba fur la Mofquée,
pendant que les Tures étoient à leur
devotion,avec l'efperance qu'ils per-
dirent d'un fecours qui fut defair. Ils
fe rendirent vies & bagues fauves,
mais les Morlaques leurs ennemis ir-
reconciliables les attendirent à un
paffage, & les taillerent tous en pie-
ces de leur propre mouvement. Te
vids à Traou une infcription appor-
τές de Cliffa, c'eft peu de chofe,mais
toutefois cela montre fon antiquité, :
Il ne faut pas s'étonner fi Ptolomée
l'à mal placée,veu qu'il eft peuexa&
£n ces quarüiers-]à , car il fait Traou
LIESI-
NA,
lo — Voyage de Dalmatie, |
plus meridional d'un degré que Sa-
.lone,quoyque celle-cy approche plus
du Midy que l'autre. De Spalatro
nous paísámes à Liefina en moins de
quinze heures.
LIESINA eft une Ifle que Ptolo-
mée appelle Pharia, & Strabon Pha-
γος, d'environ cent milles de tour,
mais ce ne font que rochers & terres
ingrates propres pour des lievres &
des lapins. Auffi les peuples de lIfle
qui font au nóbre de trois oa quatre
mille fe font tous retirez àla Ville du
méme nom, afin d'y voir quelquefois
aborder les Etrangers dans leur Port.
Pour les recevoir avec plus d'hon-
neur, ils y ont fait un tres-beau mole
de marbre & de pierre de taille , qui
environne le demi-cercle de ce Port.
Les écueils qui font vers l'entrée font
d'autres moles naturels, où les vaif-
feaux font à l'abry. Sa fituation ref-
femble à peu prés à celle de Genes,
mais vous pouvez bien croire qu’elle
n'approche pas de fa beauté. Il y à
de tres-bon pain & de tres-bon vin,
& forces fardines pour exciter l'ap-
petit;dont ils fourpiflent l'Icalie διὰ
e del Archipel. ΠῚ
€rece.Leur péche en eft affez curieu-
fe,& voicy de quelle maniere nous la
vimes faire. Dés qu'on fçait que les
Sardines doivét venir,enMay & luin,
on va dás les enfoncemés des écueils
de Dalmatie,où elles fe tiennent,pour
fuir fans doute la rencontre des gros
poiffons qui les avaleroient. Les
appréts fe font le jour , & la nuit on
allume à la poupe d'une petite bar-
que un feu d'éclats de pin , & on les
và chercher à deux ou trois cent pas
delaterre. Quand les Pécheurs qui
rament doucement en ont obfervé
quelque gros peloton , qui fuit leur
lamiere,ils s'en vont du côté de leurs
filets, & dés qu'ils font dans l'encein-
te , ils leslevent promptement , &
rempliffent leur Barque de cepoitfon.
Les meilleures fe trouvent à l'ifle
voifine de Lifla. Les Turcs qui ne
manquent pas d’efprit , fe gueriffene
de plufieurs maladies avec des Sar-
dines,qui font rares en Turquie.]ene
{çais pas fi l'imagination y contribue
quelque chofe,mais le remede ne de-
plairoit pas à des marelots de Pro-
vence , qui en font un de leurs prin-
:
cipaux ragoáts,
€OVR-
&ZOLA.
12 Poyage de Dalmatie ,
. Je ne vous parleray pas dela Ci- ||
tadelle , ce n'eft qu'un nid de cor-
beaux , qu'on abbatroit aifément de: -
deffus les pointes voifines des ro-
chers. Auffi n'y tient-on pour toute .
garnifon qu'un fimple foldat,qui fait
l'office de Capitaine , de Sergent &
de Portier,à peu prés comme celuy de
Plaute. Nótre Galere aprés avoir fait -
provifion de bifcuit pour la Chiour-
ine profita du bon vent, qui la porta
cinquante milles dans une apref-di-
née jufqu'à Courzola. '
COVRZOLA eft une petite Ville :
dans une Ifle de méme nom, du ref- .
fort de Venife auffi bien que Liefina,
& les Anciens l'appellent Corcyra ni-
gra. La maniere dont les Ragufiens |
lont perdue eft affez plaifante. Ils T"
étoient brouillez avec les Venitiens,
qui ont un écueil appellé S. Marc qui
commande la ville de Ragufe , avec
un petit rocher encore plus prés, qui
m'a pas plus de terre-plain qu'il en
faut pour les fondemens d'une mai-
fon mediocre qu'on y a depuis bâtie. Ὁ
Les Venitiens y envoyerent donc une. +
nuit des gens qui y bâtirent un petit
C de I Arcbipel 113
Fort de carton peint couleur de ter-
τε, ὃς y porterent quelques canons de
bois fabriquez à la hâte. Le matin
ces petits Republiquains ayant và
une Citadelle achevée & garnie d'ar-
tillerie en fi peu de temps, en furent
fort allarmez, & demandant à parie-
menter furent bien aifes d'en être
quittes pour l'Ile de Courzola qu'ils
cederent aux Venitiens en échange
de ce méchant rocher. Mais pour
l'écueil deS.Marc qu'ils demandoiét,
on n'en voulut pas entendre parler.
La terre ferme le long de la mer vis-
à-vis de cette Hle eft encore à eux, ὃς
ils y ont de beaux jardins appellez
Sabionera. Cependant Courzola cft
fort utile à la Republique de Venife,
parce qu'elle luy fert comme d’Arfe-
nal pour fabriquer & radouber les
bátimens , étant prefque toute cou-
verte de bois de haute fuftaye. Les
Sardines & le vin font fes principaux
revenus.Elle a cinq Villages peuplez
de 14.à 15. cent ames chacun , mais
la Ville n'en a guere plus de millc,&c
l'enceinte n'a pas plus d'un quart de
lieu. Les murailles ont été báties
114 Voyage de Dalmatie ,
par Dioclctian, auffi bien que le Do-
me de S.Marc , qui eft au milieu fur
une eminence , & auquel toutes les
rues vont aboutir en montant. A la
façade foüs l'angle du toi& cft un
bufte de marbre d'une femme cou-
ronnée. On nous dit que c'étoit la
téte de la femme de cét Empereur,
Mais je n'en voudrois pas être cau-
tion , ne l'ayant point connue ni par
les medailles,ny par les ftatuës. Elle
εἴ pourtant antique,& l'Eelife auffi,
qui a deux rangs de colonnes en de-
dans l'unefur l'autre. Les materiaux
en font prefque tout de marbre ; qui
fe taille dans l'Ile même à quatre ou
cinq milles delà. Ii y a peu de mai-
fons qui n'en foient pareillement bà-
ties, mais ils ne prennent pas le foin
de le polir. Comme cette Ifle eft plei-
ne de bois;cela fert d'azile à plufieurs
bêtes fauvages. On y void entr'au-
tres un certain animal qu'on me dit
étre fait comme un chien , mais il a
le cry d'un chat ou d'un paon. Sion
allume du feu la nuit proche de ces
bois, on en entend un grand nombre
crier & entonner une mufique enra-
ὦ de P Archipel. II;
gcc : de forte que ceux qui ne les ont
jamais ouis , les prennent pour des
gens qui crient. On dit encore qu'ils
deterrent les morts pour s'en nour-
rir, du refte ils ne font bons à rien, fi
ce n'cít qu'on*en peut faire quelques
méchantes fourrures. Les Grecs les
appellent Zachalia , & les Turcs
1 chabal.Nous enavons oùi hurler en
Natolie proche d'Ephefe, & à Sainte
Maure. Ie crois que c'eft l'ZZjaua des
Anciens, que quelques-uns ont dit
être une année mále , & l’année fui-
vante femelle ; mais Ariftote nie
cette pretendue metamorfofe. Cette
reffemblance méme de la voix hu-
maine peut avoir donné lieu à ce que
Pline en rapporte de fabuleux,qu'el-
le imite fi bien la voix d'un homme,
qu'elle apprend quelquefois des
noms de Bergers pour lcs faire fortir
de chez eux en les appellant , & les
devorer enfuite.
En pourfuivant nôtre route nous
vimes les Ifles d’Augufta , de Mezzo
& de Meleda, qui appartiennent à la
Republique de Ragufe. Puis, nous
donnàmes fond à Sainte Croix, qui
t
1716 74 voyage de Dalmatie,
eft un beau Port de cét Etat,oà Mon-
fieur le Doge a une maifon de plai-
fance qui merite peu un pareil nom ;
mais les Bourgeois y en ont d'affez
paffables. Nous voguámes le jour
fuivant à la vüe de Ragufe , qui a de
la peine à fe relever depuis le furieux
tremblement de terre qui l'abima
prefque toute, Douze milles au delà
il y a un village appellé Raguía vec-
chia, qui étoit l'ancien Epidaure, au
delà duquel font les bouches de Cat-
taro où nous entràmes, Delà nous fi-
mes voile pout traverfer le golfe de
Lodrin , qui n'a pas moins de 180.
milles de trajet. C'eft le celebre gol-
fe d' Apollonie, où Cefar courat rif-
ue dela vie. Nous laifsámes la peti-
te fortereffe de Budua derniere place
des Venitiens en Albanie. Enfuite fi
lon voguoit terre-à-terre comme -
nous Fimes au retour , on void Dul-
cegno , autrefois Wlcimium , Ville
des Turcs , qui peut contenir fept à
huit mille ames 9. & qui eft une affez
bonne échelle, c'eft-a-dire dans le
langage du Levant, une Ville dene-. -
goce. Les Francs y ont un Conful.
|
|
|
|
e de P Archipel. 1:17
Durazzo,qui étoit ie Dyrrachium des
Romains , n'cft qu'un Viliage avec
une Forterc{fe ruinée. On void en-
fuite le golfe de Boyana avec une ri-
viere de méme nom qui entre dedans,
& que l'on nommoit autrefois Dri/o.
Le long du méme rivage on trouve la
riviere de la Pollona, à qui le voifina-
ge d'Apollonie a donné le nom;mais
l'eau refte,& la Ville ne fe void plus,
& Aulon , que par corruption nous
appellons /aF/aloze. A trente milles
de là en terre ferme il y a une mon-
tagne , oü fe trouve une fontaine de
Poix, dont les Anciens ont fait men-
tion , & l'on en calfeutre les Vaif-
feaux, étant mélée avec du goudran.
L'écueil de Safeno à fix milles de la
Valone borne le golfe de Lodrin au
Sud-Eft. Comme nous traverfions
ce golfe, nous apperçûmes à la poin-
te du jour un Brigantin, qui fe retira
dés qu'il nous eut découvert , ce qui
nous fit croire que c'étoient des Cor-
faires; particulierement lorfque nous
vimes qu'il tournoit la proüe du côté
de la Valone. Nous le pourfuivimes
chaudement, & nôtre Chiourme fit fi
\
118 Voyage de Dalmatie,
bien , qu'en moins d'une heure nous
en fümes à la portée du canon. Nous
le faluàmes de trois ou quatre volées,
qui l'obligerent d'amener les voiles.
Mais il fe trouva que ce n'étoit qu'u-
ne Barque de Cefalonie chargée
d'huiles & de fromages pour Venife,
laquelle nous avoit pris nous-mêmes
pour des Corfaires. Ainfi chacun
pourfuivit fa route , les Cefaloniens
bien aifes de n’avoir eu que la peur
du mal qu'ils craignoient , & nous
triftes de n'avoir eu que l'cfperance
du profit que nous attendions,
Le vent nous étant favorable,nous
nemoüillàmes point à Safeno. Le
Comite de nôtre Galere nous conta
une chofe étrange qui y étoit arrivée
depuis quelques années.Il étoit alors
Pilote d'une autre Galere , & avoit
jetté l’ancre en ce lieu-]à. Deux for-
cats de (a Chiourme,& un d'une Ga-
lere de compagniefe fauverent, & fe
cacherent parmy les broffailles, juf-
qu'à ce qu'on füt parti. Mais que
croiriez-vous que firent ces mifera-
bles? Aprés avoir demeuré là deux :
ou trois jours, & n'ayant plus rien à
e de PArchipel. 119
manger dans ce lieu defert , les deux
camarades de la Chiourme de nôtre
Comite dclibererent fur les moyens
de conferver leur vie jufqu'à l'arri-
vée de quelque bâtiment , & refolu-
rent de tuer celuy de l’autre Galere
qui s'étoit fauvé avec eux , pour le
manger. lls executerent ce qu'ils
avoient projetté, & fe nourrirent en-
core quelques jours du corps de ce
miferable , jufques à ce qu'un Vaif-
feau étranger venant aborder en ce
méme lieu, ils s'y embarquerent , &
| pafferent à Venife.
Des environs de Safeno nous dé-
couvrimes les Monts Acrocerauniés,
appellez maintenant les montagnes
de la Chimere. Du coté de la mer ils
font peuplez de cinq ou fix Villages,
qui font téte au Turc , & ne veulent
| pas payer le caratfch ou tribut par
tête. Le principal de ces Villages
s'appelle /a Chimara , pofté fur une
roche efcarpée , où tout le pays fe
| peut retirer en cas de befoin. De
plus , fi on vouloit les venir prendre
| par mer, ils fc fauveroient dans leurs
montagnes prefque inacceffibles avec
120 — Voyage de Dalmatie,
leurs troupeaux ; & fil'on venoit les
chercher par terre , il y a des patfa-
ges fi étroits , qu'ils deferoient une
armée à coups de pierre.Ils font bons
foldats , & ils fuivent la Religion
Greque ; mais ils font d'ailleurs fort
adroits à dérober,comme les Magno-
tes, aufi ont-ils defcédus des Mace--
doniens,comme les Magnotes le font
des Lacedemoniens , deux peuples
également belliqueux ; ils ont. un
bon Port appellé Porro-Panormo, où
toutefois peu de bâtimens ofent
moüiller ; car on dit qu'ils vendent
les Turcs aux Chrétiens, & les Chré-
tiens aux Turcs, Ils fe foümettent
neancamoins pour le fpirituel au Me-
tropolitain de Jana ,qui eft une
grande Ville à deux journées de là.
Nous commengámes alors de nous
voir àl'entrée de la Grece, ce qui
nous donna autant de joye qu'Enée |
eut autrefois de chagrin loríqu'il |
paffa en ces quartiers-là. Carilcone |
fideroit les Grecs comme les deftru= "
€teurs de fon pays; & nous,nous les:
regardions comme des gens,auxan- -
cétres defquels nous avons obliga- |
tion
e del Archipel. —— 121
tion des Sciences & des Arts. Nous
eûmes aufli plus de bonheur qu'E-
née, car il fut fept ans pour aller de-
puis Troye aux environs du Tibre,&
nous vinmes en deux mois de Rome
à Troye.
L'ISLE DE CORFOV eftla pre-
| miere desIfles confiderables que l'on
| rencontre à la fortie du Golfe de Ve-
nie, & qui appartient avec Cepha-
lonie & Zante à la Sereniffime Re-
| publique. Elle s'appelloit ancienne-
ment Pbazcia , & depuis on la nom-
ma Corcyra du nom d'une Nymphe
qui y bâtit une Ville. Les Grecs d'a-
prefent l'appellent Corfi ; ou Cor-
fous.
CASSOPO , où nous abordàmes
premierement , étoit une des Villes
de cette Ifle , connue fous le nom de
Caffiope , fameufe par fon Temple de
Jupiter Caffien , dont nous avons
trouvé plufieurs medailles. Ce n'eft
maintenant qu'unc fortereffe ruinée,
avec une Eglife dediée à la Panagia,
c'eft-à-dire,à la Sainte Vierge,& fer-
wie par des Caloyers ou Religieux
Grecs, Elle eft à moitié pleine de
F
L'ISLE
DE
COR-
Fov.
CAS-
SOPO.
122 Voyage & Dalmatie , ἢ
marques de Voeux rendus par des |
Mariniers ou autres perfonnes écha-
pées de la mer. On parle là d'un mi-
racle, dont nous voulümes voir l'cf-
fet. Il y a une Image de Ja Sainte
. Vierge peinte à la Greque , fur une
plaque de pierre enchaflée dans une.
Chapelle. Les voyageurs quifouhais
tent de fcavoir fi quelqu'un de leurs
parens cft mort , appliquent à cette.
Image. un fol de cuivre de Corfou ou.
de Dalmatie; ὃς fi celuy qu'ils pen- |
fent eft vivant , le fol s'attache ; s'il
eft mort, il tombe. l'y vids plufieurs.
de ces fols qui y tenoient encore, ἰδ,
qu'il n’y ait rien de fenfible qui pa«-
roiffe les pouvoir arrêter. Fen vous.
lus áppliquer;fans penfer neanmoins |
à rien, de peur de faire mourir quel--
qu'un de mes parens. 1l y en eut qui
tomberent, & d'autres qui s’attache:
rent, & je crüs que ceux qui étoient
toimbez n'étoient pas bien plats. Mais |
je n'entreprens pas de donner la rai
fon comme cela fe peut faire,ne vou-
lant pas m'ingerer de juger fi c'eft
par une vertu naturelle,ou par quel-
que chofe de furnaturel & de divin.
er de l'Archipel. 123
Le lendemain nous fimes en peu de
temps les douze milles qui nous re-
ftoient pour arriver à la ville de Cor-
fou , d'où jufqu’a Venife on compte
fept cent milles d'Italie.
| CORFOV eft la plus importante
Place que la Republique de Venife
poffede pour tenir en bride toute la
mer Adriatique,& c’eft pourquoy ils
y tiennent toüjours une armée de
quinze ou feize Galeres , quelques
Vaiffeaux & quelques Galeaces. 1}
y à deux Fortereffes , dont la vicille
eft fur deux pointes de rochers cfcar-
pez tout autour , avec de bons Ba-
(tions au bas. La nouvelle de l'autre
coté de la Ville n'eft pas de cette
force, quoy qu'on n'y ait rien épar-
né ; car elle eft commandée par une
zolline voifine appellée σ᾽ Aonr-
brabam. Nn Provediteur voyant ce
efaut , vouloit enfermer ce Tertre
lans l'enclos des murailles. Je ne
rous diray pas fi elles font bien four
Hes d'artillerie, parceque nous ne
Mmes pas plutôt arrivez , qu'on fit
lefenfe d'y laiffer entrer perfonne,
rincipalement des Anglois & des
PUS
124 Voyage de Dalmatie,
François. C'eft qu'on nous prit pour
des Ingenieurs, parceque l'un de n6-
tre compagnie avoit des inftrumens
de Mathematique , & que l’on nous
voyoit tout copier dans la Dalmatie,
foit Infcriptions , foit Mafures anti-
ques , & méme quelquefois par cu-
riofité crayonner le plan des Places.
Le General Priuli qui commandoit
aux trois Ifles, qui font Corfou,Ce-
phalonie & Zante , ayant reconnu
aprés s'étre informé dela chofe, que :
ce n'étoit qu'une fimple curiofité ,
nous donna à M, Vvheler & à moy la :
permiffion de nous embarquer fur les. |
Vaiffeaux de la Republique , pour .
Conftantinople ; car nôtre Galere
n'alla pas plus loin.
L'Eglife Metropolitaine des Grecs :
eft a(fez belle , & ornée de riches
lampes d'argent, & d'une d'or, pour .
laquelle un Gentilhomme de Corfou .
nommé Nicolas Politi ordonna par.
fon teftament cinq mille fequins de.
Venife. On y conferve le corps de |
S.Spiridion Evéque de Corfou, à qui
l'Eglife eft dediée, Les habitans di-
fent qu'on à plufieurs fois tenté de le:
"€ de l'Archipel. 12$
potter à Venife , mais que le Saint a
toüjours montre par les obftacles
qu'il a fait naiue , que cette tranfla-
tion neluy plaifoit pas. Son corps
eft tout entier, à la referve d'un bras
qui eft à Rome. Tous ceux qui l'ont
và , difent que quand on preffe fa
chair avec le doigt, elle plie , & re-
tourne en fon premier état comme à
une perfonne vivante, Les Grecs
n'ont point là d'Evéque , mais feule-
ment un Protopapa, c'cft-à-dire pre-
mier Prètre. Celuy qui Feft prefen-
tement eft de la maifon de Bulgari. ΤῈ
nous chargea d’un prefent pour lePa-
triarche de Conftantinople,& c'étoit
l'Office de S.Spiridion avec un abre-
gé de fa vie en Grec literal. Le frere
de ce premier Prétre)nommé Nicolas
Bulgari eft Docteur en Medecine, &
tres-Ícavant auffi en Theologie &
dans la Langue Greque. Il y a dans
Corfou une Academie de belles Let-
tres , dont il fait membre, αὐτῇ bien
que Meffieurs les Do&teurs Zuffiniani
C Lupina , & Monfieur le Chevalier
Marmora, qui a écrit en Etalien l'Hi-
- foire de ce pays-là. Il nous fit voir
^
2
126 . Voyage de Dalmatie,
fon Cabinet de medailles;qui eft pref-
que tout compofé de medailles du
pays gravées dans fon Livre. Il nous
fit voir auffi des deffcins pour l'aug-
menter ; & il ne fe contenta pas de
nous avoir regalé decette vüe,il nous
envoya un prefent d'une corbeille
des meilleures figues du monde,
qu'on appelle Fracaflanes. Elles ont
comme yn fuc glacé au dedans , qui
fait des merveilles contre les cha-
leurs du mois de Iuillet;, Monfieur
Spiridion Auloniti Nabifori a auffi
un petit Cabinet de médailles. C’eft
un jeune homme de qui nous reccá-
mes beaucoup de civilitez, & qui eut
la bonté de nous faire voir tout ce
qu'il y a de plus curieux dans le pays.
Monfieur le Do&eur Capello, quoy
qu'affez jeune , eft cres-fçavant dans
Ja Jurifprudence , & dans les belles
Lettres ; & il nous dit qu'il compo-
foit un Dictionaire en Grec vulgaire,
Italien & Latin,plus ample que tous
ceux qui ont paru jufques à cette
heure.
Il n'y a pas un fiecle que la Ville
de Corfou n'étoit autre chofé que la.
|
C de l'Archipel.. [27
vicille Fortereffe & le Faux-bourg de
Caflrati , qui eft allez grand , & où
nous tronvámes quelques Infcriptiós
antiques, Au bout du Faux- bourg eft
l'Eglife de Paztagioi, c'eft-à- dire , de
tous les Saints, dont nous allàmes fa-
laer le Papa,ou le premier Prêtre, H
eft Hieromonachos , ou Moine facré,
& s'appelle Arfenio Caluti. C'eft un
homme fçavant en Theologie , &
dans le Grec literal. Il eft auffi habi-
le Predicateur, & a étudié à Padoue.
ἢ nous fit voir parmi fes Livres quel-
ques manufcrits Grecs fort curieux,
entr'autres un de S.Iean Damafcene;
qui ne fe trouve pasimprimé , & qui
eft intitulé Palo; : c'eít comme un
abregé de fes oeuvres , & un Com-
mentaire de Prochoprodromus fux les
Hymnes de l'Eglife Greque, Son
Eelife eft bâtie en croix Greque avec
un petit Dome au milieu,& au deffus
de la porte il y a une Infcription du
fixiéme ou feptiéme fiecle que le
Chevalier Matmota a táché de de-
chifrer dans fon Livre. Il nous mena
enfuite faire la reverence à un autre
Caloyer plus vieux que luy ; qui ef
F 4
128 Voyage de Dalmatie ,
fon oncle. C'eft un venerable vieil-
lard tres-fçavant,qui a fait imprimer
un Di&ionaire en quatre Langues,
Grcc ancien & moderne , Latin &
Italien. Il s'appelle Ieróme Vlach
Candiot de Nation. Sa Bibliotheque
eft nombreufe en manufcrits anciens
de Theologie. Η y en a plus de vingt
qui n'ont jamais été mis foàsla Pref-
fe.entr'autres un Commentaire Grec
d'Origene fur l'Évangile de S.Iean;
& les Sermons d'Ephrem. Son Egli-
fe appellée Paragia de Palæopoli dont
ileft Abbé, eft tres-ancienne, & l'in-
fcription Greque que nous y limes
fur le grand Portail nous apprend
que c'eft l'Empereur Jovian qui la fit
bâtir ; car il faifoit profeffion de la
Religion Chrétienne. Ce nom de Pa-
Jæopoli qui eft refté à ce quartier-là,
ne fignifie autre chofe que la Ville
ancienne ; & en effet , c'eftlà qu'elle
fut: anciennement bâtie. La gran-
de quantité de marbre qui s’en
tire fait voir que c'étoit une Ville
grande & magnifique.Elle étoit dans
une prefqu'Hle ; qui luy- faifoit auffi
donner le nom de Cherfépoli , & clle
|
-
À
1
© de l' Avchipel. 129
avoit un beau Port, où l’on void en-
core l'endroit de la chaine qui le
fermoit ; mais il n’a plus de fonds:
que pour les petites Barques. Il y
avoit un Aqueduc qui pafloit de la
Ville au Port, pour fournir les Gale-
res d'eau, & nous en vimes la fortie,
L'Hiftoize de Corfou , dont nous
avons. fait mention , parle plus au
long de cette Ville, & en donne le
planr.On y trouva il y a quelques an:
nées une ftatu& de Germanicus: qui.
fut emportée à Venife par le Prove-
diteur Vallier ; mais nous vimes l'in-
Ícription de fa baíe. On y decouvrit
auffi un grád trou couvert d'une pier-
re de taille, plein d'une prodigieufe
quantité de medailles de cuivre ‘de:
plufieurs Empereurs , mais principa-
lement de la famille de Severe , avee
le nom des Corcyréens au revers, &
une Galere pour marquer leur puif-
Íance maritime.
De l'autre côté de Palzopoli s'é-
*tend une petite plaine fertile arrofée
de plufieurs ruiffeaux que l’on juge
voir été l'endroit des jardins du Roy
2Alcinoiis fi renommez dans Homere,
130 Voyage de Dalmatie ,
Les Scavans appellent maintenant ce
lieu-là Chryfida , & le peuple Peza-
milià caufe de quelques Moulins qui
y font, Nous nous fouvinmes en.
nous promenant par là de l'avanture
de Nauficaa fille de ce Roy, qui s'en
allant au bain avec fes filles de cham-
bre rencontra Vliffe qui avoit été
porté par la tempête à cette Ifle,
comme on le void au long dansl'O-
dyffée d'Homere. Le Cabinet du
fieur Nigri de Bologne , poffede une
medaille extremement rare de cette
Heroïine. La Ville renferme plus de
vingt mille ames , & l'Ifle en a envi-
on foixante mille. Elle eft tres-fer- -
iile en vins & oliviers, en cedres &
€n limons.
Nous levàmes l’ancre de Corfow |
le premier jour d'Aouft 1675. avec !
un vent de Siroc qui nous étoit con-
traire, Nous ne fimes ce jour-]à & le
fuivant que louvier , & n'avangames:
qu'environ vingt milles. Enfuite le
vent fe tourna, & nous vimes en paf-
fantlIfle de Cephalonie,qui eft deux
fois plus grande que celle dc Corfou;.
«ar clle a environ 140.mi]lesde tour,
& l'auuc n’en a pas plus de 7o. Elle
6 de l'Archipel. Té
eít fertile en huile, vins rouges,muf-
cats excellens, & en raifins de {a na-
ture de ceux que nous nommons rai-
fins de Corinthe, dequoy elle ere
beaucoup d'argent. Le lieu où eft la
Forterefle & la refidence du Prove-
diteur s'appelle Argoftoli. fly a un
grand Port fermé de tous côtez,mais
les ancres n’y tiennent pas bien. Aux
bouches de ce Port il y a un grand
Village appellé Zuxuri, où demeu-
rent plufteurs riches marchands de
ces raifins de Corinthe. Depuis peu
de temps il y eut une guerre civile
-entr'euxjXcaufe d'un demélé de deux
Familles. Il fe faifoit des partis de
-cinquante ou foixante qui fe bat-
-toientauffi cruellement que les Turcs
εἰς battent contre les Chrétiens. Les
Gouverneurs Venitiens n'avoient pas
affez de pouvoir pour appaifer ces
- differens ; mais aprés qu'ils furent las
de leurs divifions , ils firent la paix
- fo&s cette condition,qu’une des deux
‘Familles ennemies ne prendroit ja-
mais la liberté de paffer dans le quar-
tier de l’autre,fur peine de la vie. Au
-Leyantil y aun autre Port; eù nous
| 3532. Voyage de Dalmatie ,
THIA-
ΚΙ.
donnâmes fond en revenant de Zante
à Venife. Il s'appelle Pefcarda , ὃς
n'cft bon que pour les petits bâti-
mens. On void là les ruines d'un
Bourg, & il n'y refte maintenant au-
tre chofe qu'une Eglife avec quel-
ques Caloyers. |
Vis-à-vis de Pefcarda eft l’Ifle dé
Thiaki , qui n'en eftfeparée que par
un trajet de trois ou quatre milles,ce
qui la fait nommer par quelques-uns.
Ja petite Cefalonie.. Ea conformité
de nom fait q:^on la prend pour l'Ifle
.d'Iraque une des principales du Koy-
aume d'Vliffe , & lcs Cartes de So-
.phian & de Samfon la placent en cét
endroit. Mais ils peuvent s'étre trom-
pez; car Strzbon parlan: de l'Ifle d'1-
taque luy donne 8o.ftades de tout;
-qui font 10.milles d'Italie; & cette
lle en a pour le moins le double..
- Ainf je crois qu'Iraque eft um autre
écueil éloigné de fept ou huit milles
- de là appellé encore Zarbaco , qui eft.
- bien plus. petit que cette: Hle. Pour
- «elle-cy , je crois que c'eft l'Itle de
- Dulichium, patcequ'clle a au Levant
- un grand Port avec les mafures d'une.
|
e» del Archipel. T33
Ville appellée encore à prefent Do/i-
cha , comme Strabon ἃ remarqué
qu'elle s'appelloit de fon temps ; ce
qui me paroit affez convainquanti
Neantmoins il femble que Strabon.
eft du coté de ceux qui prénent Thia+
ki pour Ithaca: ,. ὃς lui-méme peut--
€tre ignoroit la veritable fituation de:
ces Ifles,parceque les noms en étoiét:
déja.changez ; car du refte finous rez.
courons à.ce qu'en dit Homere, il ne
femble pas que Dulichium. foit une
des Ifles Echinades, comme les Geo-
graphes qui font venus aprés luy ont
peníé ; & quoy qu'il enfoit,c'eft une
queftion. affez difficile à decider.
Deux vaiffeaux Anglois vont tous les
ans charger dans ce Port de l'Ifle de
"Thiaxi de ce raifin de Corinthe dont
j'ay fait mention ,. & qui eft cultivé
-par les habitans de l'Hle, qui font re--
: duits en tout àtrois Villages appel-
lez Onoi, Vatbi, ἃς Oxia. On y.void
-dans.un bois une mafure de vieux
-Châreau , que les Infulaires difent
étre d'un Palais d'Vlyffe. Pour ce
ui eft de l'Ifle d'Iatbaco elle eft de--
AF Nie; ceux de Thiaki,y vont. de
SAINTE
MAVRE,
134 Voyage de Dalmatie ,
temps en temps pour la cultiver.
L'Ifle de Cephalonie au fiecle d'Ho-
mere portoit le nom de Samos , &
avoit une Ville du mime nom, qui
ne devoit pas étre loin du Port de
Peícarda , dont nous avons parlé.
C'ctoit la plus grande Ifle des Etats
d'Vlyfle,8c je m'étonne que Strabon
ne luy donne que 300.ftades de tour,
qui ne font que 38.milles , & Pline
que 44. milles , quoy qu'elle en ait
plus de fix-vingt. Mais je ne m'é-
tonne pas des fautes des Geographes
anciens, puifque les modernes ; qui
outre la Geographie antique ont les
relations de nôtre temps, s'écartent
fi groflierement en beaucoup d'en-
droits de ces pays-là.
Puifque nous fommes dans le
Royaume d'Vliffe, ne le quittons pas
fi-tóc, & parlons un peu de l'Ile de
Sainte Maure. Cette Ile s'appelloit
anciennement Lezcas , & les Grecs
“modernes l'appellent toàjours. Lea-
cada : car ils n'appellent proprement
Sainte Maure que la Fortereffe, où ik
-y avoit du temps des Venitiens uiv
Y |
J&onyeng de ce nom. En reyenantà
ὁ de? Archipel. 535$
Venife , nous fümes obligez à caufe
du mauvais temps de relâcher à um
Port de cette Hle appellé Cmeno,qui
eft le meilleur de tous , ayant bon
fonds & bonne tenucé. De là il nous:
prit envie d'aller voir la Fortereffe,.
& nous primes un Monoxylon pour
nous y mener. Nous voguâmes qua-
tre ou cinq heures pour y arriver;
dans le détroit qui la fepare de terre-
ferme. Strabon dit qu'elle y à été
autrefois attachée, & que l'on creufa:
ce détroit pour la feparer ; ce qui fe
peut aifément croire ; car au plus:
étroit il n'y a guere plus de so.pas de
trajet, & prefque par tout feulement:
trois ou quatre pieds d'eau. C'eft en
cét endroit le plus étroit qu'étoit la:
Ville de Leucade fur une eminence à
un mille de la mer,de quoy l'on void
encore quelques mafures , ὃς le Port
étoit prefque tout le canal aux en-
droits qui avoient le plus de fonds..
Ortclius & Ferrari fe ttompét,quand
ils croyent comme les autres Geo-
graphes que Sainte Maure foit enco-
ze dans la méme place que cette Vil-
Je. Us n'ont pas été fur les lieux ; ὃς
156 Voyage de Dalmatie,
Sainte Maure eft trois milles au delà,
dans le milieu du canal , qui eft en
cét endroit-là large d'une heuc. La
Fortereffe eft bonne , & flanquée de
quelques Baftions ronds fur une ter-
re fort bafle; & ce qui la rend de
quelque confideration ,. c'eft qu'on
n'y peut aller ni par terre,ni par mer;
fi ce n'cft dans ces.monoxyla ou pe-
tits bateaux,qui ne prennent pas plus
d’un pied d’eau. Elle eft feparée par
une foffe de trente ou quarante pieds
de large de deux autres petites Ifles
dans le marais ,. qui font comme les
faux -bourgs.de la Fortereffe,où font
plufieurs habitans Turcs & Grecs.
Leurs maifons ne font que de bois,
& fort balles ,. mais en: revanche ils
font bien vêtus. Auflifont-ils grans
Corfaires fur cette mer , & le Bacha
"de la Morée y étoit venu cette année
là exprés pour brûler leurs petites
.Galeres.Durag Bey fameux Corfaive
de Lepante en avoit fept ou huit de
Sainte Maure qu'il cómandoir. Nous.
- laifsámes nôtre petit bateau en.terre;.
pour y paffer fur un Aqueduc long;
«alan mille;qui ferc auffide Pont.pour
e delArbipel. — 137
les gens de pied,bien qu'il n'ait gue-
re que trois pieds de large , & fans
aucun appuy. Quelque affuré qu'on
puifle être,on tremble quand on paí-
fe deffus , principalement quand on
rencontre quelqu'un qui vient du
lieu où l'on va, car c'eft tout ce que
peuvent faire deux hommes que d'y
paffer de front. Il y a plus de cinq
ou fix mille ames dans la Citadelle.
ou dans ces Fauxbourgs mais nous y
aurions fait mauvaife chere fans du
poiflon que nous y avions porté ; cat
nous n'y trouvàmes que du pain mal
fait & de méchant vim , avec de che-
tif fromage. Il y a dans l'Hle environ
trente Villages habitez de pauvres.
Grecs qui pechent & cultivent la
terre, & qui ont un Evéque, dont les
revenus y apparemment tres-me-
diocres. L'’Ifle eft affez fertile en
grains, citrons, oranges, amandes, δὲ
pâturages pour le bétail , & elle a
douze à quinze lieués de tour. La
Fortere(fe de Sainte Maure n’eft éloi-
gnée que de douze milles de l'entrée
du golfe d'Ambracie, appellé main-
tenant golfe de Lar;a;proche duquel.
348 Voyage de Dalmatie ,
étoit autrefois la celebre ville d’Ac-
tium , fameufe par la bataille d'Au-
gufte contre Marc-Antoine ; mais à
prefent on ne parle plus de cette Vil-
le. Ne voulant pas aller jufques-là,
nous nous informàmes des particu-
laritez de ce golfe, d'un habile hom-
me de Larta. Nous fçûmes de luy,
que Larta ou Arta n'étoit pas Am
bracia , comme nos Geografes nous
le veulent perfuader. Car la Ville
d'Ambracie qui donnoit le nom àu
Golfe eft à plus d'une journée de là,
& s'appelle encore par les gens du
pays Ambrakia , bien que ce ne foit
qu'un Village à un mille de la mer,
juftement au milieu du fond de ce .
Golfe, Il y aun Chan à fon Port,qui
fert de Magafin pour les marchandi-
fes que l'ony décharge. Pour la ville
d'Arta , elle eft à la main gauche,
éloignée de quinze milles de la mer
fur une riviere, qui eft apparemment
lAcheron des Anciens, & qui fe
degorge felon Pline dans le golfe
d'Ambracie. Vouro-potami εἰς le nom
moderne d'une autre riviere qu'on
trouve en approchant d'Ambracie;&
e de P Archipel. n
fans doute c'eft l'Arachthus d'autre-
fois, quoy qu'il ne pañle pas fi prés
du village d'Ambrakia , mais appa-
remment Ja Ville s'étendoit alors juf-
ques-là.
L'entrée du Golfe n'a pas plus d'u-
ne demi-lieue de large, bien qu'il aic
plus de 25.lieués de tour. Sur la gau-
che on void une fortereffe des Turcs
un peu moins habitée que Sainte
Maure. On l'appelle Preventza , ἃς
€'étoit la fituation de l'ancienne Ni-
copolis bàtie par Augufte en memoi-
re de fa victoire contre Marc-Antoi-
ne. Il y a dans Arta fept à huit mille
habitans, le nombre des Grecs fur-
. paffant de beaucoup celuy des Turcs.
Le fieut Adanno- Mannea riche mar-
chäd de cette Ville-là me dit que l'E-
glife Metropolitaine appellee Evaz-
gelifIra, c'cft-à-dire P Annonciade , cft
un grand corps de bâtiment , qui a
autant de portes & de fenétres qu'il
y a de jours dans l'année , & qui eft
foütenu de plus de deux cent colon-
nes de marbre. Il ajoáta qu'une In-
Ícriprion qu'on y lit fur le grand Por-
tail fait foy qu'elle a été bâtie paz
40 — Voyage de Dalmatie ,
Michel Duca Comnene. Cette Ville
& le pays d'alentour negotient en ta-
bac, mére & fourrures, dont il
fe fait grand commetce. at
L'Archevéque ou Metropolitain
d’Arta faifoit autrefois fa refidence à
Lepante ; qu'il a quitée à caufe qu'il
y a peu de Chrétiens. Il avoit huit
Suffragans,mais l'Empereur Iean Pa-
leologue partagea en deux l’Arche-
véché d'Arta pour etiger celuy de
lánina. Les quatre Évéchez qui rele-
vent d'Arta , font Rogows petite Ville
à dix milles de Preventza , où l'Ar-
chevéque commande δῇ, Vonrza
Ville avec le Château de l'autre có-
té du Golfe. eros en terre-ferme,
affez grande Ville à deux journées
d’Arta. Acheloon qui tire fon nom
᾿ de la riviere d'Acheloüs. L'Evéque
de cette derniere Ville fait fa zefi-
dence à Angelo-Caftro,& comman-
de de plus Zapandi , Meffalongi &
Anatolico.
Iánina eft une Ville plus grande
qu Arta, habitée de riches marcháds
Grecs. Son Metropolitain a foûs luy
&es quatre Evéchez : Are yro-Caffro
& de P Archipel. 141
Ville de mediocre grandeur ; Delbeno
qui n'eft qu'une bicoque ; Burrinto,
{oûs lequel font les Villages de la
Chimere ; Gh£eón , qui prend fon
nom d'une riviere appellée G7; , &
ce dernier Diocefe s'étend depuis Pa-
ramythia jufqu'à Parga fortereffe des
Venitiens, au bord de la mer.
Mais il ne faut pas oublier d'ex-
pliquer ce que c'eft que ces Monox-
l4 dont j'ay parlé. Ce font de petits
bateaux faits d'un tronc d'arbre
creufé , longs de 15. à 20. pieds fur
un pied & demy de largeur , & pref-
que autant de hauteur. On s'en fert
à Anatolico, à Meffalongi ἃς à Sainte
Maure , la mer étant fort baffle dans
ces quartiers-]à , & s'ils prenoient
plus d'un pied d’eau,on courroit rif-
que de demeurer fouvent à fec. Le
nom que l'on donne à ces bateaux
exprime bien l'érofe & la maniere
dont ils font bâtis ; car Monoxylon*
* Ce nom de Monoxyla n'eft pas inconnu à
Hefychius , qui dit que les Cypriots appel-
loient auffi ces bateaux æ δρνα : apparem-
ment à cau(e qu'ils étoient creufez d'un ché-
ne, que les Grecs nomment δρῦς, Voicy les
ZANTE.
141 — Voyage de Dalmatie ,
paroles de cét Autheur, Apu , πλοῖα pere
£v^2 Kéapisi. Et dans l'hitoire d'Heliodore
il y eft auffi parlé de ces Monoxyla.
en Grec veut dire qu'ils font faits
d'une feule piece de bois. On s'affit
fur le fonds,& on les conduit avec de
petites rames , & méme quelquefois
àla voile. Jamais je ne fus plus fur-
pris, que de voir au plus étroit du
trajet traverfer deux chevaux dans
un de ces Monoxylon , car pour peu
qu'ils fe fuffent remuez tout fut ren-
veríé dás l'eau. Les Exoliens avoient
la reputation de gens broüillons &'
méchans,& les Turcs de Sainte Mau-
re ont herité de leurs qualitez aufli
bien que de leur pays.
Pour reprendre nôtre route , vous
fgaurez que nous arrivàmes à Zante
le 4.d'Aouft , & que nous y demeu-
ràmes trois ou quatre jours,
ZANTE a été autrefois appellée
par Boterus l'Ifle d'or, mais clle me-
riteroit encore mieux ce titre à pre-
fent qu'elle a trouvé le fecret de
planter des vignes qui produifent de
lor en Pr à le raïfin qu'on ap-
pelle de Corinthe , bien qu'il n'en
e de l'Archipel. 143
vienne point maintenant à Corinthe
ni aux environs. Il eft vray qu'il y
en avoit autrefois , & puilqu'ils en
portent le nom , il y a bien de l'ap-
parence que le plan eft venu de là.
Je m'en informay particulierement
loríque je fus à Corinthe, & l'on me
dit qu'il n'y a pas long-temps qu'on
en recueilloit encore un peu à Vafi-
lica , qui eft l'ancienne Sicyon éloi-
gnéc feulement de Corinthe de fix à
iept milles ; mais que comme on n'en
trouvoit pas le debit chez les Turcs,
onles a negligez. Pour quitter un
peu l'Antiquité, ὃς delaffer vôtre εἴς
prit en vous parlant de chofes moins
ferieufes, je vous feray l'hiftoire en-
tiere de ces raifins de Corinthe , qui
s'accommode affez bien avec toute
forte de ragoûts , une bagatelle ré-
jouiffant quelquefois plusnotre efto-
mac qu'une viande trop nourriffante,
Je vous diray donc , que depuis que
les Chrétiens ont été depoffedez de
la Grece, & que le Turc a bâti deux
Cháteaux aux bouches du golfe de
Lepante , il ne permet pas à nos bà-
timens d'y entrer , de peur de qucl-
144 Voyage de Dalmatie,
que furprife, ὃς que foûs pretexte de -
venir charger là des raifins de Corin-
the, les Corfaires de Malthe ne leur
faffent infulte. On fait venir neant-
moins de ces raifins dans le golfe à :
Lepante méme & à Voftitía,mais on
les porte à Patras,où il en croit auffi;
quand on les veut charger , & ces
trois lieux en peuvent fournir la
charge d'un Vailleau mediocre. Vis-
à vis de Patras dans le pays des an-
ciens Etoliens il y a un Village nom-
mé Anatolico, bâti cóme Venife dans
un marais, & peuplé d'environ deux
cent feux. Ses habitans y cultivent
dans la terre-ferme du voifinage le
raifin de Corinthe qui y reüffit mer- -
veilleufement. Il eft beau & bon, &
deux fois plusgros que celuy de Zan-
te. Ils en peuvent charger avec ceux
du village de Meffalongi un grand
Vaiffeau. Nous y fümes dansletems |
qu'un marchand Angiois y avoit me-
né fon bitiment pour le charger de
cette marchandife ; & je vous diray
en paffant , que les Anglois confu-
ment plus de ce raifm dans leurs ra-
goûts,que ni l'Allemagne ni la Fran-
ce
e de [ Archipel. 14$
ce enfemble. C'étoit un: plaifir de
voir une flote de Monoxyla apporter
chacun cinq ou fix facs de raifin au
Vaifleau ; mais dés que le vent com-
mence à fe renforcer on void en un
inftant ces petits bateaux fe diffiper
| comme un effain d'abeilles , car ils
n'oferoient pas fe joüer comme nos
felouques avec les moindres vagues.
Ce marchäd Anglois ne payoit point
| de Doüane pour la fortie de ces rai-
fins, mais d’ailleurs il luy falloit fai-
re un prefent de mille écus au Vay-
vode ou Fermier d'Anatolico,& non-
| obftant cela il ne laifloit pas d’y trou-
ver mieux fon compte qu'avec la
Doüane de Zante qui eft de dix écus
par millier. Cephalonie qui eft une
grande Ifle en fait avec Thiaki la
charge de fept à huit Vaiffeaux , &
Zante environ la moitié. Ses vignes
font dans une tres-belle plaine de
douze milles de long & de quatre ou
;cinq de large;à l'abry des montagnes
qui bordent lesrivages de l'Ile ;.de
forte que le Soleil raffemblant fes
rayons dans ce fonds y fait parfaite-
ment meurir les raifins de Corinthe;
G
146 Voyage de Dalmatie ,
le raifin mufcat & le raifin ordinai-
re, dont l'on fait du vin tres-fort,
Qui croiroit qu'une place fi medio-
cre, où il y a d'ailleurs quantité d'o-
liviers & de jardinages , produife
quatre à cinq millions pefant de ce
feul raifin, & dix mille grandes ton-
nelées de vin pour l’ufage des habi-
tans. La Douane de l’un & de l’au-
tre porte quarante mille écus par an |
dans les cofres du Doge , & Zante
& Cefalonie enfemble cent mille,
Le millier pefant revient à ceux qui :
l'achetent environ 24.écus, quoyque
le premier achat ne foit que de dix.
écus, mais il y a de gros droits. On
vendange ces raifins de Corinthe un .
peu plutôt que les autres , & l'on en
fait des couches fur la terre, qu'on
laiffe fecher pendant huit ou neuf
jours. S'il tomboit de la pluye, tout |
feroit en danger d’être gâté,mais el-
le y eft affez rare. On les ferre enfui-
te dans des Magafins,& quand on en
veut charger fur les Vaiffeaux;on les
met dans des tonneaux, & des hom-
mes les preffent avec les pieds afin
qu'ils fe confervent mieux , & qu'ils
e de l’Archipel. 147
n'occupent pas tant de place. On en.
fait quelquefois du vin par curiofité,
mais il eft trop violent,& il peut paf-
fer pour de tres-bonne eau de vie. Ce
raifin frais eft excellent à manger, &
nous le trouvâmes de tres-bon goût,
de méme que les melons de Zante,
qui ne cedent point à ceux d’Efpa-
gne,& ceux qui ont la chair blanche
& mufquée font les meilleurs. On a
auífi dans cette Ifle les plus belles
péches que l'on puiffe voir ; elles pe-
{ent d'ordinaire huit à dix onces, ὃς
quelques-unes vont jufques à quinze
& afcize.La chair en eft ferme com-
me celle de nos auberges.Il n’y man-
que pas auffi de concombres & de
figues excellentes, & il s'y trouve de
l'huile en abondance & d'une gran-
de bonté. Le golfe de Lepante luy
fournit de tres-bon grain, & la Mo-
τός de tres-bon bétail. Enfin c'eftun
Paradis terreftre , où toutes chofes
abondent , hormis le bois qui y eft
cher,bien qu'autrefois l’Ifle fût plei-
ne de Forefts , ce qui luy fit donner
le furnom de Sy/vo/4 par Homere. ὃς
par Virgile, Elle a environ $o.milles
G 2
3448 Voyage de Dalmatie ,
'detour, & l'on y conte jufques à o.
οὐ Villages. Si vous étes curieux de fça-
-voir les noms d'une partie, les voicy
comme je les ay pû apprendre, & fe-
‘Jon l'ordre de Alphabet. 447//o,44m-
pelo, Banato, Beloufi, Braka, Caglipa-
do, Cataflári , Chiliomeno , Coucbiéft,
Courcoulidi, S.Dimitry, Faghia , Fio-
diti, Gaïtani, Galaro, leri , leracarió,
Keri, S.Kiricó , Komiri , Lagopodi,
Langadächia, Litbachia, Luka , Ma-
&erado, Mariais, Mufaki, Orthoniaïs,
Oxochora , Pigadachia , Piffinounda,
Plemonario, Sarachinada, Schoulicha-
do, Tragaki, Volima. |
- La Ville porte le nom de Zante en
Italien , & en Grec elle s'appelle
Zacynthos auffi bien que toute l'Ifle.
Elle peut contenir vingt àvingt-cinq
mille ames , quoy qu'elle ne foit pas
murée, mais elle a fur une eminence
une Fortereffe affez bien munie de
canons. Les maifons font baffes à
caufe des tremblemens de terre qui y
Íont frequens , ne fe paffant guere
d'années qu'il n'y en ait, mais qui ne
font pas de grans dommages. La
langue Italienne y eft prefque aufi
c" de l'Archipel. ^ 149
commune que la Greque. Il y a tou-:
tefois tres-peu de gens du rit Latin, :
quoy qu'auffi- bien qué les Grecs, ils :
ayent un Evéque qu'on leur envoye:
de Venife. Celuy des Grecs com-:
mande auffi Cefalonie, & s’y tient le
plus fouvent. Au deffus de la Ville
en allant à la Fortereffe , il y a une:
Eglife appellée S.Helie, où felon que :
quelques-uns ont écrit , on avoit
trouvé le tombeau de Ciceron & de
Tertia-Antonia fa femme ; mais je
| my remarquay autre chofe qu'un
. fond d'Vrne de porphyre , & je ne
pus apprendre aucune nouvelle du
| refte, n'y ayant pas là des perfonnes
. curieufes comme à Corfou! Pendant
le fejour que nous y fimes , on nous
| mena voir un endroit de l’Ifle , où la
| terre tremble foûs les pieds. Le my-
| fteze confifte en une fontaine de poix
qui fort des entrailles de la terre
| avec une belle eau claire. La poix |
| demeure au fond pat fa pefanteur ,
mais quand on en tire , il en tombe
toûjours fur la terre, avec laquelle il
fe fait comme une croûte , le deffous
fe creufant par l'eau dela fontaine.
G 3
350 Voyage de Dalmatie ,
De maniere que quand on marche
deffus on fent branler cette terre, :
comme quand on va fur une planche
qui n'eft pas forte. Ils ont là fur ce
fujet une plaifante imagination.C'eft
qu'ils croyent qu'en fautant un peu
fort en cét endroit , on excite des
tremblemens de terre dans l'Mle. Hs
ajoûtent qu'enfuite des tremblemés,
il fort toûjours plus de poix , & fur :
tout pendant que le vent de Sud- -
Oueft foufle. On tire toutes les an-
nées environ: 100 barils decette poix,
& elle eft tres-bonne à calfeutrer les
Vaiffeaux méléeavec du goudran.La
fontaine eft à 200.pas dela mer, &
vis-à-vis eft un écueil appellé A424-
rathonifi, c'eft-à-dire Ifle de fenoüil,
parce u'il y croit beaucoup de fe-
noüil fauvage. Nous y allámes faire
un grand repas du poiffon qui prète -
fon ventre pour faire la boutargue, -
& ce fur chez deux Caloyers qui s'y
tiennent pour le fervice d'une petite
Eglife. L'Autheur d’Athénes ancien-
ne & moderne, s'étonne que les An-
ciens avoient donné le nom d’Ifle au
"y^; : : : \
petit écueil de Pecno. Celui-cy où
2a 7 anf
C de P Archipel. τι
nous mangeâmes cft en core plus pe-
tit, & il n'y a pas dequoy être fur-
pris qu'on luy donne le nom d'ifle,
puifque les Grecs appelloient ancien-
nement /Viços, & que ceux de ce
temps nomment Λε , c'eft-à-dire
Ifle , toute forte de terre environnée
de la mer,fans que la petiteffe la prive
de ce nom,fi ce n'eft que quelquefois
ils fe fervent du diminutif N7/22/,0u
N ifópoulo, ne nómant Xera ou écueil
qu'un fimple rocher , ou des fables
couverts d'eau, Et qu'eft-ce que la
fameufe Ifle de Delos qu'un écucil
affez mediocre: Il y avoit à Mara-
thonifi une femme qu'on difoit étre
poffedée,& qui depuis quatre ans ne
vivoit que de pain & d'cau. Mais
nous remarquàmes que le Diable qui
la poffedoit n'étoit qu'un fot,car il fe
difoit être de Padoue,& il ne fcavoit
pas un mot d’Italien. Il eft vray que
la femme toute ignorante qu’elle
étoit, répondoit prefque toüjours en
vers fur le champ;dans fon Grec vul-
gaire ; mais il eft conftant que la me-
lancolie & le genie peuvent faire ce
prodige. |
G 4
xs2 Voyage de Dalmatie, ἡ
Avant que de partir nous allàámes
rendre une Lettre de recommanda-
tion au Signor Dimitry Beninzelos.
Il eft Athenien, mais il y a deux ans
u'il eft à Zante auprés de fa mere.
C'eft un des plus habiles qui foient
dans la Grece. Il fçait le Latin , le
Grec & la Philofophie , ὃς de plus il
eft Predicateur , bien qu'il ne foit ni
Caloyer,ni Papa. Il nous apprit que
Hiero-Monachos Damaskinos étoit
mort depuis peu à Athenes , dequoy
nous fümes fàchez , aprés avoir và
fon Eloge dans le Livre d'Athenes
ancienne & moderne.1l n'étoit pour-
tant proprement que Maitre d'Ecole,
mais dans un pays où il ny a guere
que des ignorans , il ne faut pas être
beaucoup fgavant pour y faire quel-
que bruit. Les Ifles qui font foüs les
Venitiens font mieux fournies de
gens de Lettres que la Grece. Le Pa-
pa del'Eglife de tous les Saints ap-
pellé Papa J4gapito paffe pour bon
Predicateur. Il nous fit voir fa Bi-
bliotheque où il y a plufieurs manuf=
crits,& un entr'autres qui n'a Jamais
été imprimé , où font contenus les
e de I Archipel. 153
Vies des Saints Peres, Archevèques,
Abbez & Caloyers de l'Eglife Gre-
que. |
: Nous ne continuâmes pas nôtre
voyage comme nous l’avions com-
mencé , & nôtre compagnie n'étant
pas de bonne intelligence fe parta-
gca en deux à nôtre depart de Zante.
Monfieur Vvheler & moy primes la.
refolution de pouffer jufques à Con-
ftantinople par mer,& les deux autres.
voulurent aller en Grece. C'étoient
deux Gentilshommes Anglois , dont
l'un s'appelloit le Chevalier Gilles
Etícaurt,& l'autre M.Frangois Vern-
hon Aftronome & bon Mathemati-
cien. Ils allerent droit à Athenes, &
de là firent le tour de la Morée,mais
il en coütala vie au pauvre Cheva-
lier. Il. s’efforçoit de fe tenir à che-
val, quoy quil {e trouvât incommo-
dé, pour ne pas demeurer dans des
lieux oùil auroit été mal traité , ef-
perant de pouvoir arriver à Athenes;
mais aprés qu'ils eurent paffe Lepan-
te pour aller à Delphes , il mourut
fubitement fur la montagne de Vi-
tranitza 5 sS'étant fair deícendre de
G 5.
Yj4 Voyage de Dalmatie ,
cheval. On fit faire le rapport de. fa
mort au Cady du premier Village, &
on l'enterra dans une Eglife Greque
la plus proche du lieu où il expira.
Son cempagnon pourfuivit fon voya-
ce, & fe rendit pour la feconde fois
à Athenes, d'où il s'embarqua enfui-
te pour Smyrne ; mais il fut. pris par
des Coríaires Chrétiens qui le de-
poüillerent & le laifferent à Milo;oü
quelques Vaiffeaux Anglois étant ar-
rivez il emprunta de l'argent pour:
continuer fareute. Nous avons vû
depuis une Lettre Angloife imprimée
quil écrivit de Smyine , où il y a.
quelques particularitez de ce qu'il a.
và dans la Grece. De lil pañfa à
Conftantinople, & de Conftätinople
à Trebizonde parle Pont-Euxin,d’où
3l devoit gaigner la Perfe : mais on a
appris depuis qu'il avoit été mifera-
blement tué en chemin par des gens
avec qui il s'étoit pris de querelle,
C'étoit une perfonne tres-fgavante;
& qui parloit fept ou huit Langues:
mais il étoit né fous quelque mé-
€hante Etoile,car il avoit déja été il y
aquelques années,pris efclaye parles
€ de l' Archipel. 15$
Corfaires de Tunis,cc qui ne l'avoit
pas degoüté des voyages de mer.
Voilà les rifques à quoy s’expofent
les voyageurs,mais Dieu nous a con-
fervé mon camarade & moy de tou-
te mauvaife rencontre ;quoyque nous
en ayons eu la peur plus d'une fois.
Le Jeudy matin 8.d’Aouft notre
flote fit voile pour Conftantinople.
Elle étoit cépofée de huit Vaiffeaux,
cinq de guerre , & trois marchands.
Le Capitan de N ave y étoit en per-
fonne. C’eft une grande charge dans
l'Etat de Venife, Il avoit ordre d'ac-
compagner un Provediteur qu'on en-
voyoit à Tiné , & d’efcorter nôtre
Vaiffeau qui portoit les hardes & les
prefens du Bayle. Nótre Bâtiment
portoit pour enfeigne la Conftance
guerriere , & étoit commandé par le
Capitaine Jean Bronze de Perafto vil-
le del'Albanie Venitienne. C'eft un
des braves foldats quela Republique
ait à fon fervice. Il fe trouva dans fa
jeuneffe au fiege de Perafto,qui étoit
attaqué par une armée de deux mille
Turcs.Bien qu'ils ne fuffent que qua-
xante-neuf dans la Place, ils ne laif-
156 — Foyage de Dalmatie, —
ferent pas de refifter vigoureufemét,
jufqu’à-ce qu'aprés avoir tué une
arte des Turcs, & avoir mis en de-
{ordre leurs bateries , ils firent une
fortie fur eux , & les chafferent de
devant leurs murailles, Il a été en
courfe avec un Vaiífeau qu'il com-
mandoit , & autant qu'il eft redouté
des Turcs , il eft. aimé des Corfai-
res Chrétiens , qui le connoiffent
tous,
Avec une Tramontane fort favo-
rable nous laifsámes en peu de tems
les Ifles Srrofades , que les Anciens
feignoiét être le refuge des Harpyes,
dont le vifage étoit de femme , & le
corps de Vautour. Les Grecs & les
Italiens les appellent à prefent Srro-
fadi ou Sirivali. Ce font deux peti-
tes IfIes fort baffes,dont la plus gran-
de n’a que trois ou quatre milles de
circuit , mais qui dans fi petit efpace
porte une grande quantité de fruits
excellens.Les fources y font fi abon-
dantes , qu'on ne fçauroit prefque
planter un báton en terre, qu'il n'y
forte de l'eau. On dit que dans les
fontaines de cette Ifle il fe trouve
e del Archipel. 157
fouvent des feuilles de Platane,quoy
qu'il n'en croiffe point là ; mais feu-
lement dans la Morée , dont elle eft
éloignée à peu prés de trente milles,
C'eft ce qui fait croire affez vray-
femblablement que ces fources vien-
nent de ce pays-là , par des canaux
foüterrains que la nature a formez
foüs les abimes de la mer.Cela pour-
roit en quelque maniere autorifer la
fable d' Arethufe;qui s’allant baigner
à la riviere d'Alphée fut pourfuivie
du Dieu qui prefidoit à cette eau , ὃς
par le fecours de Diane fut changée
en une fontaine qui alla fortir en Si-
cile,quoy qu'il y ait plus de cent mil-
les de trajet de la Morée à cette Ifle.
Les habitans des Ifles Strofades ne
fe marient jamais , car il n'y en à
point d'autres que des Caloyers ou
Moines Grecs , jufqu'au nombre de
de foixante ou quatre-vingt. Leur
Convent eft bàti en maniere de For-
tereffe avec une terraffe au deflus
garnie de bons canons, & une Sarra-
finefque à leur porte , de la crainte
qu'ils ont des Corfaires. Neanmoins
on nous dit que même les Turcs &
38 Voyage de Dalmatie,
ceux de Barbarie refpe&ent ces bons
vieillards , & qu'ils n'abordent leur
Ile que pour y prendre de l'eau.
Le Vendredy 9.d'Aouft nous laif-
sàmesà gauche les montagnes d’Ar-
cadie & l'écueil de la Sapience. C'eft
une petite Ifle qui s'appelloit ancien-
nement Sphagia & Sapientia , & qui
eft bien connué aux Corfaires de
Barbarie,qui fe tiennent cachez der-
riere,pour attendre en embufcade les
Bitimens qui fortent du Golfe de
Venife , ou qui viennent du cóté de
. Sicile. Nous n'en étions pas trop
éloignez quand un matelot décou-
vrit de dcflus nôtre Hune dix grands
Vaiffeaux à la voile , qui tenoient la
méme route que nous. Nous tirâmes
un coup de perrier de nótre bord
pour avertir le Commandant;& tou-
te la flote de ce que nous avions và;
& l’on éleva dix fois la banniere en
poupe pour leur faire fcavoir lenom-
bre des Vaiffeaux. D'abord le Capi-
tan embroüilla une partie de fes voi-
les , & rebrouffa chemin autant que
le vent de Maéftro , qui nous étoit
auparavant favorable , nous le pous
€ de ἢ Avchipel. 159
voit permettre. Nous fuivimes fes
bordées , & nous commengames à
nous appareiller au combat. On mit
toutes les hardes à fond de cale , on
chargea l'artillerie , on fit des para-
pets fur la proüe & fur la poupe, ἃς.
l’on difpofs tous les foldats dás leurs:
poftes.Bien que l’on fût dans l'incer-
titude fi c'étoit des Corfaires,parce-
que les Algeriens: marchent fouvent
avecune bonneEfcadre de Vaiffeaux,
Ou des amis , on ne voulut toutefois
rien negliger dans cette rencontre.Ils
demeurerent plus de trois heures à
venir à nous, quoy qu'ils fiffent force
de toutes leurs voiles; ce qui nous fe
juger aprés les gageures que lon
avoit propofées , que ce n'étoit pas
des Corfaires dont les Bâtimens font
plus legers » mais qu'il falloit que ce
fuffent des vaiffcaux marchands An-
glois ou Hollandois.Il y en eut d'en-
tre nous, qui crürent que c'étoit une
efcadre de François commandez par
Monfieur de la Berrefche,qui en vou-
loità la lote de Hollande pour Smyr-
nc. Mais quand ils furent plus prés;
en decouyri avec une Lunete à loge
160 Woyage de Dalmatie , |
gue vûüé, qu'ils portoient en poupe Je
pavillon rayé de bleu, blanc & rou-
σε, & qu'ainfi c'étoient des Hollan-
dois : De forte que tout ce grand ap-
pareil de combat , fe reduifit à rien,
& nous en fumes quittes mon cama-
rade & moy,pour la moitié d'un barril.
de nôtre vin,que les Matelots prirent.
la peine de boire à nôtre fanté , tan-:
dis que nous étions au deflus de la
poupe, à confiderer l'ordre de notre:
Efcadre, & le tremouffement de nos
Canoniers & des Officiers du Vaif-
feau. Nótre Capitan portoit le pa-
villon de Saint Marc au grand mats,
comme grand Admiral ; mais Rui-
ter le fils , qui commandoit la flote
des Hollandois , n'avoit arboré que
la flammette au grand mats , comme
fimple Chef d'Efcadre. Ainf ce fut
à luy de venir paffer foûs le vent de
nótre Capitan , & de faluer le pre-
mier. Tous les autres pafferent de
méme,& nous leur rendîmes le falut;
& aprés que le Commandant de la
flote Hollandeife eut envoyé deux
Officiers complimeater nôtre Capi-
tan, nous les laiffames paffez devant,
e de lArbipel. τόϊ
Hs alloient à Smyrne,& avoient trois
Vaiffeaux de guerre qui accompa-
gnoient fept Vailfeaux marchands,
La bonace regna prefque route cette
nuit-là , & nous ne nous trouvámes
le lendemain que vis-à-vis du Golfe
de Coron. Comrne nous n'étions pas
cloignez du Brazzo di Mayna ;, nous
prenions plaifir de nous informer de
quelques Magnotes qui étoient ma-
riniers fur nótre bord , de l'état pre-
fent de leur pays. Ils nous dirent que
depuis quelque tems le Turc les avoit
obligez par adreffe à confentir qu'il
bâtit deux Fortereffes fur leurs cotes,
& qu'il n'y avoit que ceux des mon-
tagnes qui puffent éviter de luy payer
tribut : Quecela avoit été caufe que
quantité de gens avoient abandonné
le pays , & quil y en avoit plus de
deux mille qui s'étoient retirez dans
la Poüille, où le Roy d'Efvagne leur
avoit affigné quelques terres. Ils
font fi adonnez au larrecin , que
voyant arriver quelques Vaiffeaux
dans leurs Ports , ils en vont couper
les cables, ne pouvant voler autre
chofe. Comme dans ces fortes de re-
CERIGO
162 Voyage de Dalmatie ,
cits on préd plaifir d'encherir les uris
fur lesautres, pour mieux marquer le
genie de la Nation , un Officier qui
avoit été en ces quartiers-là nouscóta
une hiftoriette que je vous donne de
la maniere que je l'ay receué. Quel
ques Etrangers étoient dans un des
villages de ces Magnotes, & avoient:
fait porter leurs hardes dans la mai-
fon d'une bonne vieille qui fe mit un
peu aprés à pleurer. Les Etrangers
furpris de cela s'informerent du [jet |
qu'elle en avoit ; quelqu'un de la
compagnie répondit pour elle ; que
voyant des gens qui n'étoient pas de
fon pays, cela luy faifoit fans doute
dia à l'état miferable où les Ma
gnotes étoient reduits & & qu'elle
pleuroitleurs propres miferes. Hé,
nenny , repliqua auffi-tót la bonne
vieille s’adrefsant aux Etrangers, ce
n'eft pas cela qui m'afflige , mais je
pleure de ce que mon fils n'eft pas icy
pour vous dérober vos hardes.
Le quatriéme jour de nótre dé-
part de Zante nous arrivámes à l’I-
fle de Cerigo , qui eft la fameufe Ifle
de Cythere , pays natal de Venus &
C de D Archipel. 163
d'Helene. Cela vous en donnera
fans doute des idées comme de [τε
la plus belle & la plus delicieufe du
monde; mais en ce cas là je fuis obli-
gé de vousen defabufer. C'eft une
llle montagneufe & un terroir fec ,
qui n'a rien de fort charmant. Elle
appartient aux Venitiens qui y en-
vovent un Provediteur. Nous mon-
támes pres d'une heure,avant que de
pouvoir arriver à la Citadelle , qui
n'eft forte que du côté de la mer,
qu'elle regarde comme d'un precipi-
ce, Dea,quand le tems eft clair on
entrevoit l'ifle de Candie, qui en eft
pourtant éloignée de quarante mil-
les ; & environ à moitié chemin on
voit la petite Ifle de Cerigero , où il
| n'ya que des chevres fauvages , &
quiappattient au Colonel Macarioti
de Cerigo , qui étoit venu avec nous
dépuis Corfou. Il nous fit goûter du
vin du pays que nous trouvámes
tes bon. Les vivres y font à grand
marché , & un de nos Camarades y
acheta un mouton pour deux quart
d’ecus. Il y a quantité de lievres ,
de cailles & de tourterelles , & ces
164 Voyage de Dalmatie ,
dernieres étoient les oyfeaux de Vez
nus, Devant le port de la Citadelle
il y aun petit écueil qu'on appelle
l'œnf à caufe de fa figure , & l'on y
prend auffi bien. qu'à Cerigo d'ex-
cellens Faucons. Ce por: ne vaut
rien,car il eft entierement exposé aux,
vents du Midy, & n'a place que pour
fepr ou huit bâtimens. Aufli n'eft .
ce pas cét endroit là qui fait dire à
Strabon que cette Ifle a un bon port.
Il entendoit fans doute parler de ce-
luy de Saint Nicolas , oà notre vaif-
feau alla prendre de l'eau ; car outre
le port des grands vaifleaux qui ont
là bon ancrage & bonne tenue , il y
a une darfe enfoncée naturellement
dans le rocher capable de contenir
40. galeres, qu'on pourroit aïfément
fermer àchaîne. Nous reconnümes
le long de ce port les mafures de la
Ville ancienne du Roy Menelaüs
préque toutes rez terre, Ce que nous
y vimes de plus entier eft une voüte
creufée dans le roc, queles gens du
pays difent avoir été les bains d'He-
lene. Comme nous avions oüy par-
ler des ruines d'un Palais d'Hclene
οὐ de I Archipel. 16$
qui étoit de ce côté-la , nous fimes
trois ou quatre milles pour y aller ;
mais nous n'y trouvâmes autre chofe
que deux colonnes debout fans ba-
fe & fans chapiteau, que nous jugeä-
mes avoir été de l'ordre Dorique.
Tout cela ne nous fatisfailoit pas, &
nous retournàmes au port, où nos
gens avoient fair un trou proche de
la mer,d'oà ils tiroient de l’eau.C’eft
qu'il y a un lit de ruiffeau qui fe fe-
che l'Eré;& envoye neanmoins quel-
que eau par deffous le gravier.
Le lendemain nous vimes nos
vaifleaux quenous avions laiffez foüs
la Fortereffe , qui s'étoient mis àla
voile, Nous en fimes de méme , &
palfàmes avec bon vent /a Falcome-
74 , écueil defert. & inhabité , à qui
Pietro de la Valle croit que les Fau-
cons ont donné le nom ; bien qu'on
dife qu'ils n'y font pas plus frequens
que dans les autres Ifles de l'Archi-
el. Nous vimes à nôtre droite Ze/-
la-Pola , ou l'Ifola Brugiata , & plus
loin 74;lo ὃς Zutimilo. Le premier a
un des beaux ports du monde. L'é-
cucil de Caravi , qui fignifie en Grec
^
166 — Voyage de Dalmatie ,
un vaiffleau, étoit à nôtre gauche, &
plus avant / Argentiere , appellée par
les Grecs Kzmole, qui a quelques ha-
bitans & une mine d'argent. Ce nom
que les Grecs luy confervent encore,
montre que c'eft l'Ile de Czmolus
une des Cyclades , dont Ptolomée &
Strabon font mention : Ce que nos
Gcographes n'ont pas encore fçeu,
apellant Cimolus tantôt Polino &
tantôt Sicandro. Sfunto paroit en
Ínite, oà il y a neuf ou dix Villages
riches en beaux fruits & en belles
filles. Elles y ont un grand Mona-
ftere, où préque toutes les Religieu-
fes de l'Archipel vont faire leur pro-
fcffion.Pari5 ou Paros lle renommée
pour fon marbre , parut, mais éloi-
gnée de nous ; & le foir du 17. nous
eûmes à nôtre droite Serifos , qui a
un Bourg & un port vers le Sud.Cet-
te Ilea des mines d’aymant , qui ne
font pas toutefois varier la Bouffole,
quoyque ‘le vaiffeau en approche,
Notre Pilote nous aflura qu'il en
avoit éprouvé, & qu'il n'étoit pas -
fi bon que des autres mines. Pline
aflure que de fon tems les grenouil-
ὦ de f Archipel. 167
les de cette Ifle y étoient muettes ,
mais que fi on les tranfportoit ail-
leurs , elles faifoient autant de bruit
que les autres,
La nuit le vent s'étant mis au Po-
nant , nous dreffames la proüe entre
Zea & Thermia. Nos faifeurs de
Cartes defigurent le nom de cette
Ifle, l'appellant Fermia ou Fermina ;
mais fon veritable nom eft Thermia,
comme l'appellent ceux du pays, à
caufe des eaux chaudes qui s’y trou-
vent , cat le mot Grec ne fignifie au-
tre chofe. La reffemblance de pro-
nonciation qu'il y a entre l'F & le
Th parmy les Grecs d'à prefent; a
contribué à cette erreur.
Le jour fuivant nous paffames af-
fez proche de l'Ifle de Scyra , apellée
autrefois Scyros , & proche de celle
de Gyaros que l'on nomme à prefent
loura. Elle avoit la reputation d’être
un tres mauvais fejour , & l'on y en-
| voyoit en exil des perfonnes de qua-
lité de Rome. Aujourd'huy elle eft
tout-à-fait inhabitéc, la grande quä-
tité de rats ayant fait deferter cesIn-
fulaires , fi nous ajoütons foy au ra-
TINE.
168 — Voyage de Dalmatie ,
ort de Pline. Iuvenal luy donne le
cai de courte, * parce qu'en effet
elle eft tres-petite; & Virgile celuy
de profonde,d'autant que la mer d’a-
lentour y a grand fonds,
Nous arrivàmes enfin à T'enos ap-
pellée prefentement Tiré, qui eft la
derniere Ifle que les Venitiens poffe-
dent au Levant. Elle eft mieux culti-
vée & plus peupleé que les autres If-
les Cyclades , qui font foûs la domi-
nation Ottomane, parce qu'elle eft à
couvert des infultes des Corfaires
Chrétiens. Elle n'a point de Port,
mais feulement une plage appellée
Saint Nicolas , où les vaiffeaux vont
donner fonds., aupres de laquelle
étoir la Ville de cette Ifle , & bien
qu'il n'y ayt plus que trois ou quatre
maifons , le lieu porte encore le nom
de Polis, qui fignifie une Ville en nó-
tre langue. De-là on monte àla For- |
tereffe qui eft à quatre ou cinqmil- :
les de la mer fur un des plus eminens
: endroits
* Aude aliquid brevibus Gyaris. c
. carcere digaum.luven.Sat.1. ————
Vt Gyara clanfns fcopulis. parváque |
Seripho. Idem. Sat. 10.
€ de I Archipel. 169
endroits de l'Ifle,ce qui la rend con-
fiderable pour l'avantage de fa fitua-
tion. Le Bourg joint la Fortereffe,
| & en cas de beloin tous les habitans
des Villages s'y pourroient renfer-
| mer. Ils fuivent préque tous le rit
| Latin , quoy-qu'ils parlent la langue
Greque , & l'on y conte jufqu'à 24.
| Villages ; qui s'employent à faire de
laíoye & à travailler celle de l’Ifle
d’Andros. Elle n'y vaut qu'environ
| quae francs la livre, mais elle n'eft
pas fort belle , & ils font fi mal -
'adroits en cespays-là , qu'au lieu de
luy donner du luftre en la travaillant, |
ils luy otent celuy qu'elle avoit ; de
forte que leurs étofes de foye ne pa-
roiffent pas plus que fi elles étoient
de fleuret. Nous rencontràmes dans
fcette Ifle un François qui s'y eft éta-
foli, & qui tâche de s’y faire creer
Conful de la Nation , n'y en ayant
»oint encore en celieu-là. Il s'ap-
elle Charles Guyon , & paroit étre
ort honnête homme. L'Ifle eft
ertile en bleds , en figues & en
eaux raifins , ce qui a donné occa-
on de graver au revers d'une me-
H
170 Voyage de Dalmatie ,
daille de cette Ile que nous y trou-
vàmes , une grape deraifin. Dans
une autre on y void Neptune avec
fon Trident , parce qu'il y avoit fà
autrefois un Temple celebre conía-
cré à ce Dieu. Elle a aufli porté an-
ciennement le nom d’Hydrooufa , à
caufe de quantité de fources d'eau |
dont elle eft remplie, Tout le roc y
eft prefque de marbre , & il y en a
encore des carrieres qui ont été au- |
trefois travaillées, Notre Efcadre |
devoit s'y arrêter quelques jours ;:
pour avoir le temps de charger les
hardes d'un Provediteur de Tiné,qui |
retournoit à Corfou avec la moitié -
des Vaiffeaux, Ainfi nous aurions eu
peu de curiofité fi pendant ce tems- |
là nous ne fuffions allé voir l’Ifle de.
Delos qui n'en eft éloignée que de.
douze milles. Nous liimes la partie!
avec un Docteur de Tiné nommé Si-:
gnor Nicolo Crefcentio , qui s'offrit
fort obligeamment de nous y con-!
duire. Nous ne pouvions fouhaiter
une meilleure compagnie, car il fca-
voit l'hiftoire de ces pays-là , le La-
tin & l' Italien , & n'étoit pas igno-
de l'Archipel. τα
rant ni en Philofophie , ni en Thco-
logie , ayant bien étudié à Rome.
. Nous fimes quelques provifions pour
y diner, & nôtre Docteur n'oublia
| pascinqou fix gros oignons pour fon
écot, En France on laifferoit cela aux
payfans & aux maçons ; mais auffi il
faut avouer qu'il y a autant de diffe-
rence entre nos oignons & ceux de
ces pays-là , qu'entre nos poires de
bon Chrétien , & les poires que le
vulgaire appelle d'étranguillon;c'cft-
à-dire ápres & rebutantes. Ces oi-
| gnons des Ifles de l'Archipel n'ont
point cette mauvaife odeur & cette
acrimonie qu'ont les nôtres, Ils font
doux , & fe mangent cruds comme
des pommes,& méme font excellens
| pour ayder la digeftion. Je fuis per-
fuadé que les plus délicats de nos
François ne feroient pas difficulté
d'en manger , apres en avoir goûté
une fois. Cela me fit. faire quelque
reflexion fur ce que les Enfans d'If-
rael regrettoient fi fort les oignons
d'Egypte ; & en effet des gens qui
avoient été en Barbarie & en Egypte
nous affuroient que ceux de ces quar»
2
DELOS
472 Voyage de Dalmatie ,
tiers-là font encore plus excellens
que les oignons de la Grece, 1l en eft
de méme des pourreaux qu'on man-
ge aufli tout cruds, & dont les Grecs
font un grand regal, Le Soleil en ces
lieux-là ayant plus de force , toutes
fortes de fruits ; d'herbages & de le-
umes meuriffent bien mieux que
τᾷ nôtre climat où la chaleur man-
que. On croiroit que de manger du
concóbre crud en quantité, & méme
avec du lai& aigre,ce feroir affez pour
faire creyer un cheval, Cependant
tous ceux qui ont été au Levant fça-
vent que c'cft un des mets les plus
delicieux des Turcs, & que perfonne
ne s'en trouve jamais incommodé en
ces pays-là,
Nous primes donc une Barque de
Tiné , où nous laifsàmes nos Vaif-
feaux , croyant de les pouvoir venir
rejoindre fur le foir, Vn petit vent
favorable nous porta heureufement
en deux heures à Delos , dont je vas
vous donner la defcription le plus
exactement qu'il me fera poffible.
DELOS eft appellée par les Grecs
Dili au nombre plurier ; parce qu'ils
BETA ΝΗ
ILE
Apellee
Autrefois
: A 55 R HENÆA
18 ee
PoRT 2
E 3 tombeaiux: ὅς
c. 3 [ms = Maintenant
Jrscription E LSU La
de t "auf me.
Mikridate "zs à TS grade DELos
o
LD — o 0
PT. ZE choles
Bye
e de l Archipel. 173
comprennent (οἷς le méme nom l'1f-
le Rhenæa,qui de loin femble n'étre
qu'une même Ifle avec Delos ; & ils
lY'appellent la grande Delos,* & l’aus
tre qui eft la veritable , la petite De-
los. La premiere a peu de mafures;
& à füfhíamment: de bonne terre
pour étre cultivée, comme elle l'eft
par ceux de Myconé : mais la vetita-
ble Delos a tant de ruines,qu’elle ne
Ícauroit l'étre , & elle n'eft habitée
que de Lievres & de Lapins , qui y
multiplient de telle forte ; que cela
luy fit donner anciennement le nom
de Lagia , lagos en Grec fignifiant un
Lievre. C'étoit peut-être pour cette
faifon qu'on n'y fouffroit point de
chiens, puis qu'ils en auroient bien-
tot éteint la race, & que Delos étant
* M. Baudrand qui a augmenté le Di&io-
naire de Ferrari, fe trompe de dire que cet-
te Ille eft prefentement nommée Fermene,
qui eft le nom corrompu de l’Ifle de Ther-
mia à plus de 30.milles de Delos,dont nous
avons parlé àla pag.167.L'erreur de nos ma-
riniers qui ont crü qu'on les appelloit Sdi-
les , vient de ce que les Grecs pour dire à
Delos, difent ez Dilouws, ὃς pour abreger
S-Dilous ou S-Diles.
H 3
174 Voyage de Dalmatie ,
un lieu facré , les bêtes méme y de-
voient trouver un afyle affuré. On
luy donna auffi le nom d’Orrygia ,
comme qui diroit l'Ile des Cailles,
parceque felon le fentiment de Soli-
nus , c'étoit là que les premieres
avoient été vûes.Mais à prefent qu'il
nc s'y feme plus de grains, il ne faut
pas s'étonner que ces oyfeaux l'ayent
abandonnée pour fe retirer dans les
les voifines.
Vne fuite de fiecle change beau-
coup la face d'un pays. Herodote af-
fure que cette Ifle étoit fertile en
Palmiers , mais prefentement il n’y
en a pas un feul , & il n’y vient que
du Lentifque, qui eft l'arbriffeau qui
porte la gommede maftich. On tient
quil n'en produit que dans l'Itle de
Chio ; mais il y a apparence que fi
on lecultivoit de meme à Delos,il en
produiroit auffi ; car j'y en remar- !
quay quelques larmes deffus , & le
climat de ces deux Ifles eft prefque
femblable. |
Au refte cette Ifle à été fi celebre
dans l'Antiquité , que vous ne trou-
verez pas étrange fi je m'étens un
— € de l'Archipel. 175
peu fur fa defcription;veà queles An-
ciens ne nous l'ont pas affez nettemét
depeinte 9 & que les modernes ne
hous en ont donné que des portraits
fort peu reffemblans. Laurember-
gius qui a fait de petites cartes de
toute l'ancienne Grece , embrouille
plus la fituation des lieux qu'il ne les
deméle , les ayant placez plutôt fe.
lon fon caprice , que felon la verité:
auffi eft-il fort difficile de le bien fai-
re, fans avoir été fur les lieux.
Delos a pris fon nom du mot Grec
delein, c'eft-à-dire paroitre, parceque
felon quelques Autheurs elle parut
la premiere des autres Ifles aprés l’é-
coulement des eaux du Deluge , qui
arriva au fiecle d'Ogyges,long-tems
avant celuy de Deucalion. Mais c'eft
une fable mal inventée, fuppofé mé-
me que ces deluges particuliers euf-
fent pà fenfiblement enfler la mer,
Car les eaux venant à fe retirer, De-
los auroit plutôt été des dernieres à
paroitre, étant une Ifle fort baffe, &
n'y ayant pas une des Ifles voifines,
comme Andros, Tine, Myconé, Scy-
ros & Naxia qui ne foient incompa-
4
\
176 Voyage de Dalmatie,
rablement plus hautes. Strabon mé-
me tout exa& Geographe qu'il eft
nous en fait accroire,en voulant que
le mont Cynthus , qui eft au milieu
de l'Ifle foit une haute montagne;
puiíquà peine eft-elle auffi élevée
ue celle du Capitole ; c'eft-à-dire
qu'elle n'a que 20. ou 30. toifes de
haut, pour ne pas m'engager dans
une melure exacte. de Geometrie.
Mais il y a plus d'apparence que cet-
te Ifle tire l'origine de fon nom de
l'opinion qu'on avoit que Latone y
étoit accouchée d'Apollon & de Dia-
ne, & que c'écoit là qu'elle avoit ofé
paroître la premiere fois depuis qu’el-
le fuyoit par tout le monde la colere
de Iunon.
Stephanus en donne une autre rai-
fon affez ingenieufe. C'eft parce ,dit-
il, que fon oracle faifoit paroître au
jour les chofes dont l'on s’informoir,
& qui fans cela auroient demeuré en-
fevelies dans l’obfcurité. Ariftote en
apporte une plus naturelle,& dit que
Dclos a été ainfi appellée , parce
qu'elle vint à parétre tout d'un coup
hors de la mer ; ce qui n'eft pas in-
€ de l' Archipel. 177
᾿ croyable, s'il eft ΥΓΔΥ͂ , comme il n°
a point de doute, que les tremble-
mens de terre ont íouvent éleyé
des montagnes dans une plaine , &
pouifé hors de la mer, des terres
qu'on n’y avoit pas encore vücs,
Nous ne fümes pas plutot arrivez
à Delos , que nous étendimes nótre
nappe fur l'herbe , pour ne pas aller
faire nos promenades à jeun. Mais
ou le peu de provifions que nous
avions porté, ou la demangeaifon de
courir parmi les mafures d'un lieu ἢ
celebre, nous fit abreger nótre repas.
Nous commengames de marcher du
cóté oà nous voyions de plus grands
monceaux de marbre; car l’Ifle en. eft
fi fort couverte , que fi on y vouloit
prefentement bâtir une Ville, il ne
feroit pas befoin d'y employer d'au-
tres pierres,
Nous n'eümes pas fait cinquante
pas depuis le petit Port où nous avoit
porté nôtre Felouque,que nous trou-
vàmes onze colonnes debout fans
chapiteau , & quelques autres cou-
chées par terre. Les habitans des If.
les voifines , c'eft-à-dire , quatre ou
H ;
178 Poyage de Dalmatie ,
cinq perfonnes,qui ont quelque tein=
ture de l'Hiftoire , tiennent par une
efpece de tradition , que c'étoit le
Gymnafe , ou les Ecoles; & en effet
affez prés de là nous trouvâmes une
ancienne infcription qui faifoit men-
tion d'un Gymnafiarque,ce qui fert à
confirmer cette opinion. 1] eft vray
qu'un peu plus à l'écazcnous en trou-
vâmes une autre , qui parloit d'une
femblable charge ; & ainfi cela ne
pourroit fervir qu'à prouver qu'il y
avoit un College à Delos. On dit
méme que la plüpart des Corfaires
Chrétiens appellent encore cette If-
lej/es Ecoles. Les deux Recteurs dont
i| eft parlé dans cette infcription
étoient Atheniens,& l'on fçait qu'A-
thenes a été long-tems en poffcffion
de l'Ile. Mais ce qui me furprit , eft
qu'elles font dediécs, l'une à Mithri-
date Evergetes , ἃς l'autre à Mithri-
date Eupator Roys dc Pont , dont le
dernier fut vaincu par Pompée : bien
qu'on life dans Strabon que les Ge-
neraux d'un de ces Roys faccagerent
D:los , & la mirent au pillage. Les
Sçavans ont remarqué,que leur nom
Οὔ de I Archipel. 179
devoit étre écrit Mithradate , comme
on le void dans ces deux bafes de fta-
tuc, que je vous donneray avec d'au-
tres à la fin de cette Relation.
Environ cinquante pas plus loin
nous vimes un lieu pour les Nauma-
chies ou combats de mer qui fe fai-
foient pour le divertiffement du peu-
ple. C'eft un ovale de 300.pieds de
long & de 200.de large,revétu d'une
muraille de quatre ou cinq pieds de
haut;autour de laquelle il paroit en-
core trois ou quatre colonnes fut
pied , & l'on juge parlà qu'il y en
avoit une rangée qui l'entouroit, foit
qu'elles ferviffent fimplement pour
l'ornement, ou pour attacher les pe-
tits bateaux qu'on y faïfoit combat-
tre , le lieu n'étant pas capable d'en
porter de grands. * |
Ayant pafféun peu plus avant dans
ces precieux debris, nous nous trou-
* C'eft ce que le Poëte Callimachus appel-
le Tpéxitos λέμ νη γ UN Lac rond : car fon
Scholiafte ayant expliqué que l'on peut en-
tendre la mer par ces mots, à caufe qu'elle
environne l'Ile , il ajoûte que ce peut auífi
être un Lac rond qui eft dans l'Ifle , ἢ »/am
Ἧς ἃ gie mese Ex Epift. A GAallanda.
180 Voyage de Dalmatie ,
vâmes fur le plan du Temple d'A-
pollon; ce que nous aurions pü igno-
rer, fi nous n'y euffions apperccu fa
ftatué couchée par terre , & prefque
reduite à un tronc fans forme, Ce
Íont des fuites inevitables defa vicil-
leffe., ou des mauvais traitemens
qu'elle a receus par diverfes perfon-
nes qui ont abordé à Delos.Les unes
luy ont emporté un pied , les autres
une main, fans refpect ni confidera-
tion de l’eftime qu'on en faifoit. an-
ciennement. Il n'y a pas méme long-
temps qu'un Provediteur de Tiné luy
fit fcier le vifage , voyant que la téte
étoit une trop lourde mafle pour la
pouvoir enlever dans {on Vaitfeawr,
En effet c'étoit un vray Coloffe , ear
cette ftatu& étoit quatre ou cinq fois
plus grande que nature, comme vous
le pouvez juger par les mefures que
yeus la curiofité d'en prendre. La
largeur des deux épaules enfemble
eft defix pieds, ὃς le tour de la cuiffe
vers le milieu , environ de neuf, Je
ne pus pas fi bien prendre la hauteur,
É- qu'il y manque les deux jam-
bes & une partie des cuiffes. Comme
d de l'Archipel. 181
nous admirions un fi beau morceau
-de marbre , un de nôtre compagnie
nous dit que nous avions tort de
prendre cela pour une ftatué d'Apol-
lon ; & que (lon fon fentiment,c’en
étoit plutôt une de Diane,parce qu'il
y remarquoit de longues treffes de
cheveux qui luy pendoient fur les
épaules. Je luy repartis que je croyois
que c'étoit lui-même qui prenoit le
change , & que ces cheveux étoient
la marque la plus affurée que cette
ftatué étoit d'Apollon , parce qu'ils
nous reprefentoient fes rayons ; ce
qui avoit porté les Anciens à luy
donner le furnom d'ALeirecomis en
Grec, & d'Jatonfus en Latin, & c'eft
de la maniere qu'Horace le depeint
au premier Livre de fes Odes:
Dianam tenera dicite virgines ,
Intonfum pueri dicite Cyntbium.
C'étoit pour fignifier que la cheve-
lure d'Apollon n'avoit point été
-coupée , au lieu que Diane avoit fes
cheveux rattachez derriere,pour n'é-
tre pas embarraffée à la chaffe, dont
elle faifoit fon divertiffement ordi-
paire. À quoy il falloit ajoûter ; lux
18» Voyage de Dalmatie,
dis-je , que Diane étoit toájours re-
prefentée vétué , & Apollon nud , à
la referve d'un petit manteau qu'on
luy donnoit quelquefois , comme ce-
luicy paroiffoit en avoir eu un fur l'é-
paule gauche.
Pour ce qui eft de ]a ftatuc de Dia-
ne, qu'on Ícgait par l'Hiftoire avoir
aufli été à Delos , nous l'y cherchä-
mes inutilement , & nous trouvámes
feulement prés de là une piece de
ftatué que nous jugeâmes être d'un
Centaure, dont la fculpture étoit
merveilleufe , les veines & les muf-
cles marquant l'effort qu'il failoit,
_ À quelques pas de là nous vimes un
demy-corps de femme , dont la dra-
perie étoit l'ouvrage d'une main auf-
fi delicate que celle qui avoit travail-
lé à la piece precedente. Pour moy,
je jugeay que les deux pieces n'en
avoient autrefois fait qu'une , &
qu'elle reprefentoitle Centaure Nef-
fus qui enlevoit Dejanire; ce qui ne
convenoit pas mal à l'orsement de ce
Temple,puifque les Cétaures étoient
confacrez à Apollon , comme nous
Japprenons par les types de diverles -
| Οὐ de l'Archipel. 183
medailles , & particulierement de #
Galien. D'un autre côté du Temple
on void encore quatre troncs de mar-
bre, qu'on auroit de la peine à pren-
dre pour des Lions, fi les voifins de
Delos ne fe reffouvenoient de les
avoir vüs fur pied , & plus entiers
qu'ils ne font. Le Lion étoit auff
dedié à Apollon , & lorfque les Per-
fes vouloient reprefenter le Soleil.ils
εξ depeignoient avec un vifage de
Lion, parceque lors qu'il eft dans le
| figne du Lion, il a plus de force que
. dans tous les autres.
Entre a mer & le Temple regnoit
un beau Portique de marbre du cóté
qui regarde l'Ifle de Rhenia. C'eft là
particulierement qu'il refte une pro-
digieufe quantité de grans quartiers
de marbre, de pieces de colonnes, ὃς
de frifes entaffées les unes fur les au-
tres. Les colonnes qu’on y void font
pour la plus grande partie canclées
par le haut , & taillées à facetes par
** Medaille de Galien, Revers, un Centaure,
& écrit autour Apollini Augufto , ce que le
Poëte Manilius liv.z.confirme dans ces deux
Vers :
- Et Phœbo (acer ales, e» almo grates Iacchx
Crater (n duplici centaurus imagine fulgés,
184 — Voyage de Dalmatie,
le bas. Nous ne vimes dans cette
confufion que deux ou trois chapi-
teaux d'ordre Corinthien,le refte qui
devoit accompagner les colonnes
ayant été enlevé par les Vaiffeaux
Turcs ou Chrétiens , qui y font ve-
nus aborder depuis que l'Ifle a été
abandonnée. Les Roys de la Grece
avoient contribué aux frais d'un fi
fuperbe ouvrage , dequoy il ne nous
fallut point d'autres preuves que le
nom du Roy Philippe de Macedoine
ue nous y làmes fur une grande fri-
e, & celuy d'un autre Roy appellé
Dionyfius Eutyches fur un marbre |
femblable. | |
Joignant le Temple ,où peut-être |
méme dans fon enceinte,nousremar- |
quâmes une grande pierre àdemy en- .
xerrée , où fe lifent ces deux mots,
NAXZIOI ATIOAA quine nous ap-
prirent autre chofe,fi ce n'eftque les
habitans de l'Ile de Naxos appellée
prefentement N axia , avoient dedié
à Apollon quelque ftatué , ou quel-
qu'autre monument à Delos, dont ce
“marbre fervoit de bafe. De l’autre
«óté il y avoit quelques caracteres,
€ del Archipel. 18;
qui approchoient de la figure des let.
tres Tofcanes anciennes , mais je re-
connus pourtant qu'elles étoient de
Grec moderne,
. Au pied du mont Cynthien l'on
void auffi grande quantité de mar-
bres & de pierres , qu'on peut juger
être des debris de la Ville, car c'étoit
là qu'elle devoit étre placée , felon la
defcription que nous en font les Au-
theurs; & particulierement Strabon,
Nous y lümes une infcription qui
parle d'un Vœu fait à Serapis , Ifis,
Anubis & Harpocrates , qui peuc-
être y avoient un Temple, quoyque
les Hiftoriens ne nous en ayent pas
fait mention ; ou du moins un Autel
dans le Temple d'Apollon ; car les
Egyptiens difoient quelquefois que
Serapis étoit Iupiter, & d'autres fois
que c'étoit Apollon ; d’où vient qu'ils
reprefentoient fouvent Serapis avec
des rayons autour de la tête, De mé-
me ils croyoient qu'Ifis étoit la Lu-
ne,&on la void quelquefois dans
les medailles avec un croi ffant. *
* Cette Ville s'étendoit dans la plaine juf-
q u'au détroit de mer,qui cft entre les deux
4986 — Voyage de Dalmatie, :
Jfles de Delos & de Rhenæa, & méme le
Theatre dont nous patlerons bien-tôt éroic
dans l'enceinte de la Ville ; comme on l'ap-
prend par une infcription qui fe void main-
tenant à Venife , à la Bibliotheque de Saint
Marc , & qui apparemment a LE apportée
de Delos. Elle eft imprimée dans le Grute-
rus à la page ecccv. Stephanus parle d'un
lieu appellé Olympieum dans l'Ifle de Delos,
où les Atheniens bâtirent une Ville, aux dé-
pens de l'Émpereur Hadrian , à caufe de-
quoy ils la nommerent, Ja nouvelle Athenes
d' Hadrian, & il y a beaucoup d'apparence
que c'étoit cette même Ville dont parle
Strabon;qu'ils avoient rebárie ὃς agrandie.
Tout Le marbre qui étoit employé
à Delos étoit de celuy de Paros , que
les Grecs eftimoient beaucoup pour
fa beauté & pour fa blancheur. Le
p mont Cynthius qui donnoit le
urnom de Cynthien à Apollon & à
Diane, eft un roc de marbre granite,
alfez approchant de celuy d'Egypte.
Il ne paroit pas neantmoins qu'en en.
ait jamais tiré, On void au deffus
quelques mafures,comme s'il y avoit
eu quelque Temple.
Entre cette colline & la mer du
coté qui regarde l'Ile Rhenia, nous |
vimes un Theatre de marbre, dont il :
ὦ de f Archipel. 1$7
refte encore une partie des degrez.
Il a un peu plus que le demi-cercle
avec les angles exterieurs qui ren-
went en dedans. Son diametre en y
comprenant l'épaiffeur des degrez eft
de 200. pieds. Sur le derriere font
placées aux cótez deus efpeces de
Tour maffives qui ont 3o.pieds de
long & 18.de large; & (οὔ l'endroit
de la Scene fe decouvrent en terre
neuf voûtes féparées chacune pat
une muraille, Nous les primes pour
des citernes , parce qu'à quelques-
uneson void un conduit qui y portoit
Peau de pluye.
Sur le foir nous voulàmes retour-
ner à nos Vaifleaux , mais voyant le
vent fenfiblement augmenté , & la
mer fort agitée , nous trouvàmes à
propos d'attendre au lendemain.Ain-
fi il fallut pour ce foir-là nous con-
tenter des reftes de nôtre diné, &
de nous faire des matelats de Po/ium
montanum , & d'autres herbes que
inous pümes amaffer , efperant que le
vent fe calmeroit la nuit,& que nous
pourrions nous remettre en mer de
grand matin. Mais le jour étant ve-
188 Foyage de Dalmatie ,
nu, & le vent fe rendant toüjotts
plus fort, nous ne voulümes pas rií-
quer avec une fi ien barque que la
nôtre, Cette difgrace nous arriva
.. tres-mal à propos;parceque nous n'a-
vions pas eu la precaution de pren-
dre des provifions ; & qu'il nous au-
roit fallu jeüner fort aufterement
tout ce jout-là, fi par bonheur un de
nôtre compagnie n'eüt mené avec
luy un chien de chaffe , & porté fon
fufil , avec quoy il tua quelques la-
pins , que nous fimes rótir le moins
fal que nous pümes , & que nous
mangeâmes fans pain, ni bifcuit. Le
pis étoit que nous n'avions rien à
boire, δέ qu'alorsla chaleur étoit
tres-grande. Nous cherchámes inu-
tilement la riviere d’Inopus, qui cou-
loit autrefois dans cette Ile , felon
le témoignage de Strabon & de plu- |
fieurs autres Gcographes,de l'infide- |
lité defquels nous avions bien lieu :
de nous plaindre dans une rencontre :
fi fàcheufe. Mais cette riviere dont
ils font métion ne pouvoir être qu'un
torrent fort mediocre qui ne fe for-
moit que pat la pluye , ou du moins.
ei de l'Archipel. 189
une fimple fontaine que le bonlever-
fement de tant de ruines nous ca-
choit. Auffi Pline ne luy donne que
le nom de fontaine ; mais il en ra-
conte une chofe merveilleufe ; c'eft,
dit-il , qu'elle obfervoit le méme
temps & la méme regle que le Nil
quand elle venoit comme ce fleuve à
croitre ἃς à decroitre,
Le Docteur Crefcentio , qui étoit
nôtre guide fçavoit pourtant que
l'Ifle avoit de l'eau , & il s'opiniátra
à lachercher deux heures durant. A
la finil trouvaune ouverture de voü-
te à cent pas du pied dela montagne
, parmi des mafures, Ayant jetté de-
dans une pierre , il reconnut qu'il y
avoit de l'eau, & nous en vint aver-
tir. Nous nous y rendimes tous,
pour y faire defcendre un de nos ma-
tclots,& nous remplir un baril. C’é-
toit une belle citerne ancienne àqua-
we voûtes feparées feulement par
quelques piliers. L'eau en étoit bon-
ne, ou du moins elle nous paroiffoit
telle, & méme auffi excellente que le
eilleur vin du monde. 3
L'apreídinée nous allàmes à la
190 Voyage de Dalmatie ,
pointe de l'Ile qui regarde Tiné ἃς
Myconé , pour obferver fi nos Vaif-
feaux étoient encore à l'ancre. Nous
vimes qu'ils éoient à la voile pour
fuivre leur route de Conftantinople,
& fümes bien furpris deles voir par-
tir, fans trouver d'expedient pour
nous y rendre. Le vent leur étant
contraire nous. jugeâmes bien qu'ils
auroient de la peine à doubler le cap
de Tullo, qui eft de l’Ifle de Myconé,
ce qui nous donna quelque efperance
qu'ils feroient obligez de retourner
à Tiné, ou de venir mouiller au Port
de Myconé , en quoy nous ne fümes
pas trompez , car ils vinrent donner
fond à ce dernier. Notre fommeil ne
fut pas profond cette nuit-là , par
l'inquietude de ce: que nous devien-
drions fur ce miferable écueil de De-
los , dont l'ancienne renommée ne
nous donnoit point à manger. Nous
fümes tous éveillez avant l'aube du
jour , & nos matelots ayant remar-:
qué que le vent s'étoit un peu relà-
ché , nous pcofirmes de ce moment
pour nous embarquer , & venir à la
rame à Myconé , ce que nous fimes
& de P Archipel. 191
en moins d'une heure, Comme nous
étions tout proche, le vent recom-
menca de foufler plus cruellement
qu'il n'avoit fait , & bien que nous
fuffions à l'abry de la cóte;nous n'c&-
mes pas peu de peine à gaigner le
Port. Les vagues avoient rempli
d'eau nótre barque , & nous étions
prefque autant moüillez que fi nous
fuffions tombez dans la mer,
MYCONE , anciennement 745-
conos εἰ l’Ifle où les Postes difoient
que les Centaures defaits par Hercu-
le étoient enterrez, Elle n'eft fepa-
rée de Dclos que de trois milles de
trajet, & non pas de quinze , comme
Ferrari l'affure dans fon Dictionaire
Geographique. Entre cetre Ifle ὃς
Delosil y a un écucil que les Francs
appellent Dragonera , & les Grecs
Tragonifi, comme qui diroit l'Ifle des
Boucs. Le circuit de Myconé eft de
25. à 30.milles. Elle eft fertile en
orge & en vin, mais qui n'eft pas des
meilleurs. Je m'étonne que Baudrád,
qui a augmenté Ferrari , dife qu'elle
eft foûs la domination des Veniticns,
n'ayant pas oli dire qu'ils en ayent
MYCO:
NE.
192 Voyage de Dalmatie,
jamais été en D Mais il fe
peut faire que du temps de la guerre,
l'Ile érant abandonnée , ils y ayent
fait quelque defcente. Car elle n'a
point de Forterefle,& c'eft pourquoy
les Turcs n'oferoient l'habiter , de
peur que les Corfaires Chrétiens ne
les y vinffent enlever pour les rendre
efclaves. Mais les Galeres du Grand
S:igneur ne manquent pas toutcsles
années d'y venir prendre le tribut
par tefte qu'ils appellent Caratseb :
Il n'y a qu'un feul village dans l'Ile,
& il paye pour fon Caratsch trois
mille fix cent piaftres, Le nombre
des habitans monte à peine à deux
nille, & l'on y trouve quatre fem-
es pour un homme , parceque la
pluspart de ces Infulaires font Mari-
niers ou Corfaires , & il ne revient
jamais la moitié de ceux qui vont
chercher fortune. Les filles n'y font
pas cruelles , quoyque pour la plá-
part elles foient tres-belles. Nôtre
Capitaine en enleva une , que fon
propre pere luy avoit vendue. Elle
faifoit femblant de n'y pas confen-
tir, & toutes les femmes feignoient
de
Ls " lé X € co E
adeft deni db bte ni χ- +
ET ee OR ER EE NP I ET
— εἶν del Archipel. . 193
de s'en allarmer, Leur habit eft tout-
à fait particulier, Le corps eft de ve-
lours rouge ou brun ; les manches
font de toile , ayant plus d'une aune
de large, & autant de long. Le co-
tillon fort pliffé ne defcend qu'un
peu plus bas que le genou, & la che-
mife qui paroit deflous jufqu’au fou-
lier, eft pliffée de méme, & ouvragée
deíoye. Elles s'entrctiennent à filer
du coton qui croit dans leur Ifle , ou
de la foye d'Andros , dont elles font
des mouchoirs. Le Gibier eft à grand
marché dans cette Ifle. La paire de
perdrix ne coûte d'ordinaire que cinq
fols, mais nous en payámes dix, par-
céque nous étions étrangers. S'ils
avoient alfez de poudre, on les auroit
| encore à meilleur prix.Le bois & l'eau
| yfont rares.On n'y brûle préque que
| des herbes feches , & un grand puits
| fournit d'eau τοῦς le Village. Il y a
environ trente Eelifes Grequcs , ὃς
une feule Latine. Le Commandant
de l'Ile eft un Grec de Conftanti-
nople.
| Vendredy 25.d'Aouft nous levá- -
mes les anchres fur le midy ; ὃς paf-
194 Voyage de Dalmatie,
sâmes entre Tiné ὃς Myconé , qui ne
font éloignées l'une de l'autre que
de quatre ou cinq milles. La Tra-
montane nous étant contraire, elle
nous jetta le lendemain du coté de
Nicaria & de Samos, que nous laif-
sâmes environ à trente milles fur.nó-
tre droite. Sur le foir nous nous
trouvâmes prèque à l'entrée du ca-
. nal , qui eft entre Chio & la tetre-
ferme de Natolie. Comme ce n'étoit
pas nótre route de nous aller enga-
get dans ce détroit , nous fifmes un
grand bord à gauche pour aller dou-
bler l'écueil de Venetico, proche due
quel nous pafsâmes, Le Dimanche
nous eümes bonace, & nous avions à
notre droite l'Ile deScyros,& le pe-
tit écueil de Caloiero, que quelques-
uns. prennent mal-à-propos pour
l'Ifle de Gyaros, qui s'appelle main-
tenant Zozr4, comme je l'ay dit plus
haut. Quand on découvre de loin
cét écueil , il femble que c'eft une
voile de navire. La nuit le vent s'é-
tant mis au Siroc ou Sud-eft , nous
paísàmes entre l'écáeil de Pfara, qui
pa qu'un Village , & l'Ille de Cl,
c de ἢ Archipel. 19$
Le vent continuant de nous être fa-
vorable, nous laifsàmes à nôtre droi-
te Metelin,qui eft l'ancienne Lesbos,
ἃς vinmes le foir du 26. entre lifle
de Tenedos & le pays de Troye , où
un calme qui furvint nous obligea de
jetter l’anchre,
Je ne puis quiter l'Archipel , fans
vous en dire quelques autres particu
laritez que j'ay [cceues. Chio eft une
belle 1fle , où il y a une bonne Ville
& douze ou quinze Villages,qui cul-
tivent le Lentifque & le Terebinte,
pour en tirer le maftic & la tereben-
tine, dont on fait beaucoup de cas
dans toute l'Europe. On y fait auffi
des étofes defoye , & des damas af-
fez groffiers qu'on envoye en Barba-
rie. L'Ifle a environ foixante milles
de tour, & il y a un bon Port & une
bonne Fortereffe , où le Grand-Sei-
gneur entretient une Garnifon.
METELIN eft le double de Chio
en grandeur , mais fon negoce n'eft
pas femblable.Tous fes revenus con-
fiftent en grains, en fruits, en beurre
& fromage, & ces deux Ifles payent
chacune dix-huit mille piaftres.de
li x
CHIO,
METE:
LIN,
196 | Voyage de Dalmatie,
Carafch au Grand Seigneur, Ceux
qui le levent des habitans de Chio,
le leur font payer encore trois ans
aprés leur mort, c’eft-à-dire, qu'ils y
obligent lheritier.En general,quand
un Grec change de pays, il faut qu'il
paye doable carafch, un dans le pays
qu'il 4 laiffé , & l'autre dans celuy
qu'il vient habiter , à moins qu'il ne
s'en exemte par quelque addreffe ,
comme en tàchant de cacher fon
nom & fa naiffance. L'Ifle de Naxia
paye pour le fien (jx mille piaftres ;
Milo trois mille; Paris e Aufe au-
tant ; Seyra deux mille ; Zea dix-fept
cent pour le carafch , & deux mille
cinq cent de dimes ; “πάγος quatre
amille cinq cent de carafch,& fix mil-
le huit cent de difmes. Negrepont,
qui eft la plus grande Hle del'Archi-
pel paye pour tous fes droits cent
mille.piaftres. Le difme vient aux
Beys ὃς Vayvodes , qui font obligez
d'entretenir de ces deniers-là certain
nombre de Galeres , fans qu'il en
coûte rien au Grand Sceigneur.Szr-
ge entretient deux Galeres ; Naxia,
Metelin, Samos, Andros une chacu-
-
ww" "—————— A—— ts 7
e de l'Archipel. 197
ne; Chio deux ; Myconé avec Seri-
pho une, & de méme les autres à pro-
portion. Naxia étoit anciennement
dediée à Bacchus , parce qu'elle eft
fertile en vins excellens, qui n'y va-
lent qu'un quart de piaftre le baril.
Sur un écucil qui n’eft qu'à une por-
tée de moufquet de l'Itle il refte un
tres-beau portail de marbre, qu'on
croit avoir été d'un Temple de ce
Dieu. L'air y eft fi bon,qu'un Noble
Venitien appellé Antonio Gigli qui
s’y étoit retiré depuis 30.ans, y mou-
rut depuis peu âgé de cent quinze.
Il y en a encore uii autre de la famil-
le des Baroci âgé de cent cinq ans,
comme me l'ont affuré des gens di-
gnes de foy qui ont demeuré dans
cette Ifle.
Nous fümes contrains de demeu-
rer quelques jours à l'ancre entre
Tenedos & la Troade, tantót la bo-
nace , & tantót le vent contraire,
s'oppofant au deffein que nous aviós
d'avancer chemin. Pour ne pas per-
dre ce temps-là inutilement , nous
nous fi(mes mettre à terre avec l'ef-
quif , & allàmes voir de plus prés les
I 3
TROYE.
38 Voyage de Dalmatie ,
ruines de la ville de Troye , dont
nous découvrions quelques marques
vis-à-vis de nous. Le terroir d'alen-
tour eft cout inculte , à la referve de
quelques endroits où il croît du co-
ton. Le refte n'eft que broffailles &
bois de chénes verds, & le terroir ne
nourrit que des lievres, des cailles &
des perdrix , qui y font en abondan-
cc. Quand nous fümes prés du lieu
où étoit la Ville, nous vimes quanti-
té de colonnes , dont il n’y en ἃ pas
une entiere avec le chapiteau.A l'ex
tremité le la Ville du côté de la Tra-
montane eft le Port de Troye , que
l'Antiquité a rendu celebre ; mais
prefentement l'entrée en eft boucbée;
& il y refte peu d'eau dans le baffin,
qui eft prefque tout comblé de fa-
bles. Les pieds de colonnes qui re-
ftent autour font juger que fon cir:
cuit étoit d'environ quinze cent pas;
Ces colonnes ayant été toutes ron-
gées par l'air , ne paroiffent pas plus
belles que la pierre ordinaire ; mais
on ne laiffe pas de remarquer qu'elles
étoient de marbre granite d'Egypte.
La rade fervoit aufli de Port, ce qu'il
I3
ὦ de l'Archipel. τὺ
eft aifé de juger par quantité de co-
lonnes ὃς de piliers qui y réfent. H
y a méme dans un endtoit des deerez
de marbre , & proche de là deux où
trois tombeaux dont la figure n'eft
uere differentede ceux des Romains
qui font à Arles. Leur conformité
me fait avoir cette opinion,& m'em-
péche de croire que ce foient des
monumens des anciens Troyens,
Nous trouvàmes dans ce qui nous
parut l'enceinte dela Ville, proche
d'une moitié de Temple rond , une
infcription Latine du fiecle des pre-
miers Cefars. Augufte y avoit en-
voyé une Colonie, & avoit un peu
remis la Ville fur pied. Auffi voit-on
fouvent à des revers de medailles
Imperiales le nom qu'elle avoit pris
de Colonia Augufla Troas.
Le Grand Seigneur a fait enlever
quantité de colonnes de Troye pouf
la fabrique de la Mofquée neuve de
laSaltane mere. Nous ne laifsámes
as d'y en trouver encore trois cou-
chées dans les broffailles,au Sud du
Port fur une eminence.Il y en a deux
de 30.pieds de long d'une feule piece
l 4
200 Voyage de Dalmatie ,
chacune,& une de 5 5.pieds rópue en
trois, qui a quatre pieds neuf pouces
dc diametre , toutes trois de pierre
granite, Sclon les apparéces le quar-
tier le plus habite de la Ville étoit
fur Le plus haut d'une colline qu'on
monte infenfiblement depuis le riva-
ge, environ à deux milles de la mer.
Car on void en cét endroit quantité
de mafures, de temples, de voütes,&
un theatre plus petit que celuy de
Delos : mais particulierement trois
arcades , & des pans de muraille qui
reftent d’un bâtiment fuperbe , dont
la fituation avantageufe & l'étendue
font connoitre que c'étoit le Palais
le. plus confiderable de la Ville. Je
ne veux pas croite , comme le difent
ceux des environs de Troye, que c'é-
toit le Cháreau du Roy Priaim,car je
ne le viens pas plus ancien que le
tems des premiers Empereurs Ro-
mains. Ce bâtiment étoit prefque
tout de marbre , & les murailles ont
douze pieds d’épaiffeur. Au devant
de ces arcades , qui patoiffent avoir
- foütenu une voute , il y a une fi pro-
digieufe quantité de quartiers de
C delArchipel. |^ ot
marbre entaffez les uns fur les au-
tre, qu'on peut aifément juger par là
“de la hauteur & de la beauté de ce
Palais. Nous decouvrimes auffi par-
my ces ruines un beau chapiteau de
pilaftre d'ordre Corinthien ; mais fi
je voulois vous rendre raifon de tou-
tesles pieces qui reftent dans ces ma-
fures , j'en aurois pour trop long-
tems , & je vous ennuyerois d'une
piece fi feche & fi peu utile. |
Le famedy 31.d’Aouft nos Vaif-
feaux avancerent quelques milles,
pour aller donner fond proche de la
fortereffe de Tenedos,qui n’eft qu'u-
ne Tour avec un Boulevard garni
d'environ quinze canons. Les Veni-
tiens s'en étoient rédus maitres pen-
dant la guerre de Candie , mais les
Turcs la reprirent par le moyen d'un
tonneau de Sequins , avec lequel ils
gaignerent le Commandant. L'’Ifle
eft fertile en bons vins , dont elle
fournit Conftantinople , & les muf-
cats y font excellens. Ceux du Vaif-
feau qui fe plaifoient à la chaffe , y
xrouvoient autant de gibier qu'ils
4 vouloient, mais particulierement des
| lievres & des perdrix, Is
ΔΌΣ Voyage de Dalmatie ,
Le 5.du mois fuivant nous allâmes
nous fournir d'eau fous le village qui
eft au Cap de Janifferi, où étoit l'an-
cienne Ville de Sigée. Nous montá-
mes jufqu'au village que les Grecs
appellent encore 77e;25, & comme
nôtre voyage fe prolongeoit nous y
fimes provifion de poules & d'œufs,
tout y eft à fi grand marché, qu'on a
quinze poules pour une piaftre , &
que la douzaine d'œufs ne coüte
qu'un fou. Nos mariniers y firent
auffi grande provifion de feves. Le
Village peut contenir environ trois
cent feux. Tous les habitans font
Grecs, & vivent de la vente de leurs
denrées, qui font bleds,vins,fafrans,
melons & autres fruits. Le Timin,
qui cft nótre piece de cinq fols, vaut
]à quatorze afpres, mais leurs afpres
font petits, & ne pailent pas à Con-
ftantinople.
Quatre jours aprés nous fimes
voile pour aller mouiller àl'Ile d'Ime-
bros, où nous avions beloin de faire
du bois. Cette Ifle cft un peu plus |
grande que Tenedos, & a quatre vil-
dages , dont le principal eft Imbros, |
»
e de l'Archipel. ποῖ
accompagné d’une Fortere(fe. Nous
montâmes à un des plus hauts lieux
de l'Ile, qui n'eft toute que de peti-
tes montagnes couvertes de bois, où
il y a beaucoup de chaffe. Vn Gen-
tilhomme Flaman de nôtre Vaïflean
y alla avec fon fufil & fon chien, &
en moins de deux heures il tua un
Sanglier & une Laye avec fes quatre
matcaffins.Ce plaifirluy coàta cher,
car le Chef de notre Eícadre s'étant
mis à la voile pendant qu'il chaffoit,
nôtre Vaifleau fut obligé d'en faire
autant , & nôtre Capitaine qui ne
vouloit pas le laiffer , donna ordre à
trois ou quatre de fes matelots de
l'attendre avec Pefquif. Il vint demi-
heure aprés,mais l’efquif ne pouvant
atteindre le Vaiffeau, la nuit les [ur
prit avec le mauvais tems , qui les
jetra fur l'écueil defert. de Afawria
proche de Tenedos , d’où ils ne fe
purent rendre que le deuziéme jour
à notre bord, avec affez de danger ἃς
de fatigue.
Le 9. nous entrâmes dans les bou-
ches de Conftantinople, c'eft-à-dire,
«dans le Détroit fameux de l'Hicllet-
,
204 Voyage de l' Arcbipel ,
pont, qui fepare l'Europe de l'Afie;&
. en particulier la Thrace de la Phry-
gie. Ce Détreit où Xerxes Roy de
Perfe jetta un Pont de bateaux pour
faire paffer huit cent mille hommes
en Grece , a deux noms anciens, &
deux noms modernes. On lappelloit
Hellefpont ; comine qui diroit , mer
de Hellé,qui fut fille d'Athamas Roy
des Thebains , & qui pour éviter les
embüches de fa belle-mere Ino , prit
la fuite avec Phryxus fon frere, & fe
noya en paffant cette mcr, qui en re-
tint le nom. On l'appelloit encore
détroit de Seftos & d'Abydos , du
nom de deux Villes bâties de côté & — -
d'autre de fon rivage, & fameufes M
par les amours de Leandre & de He-
ro , que les Poëtes nous ont tant
chantées. Les deux noms modernes
font les Dardanelles & le Détroit de
Gallipoli , dont je parleray dans la
fuite de cette Defcription, que jetà- !
-cheray de vous donner le plus exa-
étement qu'il me fera poffble.
.- Eftant donc fous le canon des deux
;Chátcaux neufs , qui font des deux |
. çotez de l'entrée ;, nous les faluâmies —
€ de Conflantinople. | 205
de fept coups de nôtre artillerie , &
ils répondirent à leur ordinaire d'un
feul coup à bale. Nous les remerciá-
mes de cinq autres , car les faluts de
mer fe font toûjours à nombre im-
pair, comme les medecins font des
pilules qu'ils ordonnent. Ces deux
Fortereffes n'ont rien de confidera-
ble , ni qui les doive faire craindre,
que la groffeur des canons pointez à
leur d'eau. Elles n'ont ni foffez, ni
ouvrages, & cene font que de fim-
ples murailles, qui ne font pas méme
Xoütenués de terre par dexriere. Le
foir l’Aga d'une des Forterefles en-
-voya-faluer nos Capitaines , & les
regaler d'un magnifique prefent de
.deux douzaines d'oeufs , & d'autant
de poules. On les paya avec ufure,
par de bon vin & de la poudre qu'on
prefenta à ceux qui vinrent de fa
part. Car les Turcs n’ont guere ac-
coûtumé de donner , s'ils n’efperent
-de recevoir le double en échange.
Le courant de l’Hellefpont , qui
va toëjours du Nord au Sud en tom-
-bant dans l'Azchipel , comme Pline
-A'aremarqué , & la Tramontane qui
206 Voyage de l Archipel ,
y foufle-en Eté quelquefois deux
mois de fuite,nous empéchoit d'aller
plus avant, & nous commencions de
nous ennuyer d'étre fi long-tems à
l'anchre. C'eft ce qui nous fit pren-
- dre la refolution d'aller par terre juf=
qu'aux vieux Chàteaux, pour y pren-
dre une barque pour Conftantino-
ple , & il y avoit fept ou huit milles
de chemin. Nous allâmes au village
le plus proche appellé Kainourio-Che-
rio, c'eít-à-dire le Village-neuf,pour
y chercher des chevaus. Fy couchay
chez un Grec , qui mme receut avec
V'Evéque de Serifo & Myconé, qui y
étoit venu avec moy , & qui avoitle -
méme deffein que nous. Nótre hôte
nous traita le mieux qu'il luy fut pof-
fible, ὃς parceque l'Evéque qui étroit :
€aloyer, comme ils le fons tous , ne
mangeoit pas de la viande , felon les .
regles de leur Ordre , il nous fit un
repas de raifins, de figues; de mielen —
rayons , d'œufs , de fromage & de .
mclons d'eau que les Grecs appellent .
Angourie.C’eft un fruit commun dans. -
ces quartiers-là,& les meilleurs viens
inent de Gallipoli, Cc village cft d'u-
€ de Cozflantinople. 107
ne centaine de maifons de Grecs,qui
y ont une petite Eglife où nous allä-
mes entendre leurs Vépres. Le Pré-
tre les chanta de la plus miferable
maniere du monde, & lon ne difcer-
noit pas un mot de ce qu'il difoit,
Peut-être auffi n'y entendoit-il rien
lui-même ; cat ils font la plüpart fi
ignorans dans les Villages, qu'ils ne
fçavent pas feulement lire leur Offi-
ce, & ce qu'ils en difent , ils le fças
vent ordinairement par cœur. Du
moins s'ils le fçavent lire, y en a-t-il
fort peu qui l'entendent , parce qu'il
eft en Grec literal;qui eft prefque au-
tant different du Grec moderne ; que
le Latin l'eft de l'Italien.
Le jour fuivant 15.de Septembre,
n'ayant pü trouver des chevaux,nous
loüámes pour nous códuire aux Chá-
teaux quatre chariots pour quatre
que nous étions avec nos hardes.
Nôtre marche étoit affez finguliere.
Nos chariots étoient foütenus de
deux petites roües folidesfans rayós,
& attelez chacun par deux buflcs;qui
mous conduifoient avec beaucoup de
gravité , ce qui fit que la nuit vint,
208 Voyage de l'Archipel, ——
avant que nous fuflions arrivez. Par
bonheur nous avions rencontré en
chemin un honnéte homme;qui nous
reconnoiffant pour des Francs, nous |
dit qu'il éoit le Conful de la Nation
Angloife & dela Hollandoife,& qui
fe mit devant pour nous preparer un
logis ; ce qui nous fit bien du plaifir,
parceque n'ayant aucune connoiffan-
ce en ce lieu-là , & y arrivant à une
heure de nuit , nous aurions eu bien
de la peine à en trouver un. Nous.
fümes receus chez un de fes amis ap-
pellé Eliazar Ruffer Drogueman des
Venitiens,& le Cóful s'appelle Abra-
ham Curfo, tous deux Iuifs de Reli-
gion , & fort civils. Nous commen-
çâmes à connoitre que nous étions en
"Turquie, parce qu'il nous fallut fou-
er avec nos hotes, les jambes croi-
fes fur une eftrade , dans la méme
pofture de nos Tailleurs d'habits. Le
Bourg de ce Chateau du coté d'Afie
“ft peuplé de trois ou quatre mille
ames, moitié Mahometans, ἃς moitié
Juifs. Les Chrétiens y font en tres-
:petit nombre, & n'y font pas fort
onfderez, |
C de Cezflantinople. — 209
- Je m'étois imaginé que ces deux
Cháteaux defendant l'entrée. de la
mer de Marmora, ou de la Proponti-
de, & par confequent celle de Con-
- ftantinople , devoient être quelques:
places d'importance. Ce n’eft pour-
.tant rien moins que ce que je m'étois
figuré,celuy du côté de l’Afie où nous
étions , n'étant qu'une enceinte de
murailles, avec un méchant foffé de
trois ou quatre pieds de profondeur;
& celuy qui eft du coté de l'Europe,
n'eft qu'une Tour ronde avec deux
Boulevarts avácez en cœur d'une ma-
niere Gottique.Ces deux petites Vil-
les ne font point fur le plan des deux
anciénes Seftos & Abydos.comme le
veulent nos Di&ionaires Geographi-
ques, Il n'y paroit aucune sad are an-
tique,& ce n'eft pas là aufli l'endroit
le plus étroit de l'Hellefpont. Car à
trois milles plus loin il fe ferre bien
| davantage , & nous y trouvámes au
bord de la mer des fondemens &
quelques mafures , qui nous confir-
merent que c'écoit là leur veritable
ficuation. Le nom méme d'Abydo,ou
Avido eft inconnu aux Châteaux,
CGCALLI-
POLI,
216 Voyage de l'Arrhipel,
Les noms qu'on donne à ces deux
Bourgs qui font autour des deux for-
terefles des Dardanelles, font le ch4-
teau vieux de Romelie ; & le chatean
vieux d’Anatolie,chacun felon la ma-
niere d'exprimer de fa langue.La lar-
geur de l'Hellefpont eft là d'environ
deux milles , de forte que le canon
porte aifement d'un côté à l'autre.
Le lendemain nous primes une Fe-
louque à cinq rames,qui nous devoit
conduire jufques à Conftantinople,
€ eít-à- dire au moins foixante lieues,
& nous fimes marché avec des ma-
riniers Turcs pour dix-neuf piaftres,
Nous marchâmes toute la nuit, &
arrivâmes deux heures avant jour à
Gallipoli,que nous allàmes voir, bien
qu'il y euft de la pefte.. Mais comme
nous allions à Conftantinople,où el-
le regne prefque inceffamment , il
étoit neceffaire de s'y accoëütuimer dé
bonne-heure. Gallipoli eft une gran-
de Ville de cinq ou fix milles de tour,
mais eile n'eft pas peuplée à propor-
tion de fa grandeur. Chaque maifon
préque a fon jardin. Le Bezeftein,
qui cft le lieu où fe vendent les mar-
€ de Cozflantineple. — ztt
chandifes,eft un grand bâtiment qui
a quelques domes converts de plób;
& qui eft aflez bien fourni. On fait
état qu'il y a dans la Ville douze mil-
le Turcs,quatre ou cinq mille Grecs,
ὃς préque autant de Euifs. Elle n'a
qu'une méchante Fortereffe à peu
… prés de la maniere des precedentes.
. Nous avions eífayé d'avaneer che-
. min, mais aprés avoir demeuré à un
. mille de Gallipoli , & pañlé la. nuit
foüs un arbre , nous fümes obligez
d'y retourner , en attendant que la
Tramontane s'appaisát, & nous vin-
mes loger chez le Conful Venitien.
Nous ne trouvâmes pas là des Anti-
quitez qui nous fatisfiflent,n’y ayant
và qu'une frife de marbre bien tra-
| vaillée vers le Port, & qu'une infcri-
prion de peu de confequence.
Nous crûmes que nous pourrions r A M.
voir quelque chofe de plus confide: PsACO,
table à Lamp/aco , qui eft de l'autre
côté du détroit dans l'Afie , & nous
y pafsimes malgré un gros vent qui
nous donnant en flanc menagoit fou-
. vent nôtre barque d’être culbucée,
. C'eft un Bourg mediocre habité de
212 Voyage de l Archipel ,—
Turcs & de peu de Grecs. Mais pár
avance, je dois vous donner avis ,
que quand je vous parle de Villes;de -
Bourgs ou de Villages dans la Tur-
quie, je n'entens pas faire une diftin-
étion comme dans nos pays de lieux
fermez ou ouverts ; car en Turquie
les Villes , quoyque fort grandes,
n'ont point d'ordinaire de murailles,
à la referve de quelques-unes » com-
me font Conftantinople,Andrinople,
& quelques Villes frontieres. Celles
qui font un peu confiderables ont
quelque petite fortereffe commandée
ar un Âga avec quelques Officiers
& foldats , qui ne portent pas nean-
moins l’épée,s’ils ne font en faction.
Auffi feroit-ce s'expofer à quelque
affront de la vouloir porter dans une
Ville , car il leur fembleroit qu'on
auroit quelque mauvaife intention,
ou du moins qu'on témoigneroit de
ne fe pas croire,en feureté parmy
eux. τὰ .
Lampf(aque eft une des trois Villes
que Xerxes donna à Themiftocle |
pour fon entretien. Magnefie étoit |
pour fon pain,Myuns pour fa viande,
$
Q de Conflantinople. — 213
& celle-cy pour fon vin. Auffi y re-
. marquámes-nous de tres-belles vi-
nes à l’entour. Il y avoit un Port
excellét à 170.ftades d'Abydos;& el-
le fut nommée anciennement P;nz-
fà ; felon le témoignage de Strabon,
Priape fut particulierement reveré
en ce lieu-là , qui étoit celuy de {a
naiffance, & Virgile en fait mention
au 4.des G:orgiques. Les Turcs qui
habitent à Lamplaquene font pas fi
fcrupuleux qu'en bien d'autres lieux,
où ils n'ofent pas cultiver la vigne,
| le vin leur étant defendu par la Loy
- de Mahomet. Icy fous pretexte d’a-
voir des raifins, ils ne laiffent pas de
faire des vins cuits qui leur font per-
mis, & de l'eau de vie,dont les moins
fcrapuleux fe fervent de même que
nous. Entrant dans un lieu, où l'on
boit du Café, nous y trouvames un
Iuif, qui parloit Italien. Il nous me-
na voir trois ou quatre Inícriptions
Greques , dont les deux plus belles
étoient chez un Turc appellé Achmet
"Aca Tchelebi , & quelques mafures,
que nous jugeàmes avoir été des mu-
railles anciennes de la Ville,
214 Poyage de l'Archipel.,
La Moíquée eft affez belle pour cé
lieu-là. Les gens du pays difent
qu'elle a fervi d'Eglife aux Chré-
tiens,& en effet aux quatte colonnes
qui foûtiennent le Portique , on re-
marque des croix fur les chapiteaux.
Notre Iuif nous mena voir à une de-
mi-heure de là au quartier de Souba-
bachi quelques debris d'une Eglife
avec fept ou huit colonnes couchées
par terre les unes fur les autres. Il
nous en fit un conte que les payfans
d'alentour affurent étre veritable,que
depuis peu d'années on en voulut
emporter quelques-unes pour fervir
dans Lampfaque à la fabrique d'une
Mofquée neuve , mais que le lende-
main on les trouya dans le méme
lieu d’où elles avoient été ótées ; &
cela par deux fois ; ce qu'ils attri-
buent à un miracle, Dieu ne voulant
pas que des pierres qui avoient éré
employées pour une Eglife,ferviffent
aux Mofquées des Turcs.Neanmoins
ils ne doivent être que trop convain-
cus du pouvoir que Dieu a donné à
ces Infideles fur les Chrétiens de PE--
glife Greque, dont ils fe font appro-
c de Cosflantinople, | 21$
priez par tout les principales Eclifes,
Nous retournimes coucher le foir à
Gallipoli , le trajet n'étant que de
huit milles ; mais ces deux Lieux ne
font pas tout-à-fait vis-à-vis l'un de
l'autre, car Lampfaque cft un peu
plus au Midy , & Gallipoli eft jufte-
ment à l'entrée de la mer blanche,
connué anciennement fous le. nom
de Propontide,
Nous parrimes le lendemain à l'en-
tree de la nuit, pour profiter du cal-
me , & le matin nous nous trouvà-
mes avancez de trente milles, Nos
mariniers ayant befoin de repos,nous
nous arreftàmes au village appellé
Perafle , où nous fümes regalez de
café & de fruits par l'Aga qui y come
mandoit , ayant reconnu M. l'Abbé
Charpentier qui nous avoit joint
avec fa Felouque , & qui faifoit la
méme route que nous. Il l'avoit và
au premier château des Dardanclles;
où il étoit defcendu, Six milles au
delà nous fifmes une feconde paufe à
un autre villageappellé Heracliffa, ὃς
deux heures apres nous en fimes une
troifiéme à Ayriofjren , autre village
,
216 Voyage de l'Archipel,
qui a plus de deux cent feux,& dont
les habitans font en partie Turcs , &
en partie Grecs. Nous voulümes
nous promener dans les rués , mais
les enfans nous ayant apperceus ha-
billez à la Frangoife , s'attrouperent
aprés nous , ce qui nous obligea de
vous retirer vers notre barque. Le
Sangiac qui commandoit en ce lieu-
là nous connoiffant pour Etrangers,
nous aborda, & nous entretint quel-
ques momens avec un peu d'Italien
qu'il fcavoit. Il nous dit qu'il avoit
éé pris efclave & mené à Malche,où
il avoit demeuré trois ans avant que
de s'étre pà racherer.Il fe loüoit fort
du Corfaire qui lavoir pris, & dont
il avoit recet toute forte de bon trai-
tement. C'étoit le Capitaine Daniel
de Marfcille, qui fut tué il y a deux
ans,en fe battant contre les Vaiffeaux
de Tripoli & les Galeres du Bey
Maffamam. Ce Sangiac nous fit pre-
fent d'un panier de raifins , dont les
grains, fans mentir;étoient auffi gros
que des œufs de pigeon , & le goût
en étoit tres-delicat. Le vin eft à
grand marché dans toute la cóte de
la mer blanche. Nous
€ de Conflantinople. — 217
Nous couchâmes dans nôtre Cha-
loupe , ὃς partimes avant jour pour
traverfer le golfe de Rodeffo, au Fond
duquel eft la Ville de ce nom , fituée
iur le panchant d'un cótcau, & dont
les maifons font une agreable vüe
fur la marine. Elle eft auffi grande
que Gallipoli , & mieux peuplée.
Nous y decouvrimes dix ou. douze
Mofquées avec leurs zaemarers , c'eft-
a-dire, avec leurs petites tours , d’où
l'on crie aux heures de la priere,pour
appeller le peuple à la Mofquée. Les
Grecs y ont auffi plufieurs Eglifes.
Trois heures avant ia. nuit nous
arrivàmes à Heraclze , qui a un beau
Port fait en amphitheatre, d'environ
trois milles de tour , & dont la bou-
che eft au Nord-Eft. Nouscümes af-
fez de tems pour y aller chcrcher.des
Antiquitez, & nous ne tardämes pas
HER A:
CLE E.
d'en découvrir. Les murailles ont’
des pieces de ftatuës, de colonnes &:
de chapiteaux enclavées parmi leurs”
autres materiaux , & ayant apperceu
quelque infcription , nous voulämes
la copier,mais malheureufement mon
camarade & moy avions perdu nos
K
218 Voyage de l' Archipel ,
plumes.Ce nous étoit un grand mal-
heur en ces quartiers-là;parceque les
Turcs & les Grecs ne s’y fervent que
de petites cannes taillées à leur mo-
de, dont nous aurions bien de la pei-
ne à écrire le moindre mot. Dans cét
embarras nous allàmes jetterles yeux
fur une aile d'oye qui traînoit par la
tue, d’où nous tirámes promtement
quatre ou cinq plumes, avec lefquel-
les nous copiâmes quelques belles
Infcriptions. Il y en a une entr'au-
tres inferée dans le mur de l'Eglife
Cathedrale des Grecs, où fe lit le
nom de Perinthus , que la Ville por-
toit du tems des premiers Empereurs,
comme elle.avoit eu auparavant ce-
luy d'Heraclea qu'elle avoit repris
dans le bas Empire, felon que le rap-
perte Zozime , & qu'elle retient en-
core à prefent.Cette Infcription étoit
dediée à l'honneur de l'Empereur Se-
vere, & c'eft avec raifon qu'ils fe fou-
venoient de ce Prince, qui leur avoit
affujetti la Ville de Byfance,devenué
l'objet de fa colere, pour avoir de-
fendu avec trop d'opiniátreté.le parti:
de Pefcennius Niger.
d de Conflantinople. 219
Je m'entretenois un jour à Con-
ftantinople avec Monfieur Fin{ck
Ambaffadeur d'Angleterre, fur la fi-
tuation d'Heraclée. C'eft un Gentil-
homme feavant , & de beaucoup de
merite, & qui a une particuliere con-
noiffance de ces pays-là. Il me dit
qu'il croyoit , que c'étoit la Ville de
T chourly, où il avoit paffé en venant
d'Andrinople. Qu'il y avoit méme
trouvé unc Infcription à l'honneur
d'Herennius Etrufcus faite par les
Perinthiens. Que la pierre étant fort
groffe il n'y avoit aucune apparence
qu'elle eût été apportée d'ailleurs,8c
qu'ainfi ce devoit éue leurVille.Pour
lay dire auffi nion fentiment , je re-
partis,qu'à la verité Tchourly devoit
être une Ville du reffort des Perin-
thiens, n'étant éloignée que de quel-
ques lieuës d'Heraclée;mais que pro-
prement Perinthus étoit une Ville
maritime , ce que la defcription des:
anciens Geographes, & les medailles
dé cette Ville,qui ont une Galere au
révets , prouvoient affez clairement,
Que l'infcription que nous y avions
fouvée portoit auffi le nom des Pc«
id
C O N-
STAN-
TINO-
PLE.
220 Voyage de 1 Archipel ;
sinthiens , & qu'enfin lenom d'He-
racléa qu'elle avoit encore à prefent
en étoit une preuve fuffifante,
Le lendemain quatre heures avant
le jour nous nous mimes à la rame,
& laifsámes au Soleil-levant Se/yzm-:
bria, qui eft une ancienne Ville , où.
Aly a prefentement plufieurs Mof-,
quées,un Bezeftein & pluficurs Egli-
les. Greques. Plus avant nous vimes
Pivades ; T fchefchmegé , & trois ou:
q'atre autres grans Bourgs, Nous,
vinmes. coucher au Port de la Ville
de San Stefano,d’où l'on ne conte que.
neuf ou dix milles jufques à Con-
ftantinople, | |
- Le lundy matin 23.de Septembre
nous arrivàmes à cette grande & fa-
meufe Ville , qui bien qu'elle ne foit
bâtie préque entierement que de bois,
ne laiffe pas d'avoir fes beautez auffi
bié que fi elle étoit toute de marbre.
Cómenous paffions prés des murail- |
les de la Ville;qui font fur le Bofpho-.
re,je remarquay qu'elles étoient fort
negligées ,, & qu'apparemment elles
»'ont pas été rebàues depuis le tems
des Empereurs Grecs; parce qu'on y;
& de Conflantizóffe 2111
void encore en beaucoup: d'endroits
des Infcriptions où font les noms des
Empeteurs qui les avoient relevées.
Oa y lit entr’autres les noms des Em-
pereurs Theophile ; Michel , Bafile,
Conftantin Porphyrogenete, Manuel
Comnene & Iean Paleologue ; foûs
l'Empire duquel la Ville fut prife.
Ainfi cela confirme ce que Gyllius
dit , que les murailles de Conftanti-
nople ont été rebáties par Theophi-
le, fans parler des autres, ce qu'il
n'auroit pà neanmoins ignorer , 51}
avoit obfervé ces Infcriptions » qui
font allez en νὰ,
L'ancienne Byzance , qui étoit au
eme lieu oit eft maintenant. Con-
ftantinople , n’éroit autre chofe que
l'enceinte du Serrail , qui eft de qua-
treoucinq milles. Ses Fondateurs
avoient confulté l'Oracle , qui leur
ordonna d'aller bâtir une Ville vis-
à-vis du pays des aveugles. Comme
il étoit fort obícur , & qu'ils étoient
en peine de fçavoir ce que l'oracle
entendait par ces aveugles, ils juge-
rent enfin que c'étoit fans doute ceux
de Chalcedoine , qui étoient tzaitez
K 3
222 Poyade del Archipel,
d'aveugles, pour être venus les pre«
miers dans le voifinage du Bofphore,
& avoir fi mal choifi l'endroit de
leur Ville, qui eft du côté de FAfe
dans une affiete defavantageufe ; au
lieu qu'ils pouvoient s'aller pofter:
fur la langue de terre qui eft enarela.
Propontide & le Golfe que fait le
Bolton; fi commode pour fervir de
Port. Ainfi ils refolurent d'y aller
bátir une Ville qu'ils nommerent By-
zance, du nom de leur Chef appellé
Byzas. En effet,la fituation de Con-
ftantinople eft admirable , foit pour.
la commodité;foit pour la beauté. Il
ne regne que deux vents en ce pays-
Ale vent de Nord & le vent de Sud.
Quand le premier foufle , il ne peut
rien venir par la Propontide & par le
Bofphore de Thrace ; mais alors par
le Pont-Euxin & le Bofphore Ponti-
que les Vaiffeaux ont vent en poupe,
& fourniflent la Ville de provifions
neceffaires. Au contraire , quand le
vent de Sud domine,rien ne peut ve-
nir du Pont- Euxin , & tout vient de
la mer blanche. Ainfi ces deux vents
font comme les deux clefs de Con-
ὦ" de Conflantinople. 1123
ftantinople , qui ouvrent & ferment
l'entrée aux Vaiffeaux, & quand l'un
& l'autre ceífent,elle eft libre aux pe-
tites Barques qui vont à la rame.
Ces deux Dretroits qui font la
communicadó de la Propontide avec
lc Pont- Euxin fe joignent entre Con-
ftantinople & Galata,& s'élargiffent
en un petit golfe de dix ou douze
milles de circuit. Quand on eft au
milieu, on ne void ni l'entrée , nila
fortie , & ce grand bañin fait le plus
beau Port du monde, méme pour les
plus grands Vaiffeaux , qui ont affez
d'eau proche de terre , pour y pou-
voir paffer fur une planche. C'eft
autour de ce baffin qu'on void Con-
ftantinople au Midy & au Couchant;
Galata, Fondukli & Top-hana au
Nord , & Scutari au Levant, ce qui
donne aux yeux le plus magnifique
objet qu'on fe puiffe imaginer. Tou-
tes ces maifons, ou plutót toutes ces
Villes étant báties fur des eminences
en amphitheatre,on découvre le tout
d'un feul coup d'œil. Le mélange des
cyprés & des maifons de bois peint,
avec les dômes des Mofquées qui
-
224 Voyage de l'Archipel,
font fur les lieux les plus elevez,
contribué beaucoup à ce merveilleux
afpe&. Mais pour dire auffiles cho-
fes comme elles font, toute la beauté
de Conftantinople eft au dehors, car
au dedans il y en a peu.Les ruésfont
fort étroites , & il faut préque toû-
jours monter ou defcendre. Il n'y 4
que la grande ruë qui regne depuis
la porte d'Andrinople jufqu'au Ser-
rail, qui eft paffablement belle.
Je ne veux pas entreprendre une
d:ícription exacte de cette Ville;plu-
ficurs autres que moy s'en étant ac-
quitez fidelement, & entr'autres Pe-
trus Gyllius , Pietro de la Valle, du
Loir, Thevenot, & tout fraîchement
M. Iean Tavernier , le plus fameux
Voyageur de nôtre fiecle. Il mefem-
ble que Rome ne nous doit pas être
mieux connué que Conftantinople,
puifque nous avons tant de relations
de l’une & de l’autre. Toutefois il
ne me feroit pas honnête d'en fortir,
fans faire voir que j'y ay été, & que
j'y ay remarqué des chofes , à quoy
peut-être les autres n'ont pas pris
garde,
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4 4
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& de Conflantinople. — 125
II n'y a perfonne qui ait décrit plus
exactement Conftantinople que Pe-
trus Gyllius , neantmoins il n’avoit
jamais và la colonne de l'Empereur
Marcian, cóme fi elle càt été perdue.
J'eusle bonheur de la découvrir, &
je veux. bien donner icy le detfein,
que je crayonnay moi-méme. On la.
“void au quartier des Ianiffaires tout
joignant le bain d’Ibrahim Bacha,
dans la cour de [a maifon d'un parti-
culier. Elle eft de marbre granite; &
peut avoir environ quinze pieds dé
haut. Son chapiteau cft d'ordre Co-
rinthien , & elle portoit au deflus la
ftatué de ce Prince , comme l'infcri-
prion de fa bafe nous l'apprit ;quoy
que tres-difhcile x dechifrer. Sur le
chapiteau eft um quaarré de pierre
ereufe orné de quatre aigles à fes:an-
gles. Cela me fait juger que le cœur
de ce Prince y ροπνοῖς etre renfer-
mé ; car les deux Vers qui font à la.
;bafeyavertitfent le L2&eur de con(t-
-derer la: ftatué & le lit de Marcian,
-que-Tauanus luy avoit confacré. Si
:€'eàt été un Empereur Payen,on aue
xxois mis là fes cendres dans quelque
K s
426 Voyage del Archipel ,
urne ; mais comme il étoit Chrétien,
& que la coûtume de brüler les corps
étoit abolie parmy eux , il y a quel-
que raifon de croire,qu'on avoit mis
"nr fon cœur là dedans , le
Corps étant peut-étre enterré foüs la
pyramide. |
La colonne qui eft au milieu de la
NV ille toute hiftoriée en bas reliefs, a
été élevée à l'honneur des Empereurs.
Arcadius ὃς Hororius,dont l'on voit
la reprefentation fur un côté de la
bafe. Deux Victoires leur mettent la.
couronne fur la téte, & ils font ac-
compagnez d'une troupe de Sena-
teurs. Au rang de deflous, deux au-
tres Victoires amenent des figures de
femmes couronnées de crenaux , qui
reprefentent autant de Villes,que les
armées de ces deux Princes avoient
foñmifes à leur Empire.Lc Labarum,
qui étoit le chifre entrelacé des deux
premieres lettres du nom de Chriflos,
que la pieté des Empereurs Chrétiés
avoit fubftirué à l'Aigle Romaine, y
paroit en differens endroits. La co-
Aonne eft toute de marbre , & de la
maniere de celle de Trajan; qui ef à
C de Conflantinople. 227
Rome. La fculpture n'en eft pas ἢ
bonne ; aufli eft-elle d'un fiecle où
les Arts avoient beaucoup perdu de
leur perfe&ion. Elle eft pourtant af-
fez belle, & je me fuis également
étonné de ceux qui la stri aa tout-
à-fait, & des autres, qui la preferent
méme à celle de Trajan. Pour ce qui
eft de la hauteur, elle la furpaffe ; car
felon la mefure qu'en a donné Gyl-
lius,elle eft de 147.pieds,au lieu que
«elle de Trajan n'en a que 123. mais
«elle d'Antonin les furpaffe toutes
deux,ayant 177.pieds de haut. Cette
colonne dont je parle a un efcalier en
dedans , mais je ne pus obtenir des
Turcs la permiffion d'y monter , foit
qu'ils faflent fcrupule d'y admettre
des Chrétiens , ou que les degrez en
Íoient ruinez. Les figures de la bafe
& du bas de la colonne font fort
maltraitées,plutôt par la fuperftition
des Turcs qui n'en veulent pas fouf-
frir, que par fa propre vieilleffe. Le
Sculpteur quia gravé ce grand nom-
bre de figures d'hommes & de bétes,
era bien étonné au jour du Iugemét,
#clon l'opinion de ces ridicules See
228 Voyage del Archipel,
&ateurs de Mahomer, quand chacu-
ne de ces figures viendra luy deman-
der fon ame , à faute dequoy clles
laccuferont. devant Dieu de leur
avoir donné ce corps , fans avoir. pà
en méme rems leur fournir un cípric
pour les animer, Car les Turcs ont
cette folle imagination de croire que
toutes ces reprefentations ,. foit en
plate peinture , foit cn boffc , pren-
dront vie à !a fin du monde , & que
Dieu leur donnera une ame ; en pu-
niffant en méme tems ceux qui au-
ront eu la temerité de les faire, &
d’avoir voulu imiter la puiffance da
Createur. | |
Il y a une autre colonne à côté de
la grand-ru& qui vient d’Andrinople.
Elle n'a point de bas reliefs , mais.
elle eft plus precieufe que toutes les
autres, étant de porphyre, quoy qu'à
prefent il y ait de la peine à le difcer-
ner d'avec le marbre parce qu'elle a
été noirciepar les frequens embrafe-
mens dcs maifons voifines,ce qui luy
a donné le nom de Colonne brü!ée;
& im: me pendant le. fejour que je fis
à Conftantinople il. y eut une centaie
C de Conflantinople. 119
ne de maifons qui brûterent aux cn-
virós.Conftantin avoit fait mettre fa
fta é au deflus, mais elle ne s'y voit
plus. Gyllius qui en avoit pris tou-
tes les dimenfions , & qui nous les
rapporte avec exaékicude , ne parle
point d'une infcription qui eft touc
au haut, Ie la làs avec une petite lu-
nete d'aproche, ne pouvant pas aflez
difcerner les lettres fans cela, du bas
de laruc. Le (ens de ce qu'on y lit
n'cft autre chofe, finon que cetre co-
Jonne a ‘été renouvelée par | Empe-
reur Manuel Comnene. On dit que
c’cft là proche que mourut d’une
mort tragique le fameux heretique
Arrius.
Pour ce qui eft de Ia colonne de
Pompée, comme le vulgaire Pappel-
le, elle eft à l'embouchure dela Mer
noire ou du Pont-Euxin fur un écueil
vis-à-vis du village de Fanari.. Ce
rochercít une de ces pierres Cyanées,
dont les Anciens racontoient diver-
fes Fables, comme de dire qu'elles
flowoient fur la mer , tantôt. d'un cô-
té , tantôt de l’autre. Nous primes
Ane Felovque à fix rames pour l'alies
230 Voyage de l' Archipel ,
voir. Elle eft de marbre, & n'a guere
| plus de douze pieds de haut, avec un
chapiteau Corinthien , & une bafe
ronde,quine paroît pas avoir été fai-
te pour cela, mais plutót pour quel-
que Aute] de Saerifice, L'infcription
de cette bafe eft à l'honneur d'Au-
gufte. Monfieur de Monconis a crû
qu'elle n'étoit pas antique, parceque
les caracteres en font mal formez,&
fort fuperficiels , mais il ne faut pas
s'en étonner, puifqu'elle eft depuis fi
long-tems expofée à l'air de la mer,
qui eft de Íoi-méme corrofif ; & fi
mon fentiment eft de quelque poids
dans une matiere que je dois enten-
dre, j'avoue que je ne fais pas de dif-
ficulté de la recevoir pour telle. En
y allant on laiffe à main-gauche les
Bourgs & Villages fuivans,dont voi-
«y les noms;les premiers étant joints
A Galata.
Top-hana,Fondukli,Bechiktafch,Or-
takioi, Coroutfchefiné, Arnaudkioi,Be-
dek-bakchefi , Eskihiflar où Caftel-
vecchio, Bartoliman, Stegna,legnikiois ^.
Therapia, Boinkderé, Saruer.
Er à la main droizc dans l'Anarolig,
À
4
|
=
᾿
N |
© de Conflantinople. — 251
Scutari ,Coufchcougiuk Stauros T chen-
ghelkiei , Coulabahchefr, Candil-Bak-
chef, Eskihiffar d' Anatolie vis-à-vis
celuy de l’Europe, Ghicksoui ,. T chi-
boukli , Inghirlikios ,, Onkiar-Skelof >
Beicos Salibouroun,Icro, olim Fanum.
Pour achever ce difcours des Co
lonnes de Conftantinople, nous vin-
mes à l'Aumeydan qui eft une place
longue de s50.pas , & large de 120,
, C'étoit. l’ancien Hippodrome du
tems des Empereurs d’Orient,où l’on
faifoit des couxfes de chevaux & des
réjoüiffances publiques. L'Obclií-
que, ou l'aiguille qui y eft dreffée ef:
une belle Pyramide quarrée d'une
feule piece, & d'environ go.pieds de
haut. On trouve dans les Memoires
de Monfieur de Monconis qu'elle eft
haute de 6o.pas ; mais c'eft une fau-
1e trop groffiere pour croire qu'elle
vienne de l'Autheur ; c'en eft une de
J'impreffion,au lieu de 60.pieds.H y a
dans la bafe une infcriprion Greque
d’un côté , & une Latine de l'autre,
qui nous apprennent toutes deux,que
c'eft l'Empereur Theodofe qui l'a-
yoit fait redrefler ; aprés avoir été
232 Voyage del Archipel,
long-tems negligée & couchée par
terre. Les Vers Grecs difent qu’elle
fut erigée en trente-deux jours, &
l'on voi dans un bas relief, qui eft à
un des cótez les machines que l'on
.employa pour la mettre fur pied. Je
vous en donne icy le deffein,avec un
autre bas relief qui s’y voit auffi , &
qui reprefente cette même Place
comme elle étoit lorfqu'elle fervoit
d'Hippodrome. L'Empereur y và
couronner quelque Viétorieux,qui fe
profterne à fes genoux : ὃς au bout
un Cavalier manie fom cheval, ἃς
FEcuyer l'anime du fouer, comme on
fait dans nos maneges.: Cinq: colon-
nes paroi(fent dans cét Hippodrome.
Celle du milieu eft ‘ce méme Obchf-
que. Il en refte encore une des qua-
ue autres, qui eft fort haute;au bout
de la Place, maflonnée de gros quar-
tiers de marbre; ;/ & qui'a une infcri-
prion gravéc fur fa baie, tapportée
par Gyllius. Vn Commentateur maà-
naícrit de Sophocles;* dit quele Sz
“dinin des Grecs ou fe-faifoient les
** Cité dans Fafoldi isa Græcorunt,
igdirà lecüx 4676 ς 1:1131031 2:151. IU
L 1
Pag, 239. T. I
KIONA TETPANAEYPON AEI ΧΘΟΝῚ KEIMENON AXOOS
MOYNOS ANASTHSAI OEYAOSIOS BASIAEY.S
TOAMHSAS DPOKAOS ENEKEKAETO ΚΑῚ TOSOS ESTH
KINN HEAIOIS EN ΤΡΙΆΚΟΝΤΑ AY.
C de Conflantinsple. — 233
combats & les courfes, avoient trois
colonnes ; l'une à l’entrér, l'autre au
milieu , & la troifiéme au bout de la
| carriere. Que fur la premiere colon-
| ne il y avoit cé mot écrit APIXTEYE,
C'eft-à-dire: Fay le mieux que tn pour-
ras : à la feconde z U EY AE , Depé-
che, & à la derniere K A MFON, Re-
tourne. X remarque auff , que ces
colonnes étoient cubiques ; comme
eft celle qui refteicy ; mais comme
cér Hippodrome étoit beaucoup plus
grand que le Stadium qui n'étoit que
| de 125.pas, c'eft pour cette raifon
| qu'on y voit jufques à cinq colonnes
| placées de diftance à autre. |j
Je reviens à l'Obelifque, qui eft de
| marbre granite d'Egypte , chargé de
| diffcrés caracteres ὃς d’hieroglyphes
Egyptiens. De plus toute la bafe eft
hiftoriée de Sculpture.D'un cóté pa-
roit l'Empereur Theodofe , qui tient
| une couronne à la main,& une foule
| de foldats qui l'environne.Au deffous
| eft un Chœur de Muficiés;,qui jouent
dela flute, & d'un certain inftrument
hydraulique fait en façon d'orgue,
| dont on voit la reprefentation dans
$34 — Foyage de T Artbipel. ,
quelques medailles contourniates de
ces temps-là. A une autte face Theo
dofe eft affis fur un thrône avec fes
dcux fils Honorius & Arcadius ac-
compagnez de toute leur Cour. Si
j'avois été meilleur peintre que je ne
fuis, & que j'eufle eu la commodité,
jel'aurois deffeienée de tous les οὗ -
vez : mais il n'y a pas trop de feureté
de s’y arrêter long-tems,& les Turcs
ne comprenant pas bien les raifons
de ma curiofité, m'auroient peut-être
fait quelque infulte,
On voit encore dans la méme Pla-
ce trois Serpens de bronze entrela-
cez l'un avec l'autre , qui compofent
comme le corps d'une colonne , &
les tétes fortent au deffus en trian-
gle.Quelques-uns prennent cette an-
tiquité pour un trepied d'Apollon,
ou du moins pour la colonne qui
foütenoit ce trepied d'or de l'Oracle
de Delphes. D'autres veulent que ce
für un Talifman, qui prefervoit cette
Ville de ferpens, & ajoûtent, que de-
puis que Sultan Mourat fe prome-
nant un jour par la Place,abatit d'un
coup de canne la mâchoire de deffous
=
e de Conflantinople. 2%
. d'une de ces têtes ,ce Talifman per-
dit fa yertu. :
Certe Place de l’Atmeydan a d'un
côte la face d’un vieux Serrail , qui
n'arien de fuperbe , & de l’autre la
Mofquée neuve de Sultan Achmet,
Cette Mofquée eft une des plus ma-
gnifiques de Conftantinople.Le Dó-
me en eft grand , & accompagné de
quatre demi-dómes qui la rendent
préque quarrée en dedans. Quatre
piliers qui n'ont pas moins de 6o.
pieds de tour , & qui en ont un peu
plus de haut , foûriennent la voûte,
. Cette proportion ne plaira pas fans
doute à nos Architeétes ; mais les
Turcsíont en poffeffion de faire chez
eux les chofes comme il Jeur plait,
|. Et peut-être , pour fonder en raifon
. cette prodigieufe eroffeur de colon-.
. nes, me feroit-il permis de dire ; que
cela fait d'autant plus admirer la
mofle de ce dôme , qu'il luy a fallu
avoir des jambes fi groffes pour le
fupporter. Ces quatre manieres de
colonnes font de marbre blanc,cane-
lées d'une facon toute contraire aux
- notres; c'eft-à-dire que la canclüre
235 — Voyage de D Avchipel ,
eft en demi-boffe , aulieu que celle,
dont nous nous fervons eft en creux. —
La Cour de la Mofquée eft de la mé- j
me grádeur que le plan du bitiment,
& a un corridor autour foütenu de :
colonnes antiques de matbre rouge
& gris,& une fontaine au milieu fer-
née de treillis de fer doré.
La Molquée néuye de la Sultane
mere de Mahomet à prefent regnants |
eft encore plus fuperbe. C’eft un des:
plus beaux edifices qui fe puiflent
voir ; foit par le dchozs , foit parle
dedans. L'Archite&ure , bien qu'un.
peu éloignée de nos regles,nele cede |
point à celle des plus belles Eglifes |
d'Italie, Elle a méme à nôtre égard
quelque chofe deplus furprenant par”.
fa nouveauté. Le corps de la Mof- |
quée eft un grand Dôme avec quatre
demi-dómes aux cotez,8 quatre au" :
tres petits à chaque coin;ce qui rend. !
cét edifice quarré.. Les murs & les: 5
pilaftres au dedans font tous incru- :
ftez de terre cuite verniflée fembla-
ble à nôtre fayence , de méme que le |
Trianon de Verfailles. : La frife qui
regne autour foûs les domes eft fun
c de Conflantinople.. 237
ple; mais bien proportionnée , avec:
des moulonsil'Antique. Les culs
de lampe font tous peints à fleurs &
à compartimens : cette forte de pein-
ture n'étant pas defendue par la Lo
de Mahomet , comme celle des cho-
fes animées. A plein-pied dela Mof-
quée regne tout autour en dedans
‘une galerie foûtenuë de colonnes de
marbre , & au milien à la hauteur
| d'une toife ou environ pendent une
anfinité de lampes, de luftres,de bou-
es de verre & d'yvoire , & de vales
doréz , qui doivent faire un bel ef-
fet, quand les bongies font allumées
la nuit pendant la priere. |. Il y a du
danger à un Chrétien de s'y trouver
à ces heures-làj mais hors du temps
de ces Affemblées on peut entrer par
tout en demandant permiffion aux
Gardiens » & en leur donnant l'éré-.—
ne. La propreté y cft entiere, on n'y.
lailfe jamais entrer des chiens, & les:
ommes laiffent leurs pantoufles à la
portesou les portent à la main. Mais
je ne crois pas que ce foit par devo-
tion qu'ils.en ufent de la forte, puif-
qu’ils en font autant quand ils /en-
! AN P |
{
Dome Rm V add
z3& Voyage de T Archipel ,
rent dans la chambre d'un particu-
lier, & fur leurs fofas couverts d'un
tapis ou d'une fimple nattefine,com-
meil y en a prefque dans toutes les. |
Moíquées. Le Portique qui regne |
autour de la Cour eft foûtenu de bel-:
les colonnes de marbre blanc & de
marbre gris entremélez : mais les.
deux qui font à l'entrée font d'un
marbre jafpe par faitement beau. El-.
les out été tirées pour la plus grande
partie , des ruines de Troye. "Leurs:
Chapiteaux ne fe rapportent à aucun
de nos ordres; & ne laiffent pas d'é-
tre aflez bien proportionnez au fufte:
des colonnes. En voicy à peu prés La!
figure :
C — 4 la va
€ de Conflantinople. 5139
Les deux Mofquées precedentes,
& les autres de Sultan Selim,Maho-
met , Soliman ἃς Bajazer font bâties
prefque felon le modele de Sainte
Sophie ancienne Eglife des Chré-
tiens, qui eft maintenant la premiere
de muse Mofquées Royales , & la
plus proche du Serrail. C'eft un d6-
me tres-vafte & tres- bien éclairé,
foûtenu de belles colonnes de mar-
bre aux cótez , & les murailles tn
font δι toutes incruftées, Ie ne
m'arréteray pas à vous en donner la.
defcription, ni à la comparer à Saint
Pierre de Rome , à qui elle cede en:
grandeur & en architecture, Cela
a.été fait par plufieurs perfonnes,qui
ont mieux examiné les chofes que
moy; car j'eus affez de peine à entrer
dans cette Mofquée, à caufe que c'é-
toit le tems du Ramazan , ou jeûne
de quarante jours , pendant lefquels
felon la Loy. les Mahometans ne
mangent rien de tout le jour , mais
dés que le Soleil eft couché , il leur
eft permis de manger autant qu'ils
veulent. Il leur eft méme defendu de
furner. pendant ce temps-là ; mais
/
240. Voyage del Avchipel ,
comme ils ont de la peine à fe fevrer
de leurs plaifirs, il y en a quelques-
uns qui s'avifent de faire prendre du
tabac à des Iuifs, ou à des Grecs au-
prés d'eux;pour avoir un peu de part
àleur fumée. Pendant ce tems-là les
minarets des Mofquées font éclairez
toute la nuit de quantité de lumie-
res,ce qui fait un bel effet dans l'ob-
fcurité. |
: Aux environs de Sainte Sophie il
me ri) i PT ES
y. quatre Maufolées bâtis en dôme,
& ornez au dedàns de colonnes de
marbre,de lampes ἃς de gros cierges
fort épais en bas , & qui vont pes ἃ: ἢ
epul-
peu en diminuant, Ce font les
chres de Sultan Achmet, de fes fem- :
mes, & de fix vingt enfans étranglez
en un jour par fon frere Sultan Ma-
homet , qui luy fucceda à l'Empire.
Les tombeaux n'ont qu'une toile de
foye par deffus une quaiffe de bois.
Les mâles font marquez avec une fi- :
eure de τέτε liée d'un turban , & des :
mouchoirs à l'entour du col , pour :
donner à connoitre leur genre de
1nort.,
Va peu plus avant. dans la grande -
rue
e de Conflantinople. | 541
. rué eft le Maufolée du Grand Vifir
Mahomet Coprogli Bacha , pere
d'Achmet Coprogli Bacha, qui luy a
fuccedé , & qui étoit encore vivant
lorfque j'étoisà Conftantinople. Ce
Maufolée eft comme une petite Mof-
| quée à dóme , avec un veftibule du
| côté de la rué , foüs lequel il eft en-
.terré. Depuis deux ans ce veftibule
cft découvert , de forte que la pluye
arrofe ce tombeau. Voicy la raifon
qu'on en debite à Conftantinople, &
que vous recevrez , s'il vous plait de
a méme maniere qu'elle m'a été don-
née. Ils difent donc que le Grand
Seigneur & le Grand Vizir fon fils ,
'eurent une nuit un méme fonge,dans
lequel le defunt Vizir fe prefentoit à
eux , & les conjuroit de luy donner
un peu d'eau & de rafraichiffement,
parce qu'il brüloit. Le matin ils fe
le rapporterent l'un à l'autre,& con-
fulterent le Moufti,qui trouva à pro-
pos de faire decouvrir ce Veftibule,
afin que la pluye y püt entrer. Le
peuple dit qu'il eft puni en l'autre
onde , pour les tyrannies qu'il a
exercées fur les bourfes durant fa vie.
L
242 Voyage de l'Archipet,
Le fieur Abraham Finfch Iuif de
Religion & Drogueman des Anglois
chez gn nous étions logez à Galata,
nous fervoit de conducteur & de Ja-
niffaire pour nous faire voir les cu-
riofitez de la Ville , qu'il entendoit -
mieux qu'aucun Turc. Il nous fit re-
marquer en nous promenant que les
Porte-faix Turcs ont certains facs de :
cuir pleins de paille fur le dos , pour :
porter leurs fardeaux avec plus de
commodité ; & il ajouta qu'il n'y
avoit qu'un Iuif de cette profeífion à
qui cela füt permis, Nous voulümes
ícavoir la raifon d'un fi beau privile-
ge, & voicy ce qu'il nous en apprit. -
Sultan Mahomet IV. qui regne pre--
fentement,a une fi forte paffien pour.
la chaffe, que depuis long-tems il en
fait toute fon occupation. C'eft par
cette raifon que fept ou huit ans de
fuite il a fair fa refidence à Andrino- |
ple, parceque les environs font fort
propres à luy donner ce plaifir qu’ils
aime tant.Souvent quand la nuit l'o-
bligeoit à fe retirer , on le voyoit re-
venir tout chagrin d'étre forcé de
differer fon exercice jufqu'au lende-
> de Conflantinople 143
main. Il fe mettoit fur un tapis de
Turquie ou de Perfe les jambes en
croix à la maniere des autres Turcs,
le dos appuyé fur un carreau de bro-
card , & fe failoit donner à fouper ;
aprés quoy fans bouger de cette pla-
ce, il fe faifoit apporter une couver-
ture, & dormoit là fans autre façon.
Un peu aprés la minuit , il ne man-
quoit pas de s'éveiller & d'appeller
un Page pour fçavoir s'il étoit tems
de fe lever ; & commeil luy répon-
doit qu'il ne feroit jour de trois ou
quatre heures , il poufloit un foûpir,
& fe plaignoit de la longueur de la
nuit. Ayant repofé encore environ
deux heures , il faifoit la méme de-
mande & le méme foüpir. Mais à la
troifiéme fois , comme on luy difoit
que le jour commengoit à paroitre,il
fe levoit d'abord, & batoit lui-même
une tymbale pour faire promptement
lever tout fon equipage, & monter à
cheval. De cette maniere il couroit
| jufqu’àla nuit àtravers les bois & les
montagnes, Vn jour pourfuivant un
cerf à toute bride, fans prendre gar-
de fi on le fuivoit , il s'égara fi bien,
Le
244 Voyage de l'Archipel,
qu'il y avoit deux heures entieres,
ue ne fe reconnoiffant pointil cher-
choit le chemin fans le pouvoir re-
trouver. La nuit s'approchoit , & il
couroit rifque de la paffer dans les
bois,tout Grand Seigneur qu'il étoit,
fans un Porte-faix Juif qu'il rencótra . |
par bonheur , & à qui il demanda le
chemin d'Andrinople. L'Hcbreu le
reconnoiffant pour ce qu'il étoit , &
voyant fon embarras, fe mit promte-
ment en devoir de le luy montrer, &
de le conduire juíqu'aux portes.
Comme ils y furent arrivez , il fup-
plia tres-humblement fa Hauteffe de
luy accorder une grace pour le fer-
vice qu'il venoit de luy rendre, Par-
le,luy dit le Sultan. Ie te prie, dit le
Iuif, de m'accorder la permiflion de
porter le fac de cuir fur le dos, com-
me tes autres fujets Muffulmans de
ma profeffion. Ce Prince n'eut pas
dela peine à le gratifier d'une recom-
penfe fi jufte , aprés une demande fi
moderée. Depuis ce tems-là ce pau-
vie Iuif a toájours porté ce fac avec
autant de joye que fion luy avoit
donné un fac de piftoles, avec lequel
€ de Conflantinople. — 245
il auroit pû remedier à la baffeife de
fa fortune.
Le peuple de Conftantinople, qui
n'aime pas le Sultan , dit que cette
violente paffion qu'il a pour la chaf-
fe eft une fuite de la malediction de
fon pere Ibrahim, qui par une caba-
le des principaux Officiers , & un
foulevement du peuple fut depoife-
dé du tróne,& refferré dans unc pri-
fon. Son fils Mahomet fut proclamé
en fa place , & quelques jours aprés
on travailla au procés du pere.. Le
Moufti dreffa un Fetfa , ou Arreft de
mort contre luy , & le fit porter au
jeune Empereur qui le figna.Ibrahim
apprenant par les efclaves qui le ve-
noient étraneler , que fon fils méme
avoit figné fa condamnation,le mau-
dit , & fouhaita qu'il ne püt jamais
demeurer en fa maifon , mais qu'il
mourüt hors de chez foy au milieu
. d'une campagne , comme une bête
fauvage. Ce fouhait a déja eu fon
effet en partie, comme le difent les
Turcs; car il y a fept ou huit ans que
le Grand Seigneur eft abfent de Con-
ftantinople, qui eft l'ancienne & or-
3
246 Voyage de l' Archipel ,
dinaire refidence des Monarques Ot-
tomans. On a fceu quil y ef allé
faire un tour depuis quelques mois,
mais il ne s'y eft guere arrété , crai-
nant peut-être qu'on ne luy joue le
même tour qu'à fon pere. Pour tà-
cher de rallentir un peu en luy cette
paífion fi ardente pour la chaffe , on
l'a porté à faire quelques maitreffes
dans fon Serrail. Il s'eft attaché à
quelques-unes , & en a eu deux ou
trois enfans ; entr'autres une fille.
âgée prcfentement de cinq ou fix ans,
qu'il avoit mariée depuis peu à un de
fes favoris. De petit mercier qu'il
étoitil fut appellé dans le Serrail &
fait page du Grand Seigneur;puis en
moins de quinze ans ayant paflé par
diverfes charges , il parvint à la di-
enité de Bacha. C'eft affez que fon
maitre luy voulüt du bien , pour luy
donner par avance fa fille , quoyque
bien éloignée del'áge oü elle dût être
mariée. On nous racontoit à Con- -
ftantinople les pompes, les caroufels :
& les feux de joye qu'on avoit faits
à Andrinople pour cette fefte, Tout
le monde avoit raifon de s'en fouve-
c de Cenftantinople. 247
nir,car les peuples avoient contribué
aux frais de ces nóces par de groffes
taxes & des impofts dont ils avoient
été furchargez les Officiers en ayant
été moins exempts que les autres. Le
T efterdar , ou Trefbrier qui avoit le
foin de chercher de l'argent pour
| cette grande dépenfe,fit dire entr'au-
| tres au Capitan Bacha qu'il envoyät
| quatre cent jeunes hommes bien vé-
tus à la Cour , pour faire une partie
de l'equipage des nouveaux mariez,
à quoy il ne manqua pas.Mais quand
cette troupe fut arrivée,le Tefterdar
les renvoya, luy faifant fgavoir qu'il
falloit que cette jeuneffe fuft toute
vétuc d'étofes d'or & d'argent. Le
Capitan Bacha cóprenant bien qu'on
en vouloit à fa bourfe luy fait répon-
fe,qu’il ne fçait pas comment le con-
tenter, qu'il craint de ne fçavoir pas
vérir les gens qu'il demande d'une
maniere qui luy agtée ; qu'il prenne
la peine de donner les ordres luy-
même,& que pour cét effer il luy en-
voye cent mille écus , dont il difpo-
fera , comme il Le trouvera bon ; ce
que le Tefterdar prit de tout fon
L 4
A...
248 — Voyage de l'Archipel,
cœur,& ayant eu ce qu'il fouhaitoit,
il ne luy en dit plus mot. Enfuite il
envoya dire à l'Aga des Ianiffaires,
quil mit un afpre fur chaque li-
vre de viande qui fe vendroit dans
Conftantinople , au profit du Grand
Seigneur, L'Aga voyant la con-
fcquence de cét impoft répondit au
Tefterdar , qu'il ne l'ofoit pas entre-
prendre;que leurs deux têtes feroient |
en danger, & que leur Maitre pour-.-
roit craindre lui-même pour la fien- !
ne , par la fuite de quelque fedition
populaire. Que pour la prevenir &
ne pas irriter le peuple, il aimoit
mieux donner vingt mil-écus quil
luy envoya fur l'heure. Le Tefterdar
les prit , & quelques jours apres
rendant raifon au Sultan des fom- .
mes qu'il avoit receués , ne paffa
en compte que dix mille écus de l'A-
ga des faniflaires, voulant fereferver '
l'autre moitié pour fes peines.L'Aga -
peu de tems aprés s'étant prefenté .
devant fa Haureffe, elle luy reprocha |
la petiteffe de fon prefent , luy de-
mandant fi dix mille écus étoient
une fomme à envoyer à un Prince de
e de Cozflantimople. 249
fa fotte. L'Aga fort furpris repartit
au Grand Seigneur , qul etoit vray
que fon pouvoir n'avoit pü égaler fa
volonté , & que tout ce qu'il avoit
pû faire étoit de luy envoyer vingt
mille écus. Comment vingt mille,
dit le Sultan? le Tefterdar ne m'2
fait mention que de dix mille. Sur
cela ils s'expliquerent , & le Grand
Seigneur faifant venir le Tefterdar
pour fcavoir la verité, celui-cy n’ofa
la defavoüer,mais dit feulement qu'il
ne s'en étoit pas fouvenu. Surquoy
l'Aga des Ianiffaires outré de cét af-
front,reprefenta au Grand Seigneur,
que ce n'évoit pas la feule fourbe que
le Tefterdar avoit faite , & que fa
Hauteffe en fgauroit des nouvelles,
fi elle vouloit prendre la peine de
s'informer de la fomme que chaque
Officier avoit donnée. On en fceuc
bien-tót des particularitez , & le
Grand Seigneur pour punir le Tef-
terdar de fon mauvais procedé , luy
envoya dire qu'il avoit befoin de
quatre cent mille écus , & qu'il les
luy falloit promtement. Il en avoit
payé une partie lorfque nous étions
j
250 Voyage de I Arcbipel,
à Conftantinople, & l'on ne doutoit
pas qu'aprés qu'il auroit payé le refte
on ne luy demandát fa tête par def-
fus , pour lay apprendre que de pa-
reilles friponneries ne doivent ja-
mais étre impunies.
Nous avions grande envie d'aller
voir la Cour à Andrinople,mais elle
nous paíffa quand nous fcümes qu'il
mouroit de la pefte prés de mille
perfonnes tous les jours. Il eft vray
qu'à Conftantinople il en mouroit
auffi deux ou trois cent par jour , &
que la pefte y eft prefque continuel- 1
le; mais comme la Ville eft grande, -
& qu'elle enferme avec les Faux- |
bourgs plus de fept cent mille ames,
ce petit nombre de deux ou trois cent |
eft compté pour rien;& l'on ne com- #
mence à faire des prieres publiques.
pour etre delivrez de ce mal epidemi-
que , que lorfque le nombre de ceux #
qui meurent par jour monte jufqu’à.
mille.Tous les jours nous en voyions w
porter en terre le vifage découvert, |
que leurs /;ans , c'eft-à-dire leurs 1
Prétres , ont lavé ;: & que le peuple -
accompagne, comme s'ils étoient de-
“τῶν ας ἐὰν EE + gi τὰ. T
d de Conffantinonle. χε
cedez d'une maladie ordinaire. On
fe frequente également , on achete
auffi bien leurs meubles que des au-
tres ; il n’y a que ceux de nos quar-
tiers, & quelques gens d’efprit parmi
les Grecs & les Turcs , qui ufent en
cela de quelque precaution. Il n'y
avoit pas huit jours que nous étions
arrivez, que la maifon qui touchoit
la nôtre fut infe&ée. Nôtre hôte eut
affez de prudence pour nous aller in-
continent loüer une petite maifon
proche dela mer feparée de toute au-
tre, & il y vint luy-méme loger avec
fa famille jufques à nótre depart,
Nousluy fümesobligez du foin qu'il
avoit pris à notre confideration ; car
pour ce qui étoit de luy il ne crai-
gnoit pas la pefte , en ayant été une
fois attaqué, Ceux de Conftantino-
ple tiennent pour maxime , qu'on
n'eft pas fujer à la reprendre, quand
on a eu une fois le bonheur d'en
échaper. Cela n'eft pas neantmoins
veritable , & nous avons des obfer-
vations du contraire, Mon Pere m'a
affuré qu'il a và une perfonne dans
Lyon attaquée deux fois de certe
252 Voyage de [ Archipel ,
maladie, mais en deux contagions de
differentes années. l'ay auffi là dans
une lettre de Monficur Guy Patin
Profeffeur Royalen Medecine à Pa-
ris , & écrite à mon Pere en l'année
1656. qu'il avoit confulté pour une
Dame qui avoit eu la pefte par trois
diverfes fois. 1] eft bien vray que
pendant qu'une méme contagion du-
re,ceux qui l'ont eué,ne la craignent
plus, & qu'ils fervent les malades
fans courre de rifque, comme on l'a
remarqué à Lyon, où elle a été deux
ou trois fois depuis le commence-
ment de ce fiecle. Mais quand il
vient une noüvelle pefte, ils courent
la méme fortune que les autres, par-
ce qu'elles font ordinairement diffe-
rentes en malignité, Ainf l'on pour-
roit dire en faveur de ceux qui croyét
n'y dcvoir étre plus fujetsà Conftan-
tinople , que ς᾽ εἴ toüjours la méme
pefte ; car en effet elle ne s’y éteint
prefque jamais entierement , pour le
peu de foin que le peuple a de fe
confcrver.
Notre guide nous mena un jour
voir le Serrail, mais nous n'entrámes
e de Conflantinople. 153
que jufqu’au Divan , qui n'a rien de
fuperbe. Pour les appartemens inte-
rieurs du Grand Seigneur & des Sul-
tanes , ce font des lieux impenetra-
bles. Nous en decouvrimes fort peu
de chofe des lieux voifins,& nous en
conccümes peut-étre plus de beau-
tez qu'il n'y en a en effet. L’afliere
du Serrail & fes jardins contribuent
beaucoup à fon embelliffement;mais
tout ceque je vous en dirois ne pour-
roit vous fatisfaire, comme la defcri-
ption que Moníteur Tavernier en ἃ
publiée depuis peu fur le rapport de
deux hommes qui y avoient été éle-
vez. Ce que j'aurois plus particulie-
rement fouhaitté d'y voir cft l'obe-
lifque qui eft dans les jardins , & le
Tite-Live parfait qu'on a crû être
dans la Bibliotheque du Grand Sei-
gneur. On m'a dit qu'il ne s'étoit
jamais pü trouver, quoy qu'on eût
offert des fommes confiderables à
celuy qui a le foin des Livres , fi on
l'avoit pà avoir par fon moyen. |
Mais puifque je vous parle de Li-
vres , vous ferez peut-être bien aife
de fçavoir fi les Turcs les aiment
254 — Foyage de l'Archipel,
fort. Tout le monde fçait qu'ils n'en
fouffrent pas d'imprimez, & ce n'eft
pas aufli ce que je vous veux dire.
Nous fceümes de Monfieur Vatz Ef-
coflois qui a voyagé quatre ou cinq
ans dans ces quartiers-là,& frequen-
té des gens du pays , ayant parfaite-
ment bien appris le Turc, & l'Arabe
qui eft leur Langue de Science,com-
me le Latin dans la Chrétienté ; nous
fceümes, dis-je , de Monfieur Vatz,
qu'à Conftantinople il y à un Bazar,
ou marché de Livres manufcrits de
differentes Sciences,en Turc,en Ara-
be & en Perfan, & qu'il y a du dan-
ger pour les Chrétiens d'y aller, par-
ce qu'ils croiroient profaner leurs li-
vres de nous les vendre. C'eft ce que
j appris moi-même , lorfque paffant
depuis à Prufa devant une boutique
oit il y avoit quelques livres Arabes,
& les voulant marchander , on me
renvoya honteufement avec l'injure
de Giaour qu'ils donnent ordinaire-
ment aux Chrétiens , ayant reconnu |
que je l'étois. Ie me retiray promte-
ment fans rien repartir, de peur qu'il
mem'arrivát pis que l'injure. Mon-
T C din /
"€—————— —"
wem
S cem
"T PURE PT
d de Conflantinople. — 25$
fieur Vatz nous dit que les Turcs te-
noient des Regiftres annuels de tout
ce qui arrivoit dans l'écendué de leur
Empire, & des guerres qu'ils avoient
avec leurs voifins. Que l'on pouvoit
avoir une copie de ces Annales con-
tenués en cinq ou fix gros volumes
pour deux cent écus. Qu'il y a des
Hiftoriographes & Ecrivains payez
pour cela dans leSerrail.Qu'on uou-
voit un autre beau Livre du gouver-
nement de l'Empire Otthoman.Qu'il
avoit acheté lui-même une pleine
quaiffe de livres Turcs & Arabes,en-
tre lefquels il y en avoit de tres-cu-
rieux , comme celuy de Chek-Bouns
Egyptien, dela vertu des paroles di-
vines & humaines, avec quantité de
lignes & de figures , par lefquelles il
pretend faire voir mille chofes cu-
rieufes par les anagrammes. Vn au-
tre qui montre la theorie de cette
fcience Cabaliftique. Vn Di&ionai-
re Turc & Arabe. Vn livre de chan-
fons Turques , où il y en a plufieurs
fort anciennes , comme d'Avicenne
fils d'Albuquerque. Des Grammai-
res Turques & Perfanes. Des Alfa-
256 Voyage de l Archipel ,
bets de toutes les Langues. Vn Livre
de toutes les revolutions du Royau-
me d'Egypte , fait par un ancien
Check ou Docteur du Grand-Caire
fçavant Aftrologue. Les predictions
de cet Autheur avoient toüjours été
trouvées fi veritables , que quand
Sultan Selim vint faire la guerre au
Roy d'Egypte , tous les Confeillers
de ce Roy luy difoient que c'étoit
‘une folie de fe' vouloir defendre,
quoy qu'il eût une belle armée de
Mores, d'Arabes & de Mammelus,&
qu'il falloit felon les prediétions de
ce Livre,que Selim devint maitre de
l'Egypte , ce qui arriva en effet. Il
nous fit voir auffi une Ephemeride de
l'accroiffement. ἃς decroiffement du
Nil, reglé par un Docteur Arabe fe-
lon le mouvement des Planetes , &
particulierement de la Lune. Vn au-
tre de la Chiromancie plus curieux
que tous ceux de Iean-Baptifta Por-
ta,dans lequel l'Autheur pretend que
les caracteres de la main font des
lettres dont il donne l'Alphabet. Hl
nous parla d'un autre livre intitulé
Bauraan,qui eft un Livre ancien con-
e de Conflantinople. 257
tenant quantité d'experiences chy-
miques, commenté pat un Check Mo-
re qu'il a connu au Grand Caire , où
il y a beaucoup de gens cófiderables
qui s'appliquent à cette Science. En
d'autres vifites que nous luy fifmes
il nous montra une hiftoiré de Ta-
merlan en Arabe, plus ample que ce
que nous avons de traduit en Fran-
gois de l’Arabe Alhacen, Deux livres
des Talifmans,à fçavoir les principes
& la pratique , defquels il difoit que
Monfieur Gaffarel avoit eu connoif-
fance,y ayant pris tout ce qu'il avoit
fait imprimer dans fon livre des cu-
riofitez inoüies. Mais je ne voudrois
pas le foupgonner de cela, étant une
. perfonne tres-fçavante, quoy qu'à la
verité on ne fafle plus euere de fcru-
| pule de ces fortes de larcins. Il nous
. affuroit de méme que Monfieur Gro-
tius avoit dérobé tous les plus forts
argumens de fon livre de la verite de
la Religion Chrétienne, des Auteurs
Arabes, & particulierement des œu-
vres d’un grand homme que les La-
tins tiennent pour un Herefiarque,
& les Coftes qui font les Chrétiens
258 — Poysge de l'Archipel,
d'Egypte pour un Saint,qui a fait un
tres-beau traité contre les Turcs &
les Iuifs pour la verité du Chriftia-
nifme. Cecy vous furprendra davan-
tage. Il nous affura d'avoir và un li-
vre d'Aftronomie fort ancien , qui
fuppoloit l'ufage de l'aiguille ay- |
mantée,quoy qu'à la verité il ne l'ap--
pliquát pas pour laNavigation,mais |
pour d'autres ufages Aftronomiques.
Il nous montra auffi une hiftoire ge- —
nerale du Grand-Caire, & une de- :
cription des Eglifes de Conftantino- .
ple, lors qu'elle fut prife par les Ot-
thomans , l'une & l’autre écrites en |
Arabe. Enfin il nous affura qu'il y |
avoit des Profeffeurs publics à Con- |
ftantinople & au Caire , qui enfei-
gnoient l’Aftrologie , l'Aftronomie,
la Geometrie, Arithmetique,la Poé- |
fie, l'Arabe & le Perfan.
Monfieur Couvel Chapelain de M
l'Ambaffadeur d'Angleterre nous fit #
auffi voir des chanfons Turques , où :
nous n'entendions rien. Il nous af- 3
fura que les expreffions & lamufique —
en étoient fort bonnes. Vn Renegat
élevé au Serrail y avoit mis des no-
e de Conflantinople. 259
| tes à nôtre mode.Il s'appelloit Æ4/-
beg en Turc : mais fon nom de Chré-
tien étoit Albertus Bobovius.Il avoit
été amené efclave de Pologne , lorf-
qu'il étoit jeune. Il étoit forti du
Serrail, ἃς étoit devenu un des prin-
cipaux Droguemans. Il fçavoit dix-
fepr Langues, & avoit apris le Fran-
çois, l'Anglois & l'Alleman, comme
s’il eût été dans nos quartiers. C'eft
le méme,fi je ne me trompe;qui avoit
fourni avant fa mort des memoires à
Monfieur Ricaud Conful de Smyr-
| ne,qui a fait imprimer l'état de l'Em-
pire Ottoman. Monfieur de Nointel
a un traité du Serrail qu'il a fait en
Italien : ὃς M.Galland, qui a demeu-
ré quelques ànnées à Conftantino-
ple avec M.de Nointel , a plufieurs
| chofes écrites de la main de cét Ha-
ly-beg.& entr'autres une bonne par-
tie des Pfeaumes, qu'il a mis en vers
Turcs & notez en Mufique. Nous
| alláàmes rendre deux ou trois fois vi-
fite à Mahomet Bacha Chirurgien à
l'Atmeydan. Il a de l'employ au Ser-
rail , & poffede quelques livres La-
tins, Anglois & Italiens, de Chiruc-
260 Poyage de l Archipel ,
gie & de Medecine qu'il entend fort
bien; car il étoit Anglois, & fut pris
jeune par les Turcs qui l'ont élevé
dans la Religion Mahometane, Il
témoigne beaucoup de civilité aux
Francs. Il nous fit voir un livre de
Medecine en Arabe d’un Docteur |
Perfan;qu'il difoit être fort fçavant :
mais je ne le crois pas fort capable
d'en juger , fa fcience n'allant guere
au delà de fçavoir faire quelques fy-
rops, conferves & confitures, donc il
s'aquite affez bien , & de faigner les |
malades avec la lancette.Nous vimes |
pendant que nous étions à fa bouti-
que quelques Turcs qui venoient
prendre des pilules d'opium , qu'ils |
appellent Afon. C'eft le fuc du pa- :
vot fans aucune preparation,ni puri- -
fication. Tout le monde fçait que
celane les fait pas dormir mais qu'ils |
le prennent pour cordial à plufieurs
maladies, & pour aller affronter avec |
moins de crainte dans la guerre les |
plus grands perils. Comme ils s'y M
accoütument dés la jeuneffe , il n'a ^
plus la force de leur affoupir les fens,
quoy qu'il en aitaffez pour endormir —
Οὔ de Conflantinotle. 261
l'efprit, & luy ôter les fentimens de
| la peur & dela douleur.
Je m'informay auffi particuliere-
ment du Azfma ou Chrifina des
Turcs, qui eft une efpece d'onguent,
avec lequel ils font tomber le poil.
Ils en font de deux fortes ; un qui eft
compofé d'orpiment & de chaux vi-
ve en poudre , qu'ils font cuire avec
de l'eau en confiftence d'onguent ;
l'autre qui eft auffi de chaux avec
parties égales d'une certaine picrre
noirátre minerale , qui vient d'Egy-
pte, qu'ils accommodent de meme
que le precedent. l'en achetay quel-
que peu à Conftantinople,où elle cft
à grand marché,mais je ne puis vous
Len donner d'autres lumieres , & nos
[Droguiftes n'y connoiffent rien. Il
de l'apparence qu'il entre auffi de
l'orpiment dans la compofition na-
turelle de cette pierre. On l'applique
quand on entre dansle bain , & le
igneur prend foigneufement gar-
de, lorfque le poil commence à etre
rongé, & qu'on le peut aifement ti-
ex. Alors il lavepromtement la par-
€ avec de l’eau chaude, & frottant
fo
262 Voyage del Archipel,
avec un drap rude , enleve ainfi tout
le poil fans faire du mal.
Les Sept Tours font une efpece de
Forterefle à l'extremité de la Ville du
côté du Midy. C'eft où l'on garde
une partie des trefors du Grand Sei-
gneur , & où l'on tient en prifon les
gens de qualité. Il y a quelques an-
nées qu'un Chevalier de Malthe pris
cfclave y étroit reflerré. Il trouva
moyen de fe fauver, & depuis on n'a
pas voulu y laiffer entrer les Etran-
ers, de peur qu'ils n'en connoiffent
le foible. Du cóté de la terre il y a
trois murailles, mais il n'y en a qu'u-
ne du cóté de la mer. Ie confideray
moins ce Château pour fa force qui
n'eft pas grande , que pour cinq ou
fix bas relief qu'on void à une porte
de derriere qui eft maintenant mu-
rée. Illy en a un qui reprefente la
chüte de Phacton;un autre qui repre-
fente Hercule , qui conduit le chien
Cerbere, & un troifiéme, un Adonis
dormant , Venus qui s'en approche,
& Cupidon quiluy préte fon flam- -
beau ; le tout d'une affez bonne ma- :
niere. Le refte n'eft pas fort confide- M
uL dew
Ϊ
& de Cenflantinople. — 363
rable.Monfieur le Marquis de Noin-
tel Ambaffadeur de France à la Porte,
qui cft extremement curieux, pourra
un jour faire defligner ces reliefs. Il
nous fit voir chez luy plus de curio-
fitez , que nous n'en aurions và dans
tout le refte de Conftantinople.Nous
y vimes environ trente marbres ou
infcriptions antiques qu'il a appor-
᾿ tées d'Athenes,ou de PArchipel, Par
un furcroit de bonté il nous permit
d'en copier ce que nous voulûmes.
Il a grand nombre de medailles,par-
mi lefquelles il y en a de bien fingu-
lieres , ὃς quatre cent deffeins de bas
reliefs , edifices & payíages , qu'il a
fait faire dans tous ri voyages de
Grece ὃς de Turquie. ll ya peu de
perfonnes au monde qui euffent pû
| avoir ce credit dans un pays fi cnne-
mi de la peinture ; mais il y avoit
toüjours deux Janiffaires à côté de
fon Peintre, lors qu'il tiroit quelque
chofe. Il demeura quinze jours à co-
pier feulement les bas reliefs & la fa-
cade du Temple de Minerve à Athe-
nes. Il nous fit la grace de nous en-
tretenir fouvent des belles chofes
264 Voyage del Avchipel, —
qu'il avoit veués dans fon voyage,
nous invita plufieurs fois à fa table,
& nous fit la grace de nous donner
un Paffeport , au cas qu'à nôtre re-
tour nous tombaffions entre les
mains des Corfaires Chrétiens. Le
Palais de l'Ambaffadeur qui eft à Pe-
ra eft un des plus beaux de Conftan-
tinople, tant pour la vue qu'il a fur
le Serrail & une partie de la Ville,
que pour fa propreté. On confond
ordinairement Gz/ata & Pera : ce
dernier mot fignifiant en Grec ax
dela , ὃς les Grecs voulant paffer de
Conftantinople à Galata ont accoü-
tumé de dire Pao pera , je vais delà
l'eau, ce qui a donné à ce quartier-là
le nom de Pera ; auffi appellent-ils
l'endroit où on paffe l’eau Perama,
c'cft-à. dire /e rrajer.
Nous allámes auffi faluer Monfieur
le Chevalier Finfch , qui venoit de
faire fon entrée à Andrinople,en qua-
lité d'Ambaffadeur du Roy de la
Grande Bretagne. Son Chapelain
Monfieur Couvel nous affura que
Conftantinople n'avoit pas quaran-
tetrois degrez de latitude ; comme
nos
"——PCTcE—m
/
1
5
d
e de Conflantinople. 265°
nos Cartes le placent; mais que par
plufieurs obfervations qu'il avoit fai-
tes: avec l'Aftrolabe au Solftice & à
l'Equinoxe, il avoit trouvé que cette
Ville n’évoit qu'au 40. deg. j6.min.:
& que fon obfervation ' s'accordoit
avec celle d'un Pere Iefuite tres-ha-
bile homme,;qui ne mettoit auffi An-
drinoplé qu'au 41.degr. 18 min. Il
| ajoütoit à cela que toutes nos Cartes
de Thrace font fauffes,& que la plus
patfable eft celie-d'Ortelius. 291
: Le tour des murailles de Conftan- :
tinople eft d'environ 1 5.milles ; mais
les Faux-bourgs, ou pour mieux dire
les Villes qui luy font jointes n'ont
|pas moins d’étendué , & ne font pas
moins peuplées.Bien qu'elle aic dou-
ble. muraille du coté de terre, elle ne
peut pas paáífer pour forte. Devant
les jardins du Sirrail proche de la
mer il y a quantité de canons rangez
foûs un couvert , parmi lefquels il y
en a des dépouillcs de pluficurs Prin:
ces Chrétiens, & quelques-uns d'ün
f prodigieux calibre , qu'un homme
pourroit être affis dedans, ayant prés
de trois pieds de diametre. On ne
M
266 Voyage de l'Archipel,
charge ces gros canons que de bou-
lets de pierre , qui feroient un terri-
ble fracas dans un Vaiffeau. 1l y en
a un entr'autres à triple calibre , qui
cft peut-etre de l'invention de quel-
qu'un de nos Renegats, les Turcs
n'ayant pas tant de fubtilité pour
ces chofes -là.
Entre Conftantinople & Scutari
il y a au milieu du Canal une Tour
fur un petit rocher , avec quelques
pieces d'artillerie, Y: étant entrez
nous fümes furpris d'y trouver un
puits d'eau douce; car on nous affura
que ce n'étoit on: une-citerne, mais
que la fource fortoit du roc environ-
né de tous cótez de la mer, & venoit
de terre-ferme. Ie ne Ígais.fur quel
fondement quelques-uns l’appellent
la Tour de Leandre, qui étoit plutôt
à ,Abydos proche des Dardanelles.
Celle-cy n’a rien d'antique;mais elle
peut avoir été rebátie fur.des fonde-
mens plus anciens.
: Nous pafsámes trois. milles. plus
loin que Scutari pour aller voir.
Chalcedoine , qui eft plus ancienne —
que Byzance, Les Turcsl'appellent |
& de Conflantinople. 267
Cadikini, & les Grecs encore Chalce-
dona, 115 croyent que le Concile de
Chalcedoine fe tint à l'Eglife Metro-
politaine que nous allàmes voir.Mais
Monfieur l'Ambaffadeur de France
mous dit que c'étoit à un mille de là,
& qu'il y avoit là une infcription qui
en parloit.Ce n'eft maintenant qu'un
grand Village, où il y a autour quel-
ques jardins qui fervent de lieux de
divertiffement à ceux de Conftanti-
nople, & entre Scutari & Chalce-
doine on voit un Serrail du Grand
Seigneur.
Les environs de Conftantinople
(ont bien cultivez, tout y abonde, &
les fruits y font tres-beaux. Le vin
feul y eft cher , & vant un quart de
piaftre la bouteille. Mais là comme
dans tout le refte de là Turquie on
pefe le vin, & on le vend à l'egze,qui
fait du moins trois de nos livres, Le
boire ordinaire des Turcs eft le café,
qui fe fait avec une efpece de graine
en poudre qui vient d'Arabie, qu'on
fait bouillir dans de l'eau , & qu'on
boit auffi chaude qu'on peut le fou-
frir, Cette boiffon fortifie l'eftomac;
M a
268 Poyace del Archipel,
diffipe les vapeurs qui montent au:
cerveau, tienc l’efprit éveillé, & don-
ne de l'appetit. Ie me difpenfe d'en
parler plus au long , parce qu’elle.
commence d'être aíffez connué en
France. Les Turcs ont auffi d’autres.
boiffons appellées Serbers. Celuy du,
menu peuple eft fait avec de l’eau,
jettée fur du raifin de damas pilé; ὃς
le forbet des riches eft cuit avec le
ἔπους & le jus de citron , à quoy l’on
ajoûte un peu de mufc. On n’oferoit
vendre du vin dans. l'enceinte de
Conftantinople ; mais les Grecs &
les Iuifs ont la liberté d'en faire à
Galata,, Ces derniers ont toüjours le’
meilleur, parce qu'ils font tenus par
leur Loy de le faire pur, fans aucun
mélange d’eau : mais les Grecs qui
ne font pas confcience de frauder,
font Ícrupule de boire du vin des
Iuifs, de méme que les Juifs de celuy
des Grecs.
Nous ne voulámes pas manquer,
d'aller baifer les mains du Patriar-
che , à qui nous avions un paquet ἃ.
rendre du Protopapa de Corfou, Ce-
luy qui l'eft à prefent s'appelle Par-
οὖ de Conflantinople. 269
thenius. Il avoit déja été depoiledé
une fois du Patriarcat ; mais il a ἢ
bien fait,qu'il s'y eft rétabli.La char-
ge eft à celuy qui donne le plus au
"Grand Vizir , qui ne demandant pas
mieux que de remplir fes cofres, fait
que ces Patriarches fe chaffent les
uns les autres, & que depuis cinq ans
ils ont change y ta à cinq fois.
Du tems de l'Empereur Leon ce Pa-
triatche avoit quatre-vingt Metro-
politains & vingt Archevéques foüs
luy. Il n'en a guere moins prefente-
ment , mais les Prelatures font plus
pauvres , depuis que l'Eglife Greque
eft dans l'efclavage des Turcs.Quand
ils font élevez au Patriarcat , ils
écrivent d'abord à tous les Metropo-
litains pour contribuer à la fomme
qu'ils ont debourfée pour leur eleva-
tion. S'ils ne payent , ils en fubfti-
tuent d'autres à leur place. Les Ar-
chevéques taxent à proportion leurs
Evéques Suffragans , & ceux-cy les
Papas de leur Diocefe. Ainíi tout fe
fait par Simonie. Les Grecs n'ofent
eux-mêmes defavoüer cét abus, qui
s'eft introduit parmi eux... Nous fa-
M 3
ago Foyage de l'Archipel,
- Juámes ce Patriarche aufortir de l'E-
_glife de Balata , qui eft la Metropoli-
taine où il fait fa refidence. La ma-
niere de le faluer eft de luy baifer le
deffus de la main , ou le chapelet
qu'il tient, cóme on feroit à un Evé-
que ou fimple Papa. On le traite de,
a Panagiotita-fou , c'e(t-à-dire , vore
toute , ou tres-grande Sainteté. Mais
aux fimples Prétres on donne feule-
ment le titre d’Agiotita-fou,ou de vo-
ire Sainteté. Τὶ n'a autre fuite que des
Metropolitains ὃς Evêques habillez
en Caloyers, car ils Le font tous , &
lui-méme dans fon habit n'a rien qui
le diftingue des autres. Il étoit vétu
d'une foutane,& d'une vefte par def-
fus deferge noire, Nous ne l'entre-
tinmes pas long-tems , à caufe de
l'embarras où il étoit d'un ordre qu'il
venoit de receyoir du Vizir,de leve-
pir trouver, ce qui étoit de mauvais
prefage pour fa bourfe. Balata eft un
Faux-bourg de Conftantinople;qu'il
ne faut pas confondre avec Galara.
Le Bazar, qui eft la place du Mar-
ché, cft tres-beau à voir , & chaque
métier y a fa rue,Les Arts quifleuri(-
e de Conflantinople. 271
fent parmi les Turcs , & qui s'exer-
cent plus parfaitement que parmi
nous, font ceux de Tailleur,de Con-
royeur, de Cordonnier , de Brodeur
d’or & d'argent, de Tapiffier, de Mer.
nufier , de Maréchal , de Coutelier,
d'Armurietr, de Sellier, de Faifeur de
brides , d'arcs & de fléches, de Baï-
gneur, de Barbier ,, de Confifeur ἃς
de Faifeur de Sorbets. Au contraire
il y a beaucoup d'autres métiers
qu'ils n'entendent pas fi bien que
nous. La Medecine n’y eft prefque
exercée que pat quelques Candiots
Juifs ou Renegats ; & fi-tót qu'un
Barbier fcait un fecret ; 1] s'eriee en
Medecin. Maurocordatus Chrétien
de Candie,qui a écrit quelque chofe
fur l'ufage du poulmon, qu'il a dero-
bé à nos Auteurs , étoit Medecin du
Grand Seigneur , & prefentement il
s'eft fait Drogueman. Jetrouve qu'il
. a fait prudemment , car fa vie n'eft
pas fi ant en danger que dans fa
premiere profeffion;oü ne pas guerir
le Prince dans une maladie, pañle
pour un crime capital. Les Barbiers
fçavent quelquefois faigner, & leurs
M 4
272 Foyage de I Archip.e de Conff.
raloirs ont des manches tout. d’une
venué avec la lame. Ils rafent à con-
trepoil', & ont la main tres-legere:
mais au lieu de favonettes j ils n'ont
que des pieces de favon, comme nôs
blanchitfeufes. ΠΗ
Je vous donnerois bien quelques
autres remarques dcs. coütumes de
Turquie, mais ne pouvant ignorer
qu'il y a plufieurs Autheurs qui en
ont écrit, je me contente de vous
avoir fait mes obfervations particu-
lieres, qu'ils n'ont peut-être pas tou-
chées fi exactement que moy ; & je
crois méme qu'il y en a quelques-
unes qui ne fe trouveront point dans
les Relations qui courent de ces
pays-là. Il eft tems de quiter Con:
ftantinople , & de penfer à freudee
le chemin d’Athenes,que je fouhait-
tois particulierement de voir. -
! 273
tiers see US
E LLWRBJLIE
Voyage d' Anatolie , avec la de[cri-
piion des [ept Eglifes de
[| Apocalypfe.
INC O us étions fort irrefolus fur
INE le choix de la route qué nous
pourrions prendre pour aller à Athe-
nes , pour laquelle proprement nous
avions entrepris nôtre voyage. Il y
avoit trop de rifque à y aller par mer
à caufe des Corfaires , & il n'y avoit
pas moins à craindre par terre à cau-
fe de la pefte qui regnoit par toute la
Thrace , que nous aurions été obli-
gez de traverfcr, .Enfin nous nous
determinàmes , & l'occafion de deux
marchands Anglois qui alloient à
Smyrne,& d'un medecin de leur Na-
tion nommé le Do&eur Picrelin;,
nous fit refoudre d’y aller avec eux,
dans le deffein , aprés que nous y fe-
rions arrivez,de prendre nos mefures
-pour paffer dans la Grece.
M ;
274 Voyage du Levant,
Nous primes donc tous enfemble-
une Barque,& partimes de Conftan-
tineple tis le midy le 16.d'Oétobre
1675. Nous laifsámes à nôtre gauche.
Chalcedoine,& le golfe de Nicome-
die ; au fond duquel eft cette Ville.
appellée prefentement I/ebmit : & X
nôtre droite l'Ile de Proté , où nos.
Vaiffeaux Venitiens. avoient donné:
fond, le Bayle ne leur ayant pas per.
mis de venir au Port de Conftanti-.
nople à caufe de la peíte. Le Vaiffeau-
marchand nommé /a Fortunette , qui:
avoit été obligé d'y venir , ne tarda.
gcre à être infecté, & trois ou qua=.
tre matelots en. moururent. Plus.
avant. nous. laifsâmes für la droite. -
deux écueils, qui retiennent leur an-
cien nom.d'Oxya & de Plat) ; lepre-
mier, parce qu'il cft forr pointu; &
l'autre , parce qu'il eft bas & large.
& c’eft ce quc fignifient les noms que
les Grecs leur: ont donnez. Enfuite:
nous, pafsâmes prés de la petite Ifle. ”
d' Antigone & vinmes coucher à celle.
de CLalu , un Monaftere de Ca-. —
loyers rebáti par Panagioti Drogue-
an du Grand Seigneur. Qn y.voit:
é des fept Eolifes..— 275
fon epitaphe en Grec literal, & celle
d'un Ambaffadeur d'Angleterre ap-
pellé Edoüard Barton , ess le regne
d'Elizabet. Les Caloyers nous re-
ceurent civilement , & nous fourni-
tent autant de couvertures & de ma-
telats que nous voulümes. Le lende-
main nous partimes de bonne heure.
& vinmes dans.le: golfe de 244ona--
gnia appellé anciennement Canus fi
nus, du nom dela Ville de Czum..
Nous. côtoyàämes à notre droite le:
village de Trichlia,& à un mille delà:
celuy de Siky, qui eftaffez grand, ἀξ:
que nosCartes nomment Seauino mal.
à propos ; car Sixy eft fon veritable:
nom , fignifiant en Grec une figue,,
parceque le terroir d'alentour eft:
plein de figuiers fauvages. Il y ἃ là:
une Eglife qu'ils. appellent Agios:
Stratigos , ὃς c’eft le nom qu'ils don—
nent quelquefois à l’Archange Saint:
Michel,comme fi nous difions /e faint
Capitaine. Proche du rivage il y a:
une fontaine appellée Chriflos 9. à la
quelle les Grecs attribuent: des mi—
tacles.[lsnomment ces fortes-d'eaux ,,
auff bien: queLeau benitezAgiafma..
M O N-
TAG-
NIA.
PROY-
SA.
276 |. Poyage du Levant,
À quatre ou cinq milles de là eft
la petite Ville de Adontagnia,o0à nous
primes terre. Il eft aifé de juger par
{es mafures , que le lieu eft fort an-
cien,& quelques-uns veulent que ce
foit la Nicopolis de Bithynie. ll y a
un beau Kan, qui a environ cinquan-
te chambres. Nous y paísàmes le
refte du jour, & primes le lendemain
des chevaux, pour aller à Proufa,qui
n'en eft éloignée que de dix ou dou-
ze milles. Nous laifsámes à moitié
chemin le village de Mouffanpoula,
& des campagnes bien cultivées.
PROVSA , ou Bour/ia , ou Burfa *
(car le nom de cette Ville fe pronon-
ce de diffirétes manieres) a un abord
des plus agrcables ; tout le terroir
d'alentour étant ombragé de noyers,
de chataigners & de meuriers,& em-
belli de jardinages de coté & d'autre
du grand chemin qui cft fort large & #
auffi beau qu'on fe puifle imaginer, |
quoy que peu à peu il aille en mon- 1
tant. C'étoit l'ancienne Ville de Pru-
Ja aa Olympum, évant au pied de cet-
te montagne, qui étoit autrefois ap-
pellée l'Olympe de Bithynie, σε
C des fept Ερίϊεν. 277
une des plus hautes de l’Afie mineu-
re, & on la voit de Conftantinople,
bien qu'elle en foit éloignée de prés
de cent milles. Le fommet eft cou-
vert de neige toute l'année ; mais à la
moitié de fa hauteur elle a des en-
droits fort agreables , des bois de
pins & fapins, Wwe d'une efpece
de cedre, commele jugeoit mon ca-
marade fort curieux pour les plantes.
Ces bois font arrofez de quantité de
ruiffeaux, où l'on pêche aifement des
truites tavelées de rouge , que les
Turcs appellent Æ/agbalue, ce qui, à
exprimer le mot à la lerrre , fignifie
un bean poiffon. Les plus groffes font
portées au Grand Seigneur , comme
un morceau delicat. Cette Ville fuc
prife fur les Empereurs Chrétiens
d'Orient par Sultan Orchan lan
.1300. ὃς devintle Siege de l'Empire
Ottoman, jufqu’au tems qu'ils fe fu-
rent rendus maîtres de Conftantino-
ple. Elle a encore les murailles qu'cl-
Je avoit foûs ἴα domination des Chré-
tiens. Les Turcs ne les ont pas vou-
lu demolir, comme ils font prefque à
routes Les autres, parce qu'ils la con
278 Voyage du Levant, ——
fiderent comme une des Villes Koya«
les de l'Empire. Nous en fifmes le
tour , qui eft: d'environ. fix milles..
Elles font báties des ruines de l'an-
cienne Ville; car on y voit quantité:
de colonnes & de pieces de marbre
enclavées avec les pierres. Le quar-
tier qui eft fur umggoche efcarpée du.
coté du Bazar,eft appellé le Château.
ou la Fortereffe. Elle eft entourée.
d'une muraille feparée de celle de la:
Ville, avec quatre portes pour y en+
ter. C'étoit le refuge des Chrètienss.
mais la Place étoit meilleure qu'elle
n’eft à prefent.Nous y vimesle Mau-
folée d'Orchan , de fa femme & de:
fes enfans, dans une Eglife qu'ils ont
ótee aux Grecs. Elle eft bâtie en
croix Greque, un dôme au milieu , &:
le Chœur tout. de marbre, On voit:
auífi. prés de là un tombeau où font:
enfevelis les enfans de Bajazet.
La Ville contient environ quaran-
te mille Turcs,& prés de douze mil-
le Iuifs. Pour ce qui eft des Grecs ὅς.
des. Armeniens , ils font aux Faux= «
boures,& ne font pas un grand nom -
ἧτο, Au contraire le Bourg de Phila+ |
e des [ept Ealifes: 279
dar, qui eft à deux lieucs de Proufa,
n'a que des Chrétiens, quoy quils
foient plus maltraitez des Turcs que
par tout ailleurs ;, car ils leur font
payer double carafch , à caufe de la.
vigoureufe refiftance qu'ils. leur fi-.
rent , lorfqu'ils fe rendirent maîtres,
du pays ; & comme ce font des mar--
ques de leur courage, ils fouffrent ce:
rude traitement fans en murmaurer..
L'ancien Serrail de Proufa étoit
fort petit,. H y a quinze ans que le
Grand Scigneur y devant venir , on.
l'abatit,& l’on en rebatit un autre en
moins de deux mois. Nous y entra-
mes avec un laniffaire, & nous ne vi
mes qu'un bâtiment fort mediocre,
qui n'à que fcpt ou huit chambres.
boilées avec des armoires dorées à
- compartiment;fans être accompagné.
d'aucun jardin ; toutefois la vüc en
eft tres-belle.. Il ny à aucun meuble
dans ces chambres , auffiles Turcs.
n'en ont guere , & le Eoncierge qui
nous les avoit ouvertes eut pour fa
peine une piaftre de chacun de nous.
. La Ville n'eft arrofée d'aucune ri-.
viere , & il n'y. a qu'un tuifleau à un:
280 Voyage du Levant,
mille delà fur le chemin de Monta-
gnia ; mais en échange il n'y a point
de Ville au monde où il y ait plus de
fontaines. Divers Sultans y ont bâti
juífqu'à fix ou fept Mofquées, & celle
d'Aladin eft la plus belle & la plus
Ípacieufe de toutes. Elle eft quarrée
& couverte de vingt-cinq petits dó-
mes d'égale grandeur. C'eft une bel-
le architecture, & toute de pierre de
taille. Le Bazeflan ,oà fe debitent les
marchandifes eft un affez beau lieu ;
& non feulement Proufa eft une Vil- 1
le de grand negoce,mais elle eft auff
de grand paífage pour les Caravanes |
qui vont d'Alep ou de Smyrne ἃ
Conftantinople,& il s'y fait des foyes |
ues-fines. ll y a quantité de beaux
bains ou étuves à la Turque , & des
Kans pour loger les paffans,dans l'un |
defquels nous avions deux chambres |
pour nótre compagnie. Vn de nos |
Anglois y tomba malade, & nous y «
retint prés de quinze jours. Le Do- -
éteur Picrelin le faigna deux fois lai- |
méme faute de Chirurgier, ὃς com- |
me il crut que fa maladie tireroit en |
longueur , nous partimes. enfin. de
Æ
de A
Ο des [ept Eglifes. — 281
Proufa , aprés luy avoir laiffé deux
perfonnes pour Paflifter. Nous ap-
primes quinze jours aprés qu'il y
étoit mort,;non fans foupcon de quel:
que nialignité apportée de Conftan-
rinople,où la contagion fe renforgoit
quand nous en partimes. Car au re-
fte fa maladie n'étoit pas dangereufe,
n'étant qu'une fiévre tierce intezmit-
tente, Quoyque le commerce des
deux Villes füc libre, & qu'on n'y
obfervât aucune precaution , il n'y
avoit pourtant point de pefte à
Proufa.
Vn Armenien nous donna un che-
val à chacun jsíqu'à Smyrne pour
trois piaftres. Monfeur Vvheler fut
» fort fàché de ce que le fien n'avoit
. point de bride; mais nous apprimes
à nous y accoütumer dans la Grece,
où nous étions montez comme le
Marc-Aurele du Capitole fans bride,
fans felle & fans étrieu,nous conten- -
tant d'un licol , d'un baft & d'une
corde pour tout harnois. Le premier
jour nous ne vinmes coucher qu'à
un mille de Proufa , aux bains d'eau
chaude qui font au village de Cap/;-
282 Voyage du Levant,
gi. Le grand bain femble une Mof-
quée, & nous n'y pümes entrer, par-
ce qu'il y avoit des femmes. Toute
l'apreídinée eft pour elles, & le ma-
tin pour les hommes. Celuy où nous
nous baignàmes , bien que l'un des
moindres , étoit un dôme tout de
marbre par dedans. L'eau eft fou-
frée, & feroit tróp bouillante ; fi on
ne la temperoit avec de l’eau froide.
Les Turcs les frequentent fort , tant
par les regles de leur Loy qui leur
recommande le bain,que par delices,
& pour leur fervir de remede en di- |
verfesmaladies ,pour:la guerifon def-
quelles ils font renomimez dans tout
le pays.
Le lendemain 24. d*'OG&obre nous
quittàmes Capligi avant jour,& tra-
versámes des campagnes de bled cul-
tivées par les efclaves des Turcs; cat
pour les Muffulmans il n'y en a point
de reduits à cette neceffiré,& ils font
tous aífez à leur aife dans ce monde.
Ils s'attendent de l’être encore da-
vantage dans l'autre , & s'appuyent
entierement fur les promeffes ridicu-
les de leur Prophete. Nous nous ar-
3
i i € det fent Eelifes. — 285
rérâmes fur le midy à un hameau de
Grecs , où nous trouvámes des œufs
& du lait. Nous y mangeâmes fans
faire repaître nos chevaux , qui
étoient accoütumez à la Turque à
faire abftinence jufqu'au foir dans le
voyage. Nôtre repas fait , nous fü-
mes encore fix heures à cheval par
un pays de méme nature que le pre-
:cedent , mais un peu plus diverffié
par d'agreables collines. Trois ou
quatre milles au dega du gite où
mous nous arrétames ce foir-là nous
traversames une grande plaine , où
nous decouvrimes à nôtre gauche un
beau lac long de 2 5. milles ou envi-
xon , & large de fept ou huit. Nous
tenconträmes ce jour-là fix Cava-
liers faits cóme des voleurs de grand
chemin. On nous affura auffi que
nous ne nous trompions pas de les
prendre pour tels ; mais nous étions
B {ept bien armez , & nous ne crai-
|gnions pas qu'ils ofaffent s'attaquer
à une plus forte partie que la leur.
|| Nótre petite Caravane étoit compo-
fée du Docteur, d'un marchand An-
iglois , de mon camarade & de moy,
284 — Foyage du Levant,
avec un Janiffaire que nous avions
pris depais Conftantinople à un écu
par jour luy & fon cheval, & deux
ferviteurs ; fans conter deux ou trois
voituriers à pied, mais qui n'avolent
point d'armes , & qui fe moquoient.
des voleurs , parce qu'ils n'avoient
rien à perdre. |
Le bi: nous atrivàmes à Lonupads |
petite Ville prefque deferte,fituée de |
l'autre côté de la riviere qui fort du:
Lac, ἃς fe va jetter au detfous dans:
le Granique. C'eft le lac & la rivie-]
re d'A/canins , mais nos Cartes pla-
cent ce lieu-là au bord du Lac, quoy
u'il en foit à trois milles au deffous,
& ils pofent le lac affez proche dela
mer , bien qu'il en foit éloigne d’une”
journée de chemin. Cette Ville eft.
affurement ancienne , comme on le
reconnoit à fes marbres & colonnes!
mifes confufement dans la fabrique:
des murailles, qui font un ouvrag
des Empereurs Grecs;avec des tours
rondes & pentagones de vingt en
vingt pas. Nicetas Choniates,qui a;
écrit dans le treiziéme fiecle appelle
cette Ville Lopadium. - Ferrari. dit
c des-[ept Eglifes--. 28y:
qu’elle s'appelloit anciennement 4- :
pollonia; mais ce qu'il ajoûreeft evi-
demment faux ,difant qu'elle eft prés :
du Mont-Olympe, dont nous étions
éloignez d'une journée. Nous y en-
trâmes fur un Pont de bois,mais il y
à des mafures d'un Pont de pierre. -
Les maifons font prefque toutes de
terre, & à peine y a-t-il mille habi-
tans. Nous logeimes chez un Grec, ;
ui ne fcavoit parler que Turc, ἃς
dans les Villages de ces quartiers-là,
| n'y a quelquefois que le Prétre qui
[cache le Grec. Il nous regala d'une
ruite prife dans certe riviere,& nous
ivoüámes tous que c'étoit la meil-
eure que nous evffions jamais man-
xée. Nous continuâmes nôtre mar-
the le lendemain jufqu'à midy dans
εἴτα belle plaine de la Myfie, puis
ous vinmes à de petites collines.Le
oir nous paísámces le Granique fur
in Pont de bois à piles de pierre,
juoy qu’on l'cát pá aifement gayer, ,
y ayant pas de l’eau jufqu'aux fan-
les des chevaux. C’eft cette riviere :
ue le paffage d'Alexandre le Grand
rendu fi fameufe, & qui fut ie pre-
286 Voyage du Levant,
mier theátre de fa gloire , lorfqu'il
marchoit contre Darius.Elle eft pré-
que à fec en Eté ; mais quelquefois
elle fe deborde étrangement par les
pluyes. Son fonds n'eft que fablon
& gravier, & les Turcs qui ne font
pas foigneux de tenir les embouchu-
res de rivieres nettes, ont laifsé pref-
que combler celle du Granique , ce
qui empéche qu'il ne foit navigable,
méme proche de la mer, où il eft aí-
fez large. Nous le côtoyimes pen=
dant deux heures , & arrivàmes au
village de Soufighirli,qui n'en eft qu'à.
une moufquetade. Il y a un grand’
Kan ou Kiervanfera, c’eft-à-dire une”
Hôtellerie à la mode du pays,dequoy:
Monfieur Tavernier nous donne une!
longue & exacte defcription dans fes
voyages d'Afie. Mais ce Kan étant!
alors tout rempli d'autres voyageurs;
nous fümes obligez de nous reduire!
dans un petit bas où nous mimes nos:
chevaux , & nous nous placames fur:
.une eftrade ou. fofa à la Turque un?
peu plus haut pour nous éloigner de
l'humidité. Notre hóte qui étoit
Turc nous traita bien à la mode du!
€ des fept Eolifes. 287
Pays. Il nous donna du Tragana qui
eft du bled grué aprété comme le ris
à la Turque ; une tourte de molle,
de viande & de mie de pain,qui étoit
fort excellente, & un autre ragoût
qu'ils appellent Dou/ma. Ce font des
pommettes compofées de jailles &
foyes de poulet,de graifle d'oignons '
& d’épiceries fricaffées dans une
feuille de vigne. Le deffert confiftoit
en de bonnes confitures de poires,de
prunes & d’abricots au vin . cuit.
Nous étions fi perfuadez dela mau-
'vaife chere des Turcs, que celle-cy
nous parut merveilleufe, & le lende-
main nous payâmes nôtre hôte auffi
graffement que fi nous fuffions for-
[tis du meilleur Logis de France ; ce
que l'on fait de bon cœur fans mar-
Bchander avec eux.
|. Ayant quitté le village des Bufles-
Jd'eau (car c'eft ce que fignifie en
Turc Soufighirli) nous allimes encore
le: long du Granique pendant plus
lune heure, & à fix milles de là M.
€ Do&eur Picrelin nous fit remar-
uer de l’autre côté de l’eau affez
oin de nôtre chemin , les mafures
288 Voyage du Levant,
d'un Château qu’on croit avoir été:
bâri par Alexandre , aprés qu'il eut
paffé la riviere. |
Ce pays n'eft fertile qu’en bleds,:
parce qu'il n'y a que des Turcs dans
ces quartiers-là, auffi n'y trouvions-:
nous point de vin , ce qui ne nous:
plailoit pas. Il falloit nous contenter
du café & d’un breuvage à l'Angloi-
fe, qui n'étoit pas mauvais. Nous le
faifions avec de l'eau de vie;du jus de .
citron,de l'eau & du fucre ; car nous!
avions fait provifion à Proufa d'un: |
outre d'eau de vie. Il eft vray qu'il ^
nous en coûta affez cher ; car quand ἢ
Meffieurs nosAnglois,que nous croy- n
ions meilleurs ménagers que nous,
nous tendirét le compte de la dépens :
fe, il fe trouva que depuis Conftàn- ^
tinople jufqu'à Smyrne nous avions :
dépenfé quarante écus en eau de vie
& en fucre. Nous paffames fur le mi- ?
dy prés d'un Kan delaiffé ; appellé 0
Porte-de-fer , qui à autrefois bien!
fait peur à des gens , ayant été un |
nid de voleurs & d'affaffins qui de-- |
troufloient les paffans.En cffet,ayant |
peuifé un peu plus avant,nous mimes all
pied
.& des fept Eglifes. — 289
pied-à-terre dans une prairie pour
manger promtement prés d'une fon-
taine , où nous trouvámes une tête
d'homme decharnée ; & c'étoit appa-
remment la téte de quelque malheu-
reux voyageur qui y avoit. été affaí-
finé;n'y ayant pointlà de Cimetiere.
La nuit nous arrivàmes à Mandra-
goia méchant village, dont les mai-
fons font de terre & de chaume.Nous
logeámes dans le Kan , qui eft une
grande écurie avec une eftrade au-
tour, & des cheminées de dix en dix
pas, où les gens fe tiennent, 1] n'y a
dans ces Kans qu'un homme qui a
foin de donner de la paille ἃς del'or-
|ge en payant; cas dans toute la Tur-
| quie il ne fe parle ni de foin , ni d'a-
voine pour lés chevaux, ce qui eft.
caufe qu'ils font plus legers,& qu'ils
ne prennét pas de groffes pances qui
Mes puiffent rendre povffifs comme
]les nôtres. Il fournit auffi une nate,
fur laquelle on étend le petit matelas
qu'on porte avec fes hardes , & l'on
wa chercher dans les maifons voifi-
nes, le bois, le pain & autres chofes
neccflaires ; autant qu'on les peut
|
290 JVFoyage du Levant,
trouver. Mais on porte toüjours pros.
vifion de ris en chemin,étant le mets
qu'on appréte le plus aifement & en
moins de tems , car à leur mode on
ne le fait cuire qu'un quart-d'heure -
dans l'eau. Quand on a du beurre,;ou
de l'huile , on l’ajoûte en fortant du
feu. Nous l'avons fouvent trouvé !
bon fans autres ingrediens que de |
l'eau & du fel, avec un bon appetit. #
Je m'imagine bien que mille gens |
s'étonnefont en cét endroit, que les
Turcs n'ont pas l'efprit d'établir com- |
me nous de bonnes horelleries ; mais.
il faut confiderer que íi quelqu'un
d'eux s'avifoit d'en tenir , il ne fe.
trouveroit perfonne qui iroit y loger"
fi ce n'eft les Francs. Car comme les
Tutcs ont accoütumé de ne depenfer
prefque rien dans leurs Kans, ce qui
s'accorde fort avec leur humeur mef=
quine, ils n'auroient garde de salles
fourrer dans un Logis , où l'effroya-
ble penfée de payer pour une nui
homme & cheval un écu par téte,fe-
roit capable de les faire fuir bien
loin,au lieu de les y attirer. Auffi n
voyons-nous pas que les Armeniens}
© des fept Eglifes. — 391
faffent de grans écots , lorfqu'ils
voyagent dans nótre Europe. Ils ai-
ment mieux diner en chemin- faifant,
& coucher fur leurs bales de foye,
que de s'aller mettre dans un bon lit.
Il y avoit dans cé Kan cinq ou fix
colonnes fort antiques , qui nous fi-
rent juger que celieu-là avoit autre-
fois été quelque chofe de plus qu'il
'm'eft prefentement, & la reffemblan-
ce de nomme fit croire , que ς᾽ été
là A4andropelis, dont Pline fait men-
tion ; car nous étions alors dans la
Phrygie, où il place cette Ville.
Le jour fuivant nous pafsimes en-
core le Granique , qui n'avoit que
deux pieds d'eau, & nous marchámes
[huit heures durant par des collines
Mdefertes. Le foir nous arrivames au
fillage de Courougou/gi , c'e&-à-dire,
Anarais deffeché,& nous y rencontrà-
mes deux Hollandois qui venoient
Ale Smyrne , avec lefquels nous fou-
Mames chez un Turc.
Le 28. nous ne fifmes que cinq
ieucs , & nous primes nôtre gite à
afculimbeï , Bourg d'environ trois
ent feux, Il y aun Kan, mais nous
N 2
292 Voyage du Levant ,
aimâmes mieux loger chez un Turc
de la connoiflance du Docteur Picre-
lin. Il nous traita le moins mal qu'il |
püt avec du pilau, c'eft-à-dire du ris.
à la Turque, du Tragana,du laict, de
]a viande affez bien aprétée ,«& des,
confitures au vin cuit. Nous remar-4
quàmes chez luy linftrument dont:
ils fe fervent pour feparer le coto
d’avec fa graine,car il s’en fait beau-
coup en ces quartiers-là. Ce fon
deux rouleaux, l’un de bois , &V au-
tre de fer, que l'on fait tourner tous
deux en dedans, & l'on en approch
le coton qui paffe entre deux , mai:
la graine n'y fgauroit paffer , parce
qu'ils font ferrez l’un contre l'autre,
La figure vous l'exprimera mieux qu
le difcours.
e des Jept Eglifes. 5703
Instrument des Turcs
pour [eparer la graine de Coton.
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Nous n'avions plus delà que deux
petites journées jufques à Smyrne ,
mais nous nous écartàmes fix lieues
pour aller voir Thyatire , appellée
maintenant A£k-hiffar par les Turcs,
3
|
THYA-
TIRE.
294 Voyage du Levant,
C'cft-à-dire en leur langue Chéreau
blanc. C'eft une des fept Eglifes de —
l'Apocalypfe , & ce fera la premiere 4
dont je vous donneray la defcription. »
.Elle eft batie dans une belle plaine, |
T a plus de vingt milles de large,
emée de cotons & de grains ; mais #
il y en a une partie inculte & cou-
verte de tamarifc. A l'entrée de la |
plaine nous vimes fur une eminence |
qui commande le chemin,les mafures
d'un Château , qui portoit le méme M
nom Z' AL-h» (Jar, d'où les Turcs s'é- |
tant retirez, ils vinrent bâtir dans ce#
lieu plus commode fur les ruines ἀς ἢ
l'ancienne Thyatire , & luy donne-w
rent le nom du Château qu'ils avoiér ”
quité. Il n’y a pas encore fept ou ”
huit ans qu'on ne fçavoit où avoit
été cette fameufe Ville de Tbyatire,: ]
le nom méme en ayant été perdu. ἢ
Ceux qui fe croyoient les plus habi- |]
les , trompez par une fauffe reffem- ^
blance de nom;s'imaginoient que ce
füt la Ville de 7;77/4 à une journée |
d'Ephefe. Mais Monfieur Ricaud |
Conful de la Nation Angloife y étant.
allé accompagné de plu&eurs de ces |
*
a as
d des fept Eglifes. 295$
Meffieurs qui negocioientà $myrne,
reconnut bien que Tiria n'avoit rien
que de moderne,& que ce n'étoit pas
ce qu'ils cherchoient. Iugeant à peu
prés du quartier où elle devoit être,
ils vinrent à Ak-hiffar , où ils virent:
plufieurs mafures antiques , & trou-
verent le nom de Thyatire dans quel-
qüe inícription , apres quoy ils ne
douterent plus que ce ne fuft elle-
même.M.le Do&eur que nous avions
l'avantage d'avoir en nôtre compa-
nie,commeil eft Ícavant & curieux,
iouhaita de s’aflurer de la chofe , &
fut caufe que nous y allámes. Avant
que d'entrer dans la Ville nous vi-
mes un grand Cimetiere des Turcs le
long du chemin,où remarquant quel-
ques infcriptions, je mis pied-à-terre
pour les copier. Nous y demeurámes
toute l'aprefdinée, & nous étions lo-
gez dans le Kan proche du Bazar,où
ily a environ trente colonnes avec
leurs chapiteaux & pied d'eftaux de
marbre , difpofées confufement en
dedans pour foutenir le couvert. Il
y yaunchapiteau d'ordre Corinthien,
B & des feuillages fur le fufte méme de
N 4
296 . Voyage du Levant,
la colonne , comme vous en vertez
dans un Temple de Melaflo, dont je
vous donneray le deffein ; ce qui eft.
affez extraordinaire. — |
Au fujet de ces colonnes ouvra-
eces de feuillages,voicy un autre re- |
marque que M. Galland Antiquaire .
du Roy a faite & m'acommuniquée.
1 y a un Kiofque ou Pavillon bâti
par Sultan Soliman prés d’Inghirli- M
kioi qui n’eft pas loin de Conftanti- -
nople , fur le canal de la mer noire. .
Le fondement de ce Kiofque eftde M
plufieurs colonnes , parmi lefquelles
il y en a une de marbre blanc , d’un |]
pied & demi de diametre , dont on
n'en voit qu'environ deux pieds de |
longueur du côté de la bafe, qui for- |
tent hors du fondement en guife de |
canon , comme les autres colonnes. ”
Celle-cy eft toute particuliere: car le M
fufte méme de la colonne eft ouvra- |
é de feuillages de vigne entrelacez —
de figures differétes d'animaux,com- «
me de belettes , & de limaçons fort
au naturel,avec deux mafques & une |
cuve pleine de raifins que trois hom- |
mes foulent , & un autre en tire le —
& des fept Eglifes. 197
vin par le bas, & tout cela avec le
goüt & les marques de la bonne an-
tiquité, Cette colonne a été fans
doute prife du Temple de Bacchus;
dont Pettus Gyllius fait mention
dans fa defcriprion de Conftantino-
| ple,& en parlant des colonnes voicy:
| ce qu'il en dit : Capitula inferiorum:
| €chinos babent circumdantes imam par-
tem. Reliqua pars eff tota ve[lita foliis;
mais il ne les avoit pas obfervées de
fort prés. !
Nous primes un Janiffaire du lieu
| avec nous, pour aller voir les Infcri-
prions antiques de Thyatire. La pre-
miere qu'on nous avoit indiquée étoit
foûs une hale proche du Bazar, &
elle commence ainfi: H KPATIXTH
OYATEIPHNON BOTAH, le tres-puif-
fant Senat de Thyarire. Nne vintaine
de Turcs s'étant attroupez autour de
nous pour voir ce que nous faifions,
nous leur difines que c'étoit une
| pierre du tems des anciens Payens;
où étoit le nom que leur Ville por-
| toit autrefois. Ils s'étonnerent de ce
nom de Thyatire que je pronongay.
| & deux ou trois d'entr'eux nous en
| NOS
298. V'oyaee du Levant,
menerent voir d'autres que nous CO= …
piàmes exactement. Il y en eut un
nommé Wezi Chelebi quien avoit une.
chez luy crenfée en refervoir de fon- .
taine,& je puis dire que nous n'avós. |
point trouvé de Turcs plus civils. :
qu'en ce lieu-]à. Nôtre Ianiffaire !
nous mena àla cour d'un des prin-
cipaux habitans appellé AMuffapha. 4
Chelebi , où nous làmes encore trois, «
Infcriptions.Les deux premieres font !
les jambages du portail de la maifon,, —
& parlent d’Antonin Caracalla Em- M
pereur Romain , comme d'un Bien-
faiteur ἃς Reftaurateur de la Ville.
Le rire de Maître de la terre & de.
la mer , qui y cf donné à ce Prince «
ambitieux, cft auffi rare que celuy de |
Divinité prefente anx mortels, qui luy |
eft attribué dans une bafe de maibre |
à Frafcati proche de Rome. Aprés M
avoir leu ces deux pierres , nous ap- M
perceumes au milieu de la cour um |
grand cercueil de marbre , où il y!
avoit la place de deux corps,& à l'un. |
des córez l'Epitaphe du mari & de la:
femme , qui y avoient été επί velis. ;
(Comme nous. nous mettions. en de=
e des fept Eglifes. — 199
voir delecopier, un des Turcs du
Logis , peut-être par fuperftition, fe
mit devant nous , & ne voulut pas
nous le permettre , s'imaginant que
c'étoit un tombeau de quelqu'un de
leurs Saints. Nous fifmes femblant
de croire que ce qu'il en faifoit n'é-
toit que pour rire ; mais nôtre Ianif-
faite le fit ôter delà, & nous écrivi-
mes l'epitaphe, où le nom de Thyati-
re étoit repeté deux fois. Aprés cela
nous vimes une autre infcription
dans une colonne qui foûtient une
galerie d'un Kan , & où nous làmes
en Grec & en Larin,que l'Empereur
Veípaíian y avoit fait faire de grans
chemins l'année de fon fixiéme Con-
fulat. |
Les maifons pour la plus grande
partie ne font que de terre, ou de ga-
zon cuit au Soleil;fort baffes & fans
beaucoup d'artifice. Le marbre qui
s'y trouve n'eft employé qu'aux Ci-
metieres , & aux Moíquées, qui font
au nombre de fix ou fept , pour qua-
tre ou cinq mille habitans;qui nego-
tient en cotons, ls font tous Maho-
metans; & il ny a plus en ce lieu-là
300 Voyage du Levant,
de Chrétiens,ni Grecs,ni Armeniens,
fi ce n'cft peut-être quelques efcla-
ves , ou quelques étrangers qui tra-
vaillent chez les artifans. Vn Grec
que nous rencontrâmes , & qui étoit
de ces quartiers-là, nous montra une
petite Mofquée , qu'il nous affura
avoir été une de leurs Eglifes. Le
minaret de la Mofquée étoit tout de-
couvert, & il nous. dit que les Turcs:
lavoient couvert deux ou trois fois,
mais. que le toict étoit toüjours tóbé
bien-tótaprés,ce qu'ilattribuoitàun -
miracle,à caufe de la profanation qui |
en avoit été faite par les Turcs en la |
cóvertiffant en Mofquée. En un mot,
il ny a plus d'exercice de la Religion
Chrétienne en celieu-]à , & Dieu ἃ
puni fur eux felon fa menace, les im-
pietez de Iezabel. 14» quelque: cbofe
a vous reprocher , dit S. Iean à cette
Eglife ; c'eff que vous permettez que
lefabel , ceste femme qui fé dit Prophe-
teffe, feduife mes fevviteurs,e leur ens.
fexgne ἃ fe corrompre par la fornication, ὦ
C à manger de ce qui efl facrifié aus. |
Idoles. le luy ay donné du temps pour |
Jaire penitence de fon impudicité,r elle
€ des fept Eolifes. got
ne l'a pas voulu faire. Mais je m'en
vas la reduire au lit, en la frapant de
maladie, ci atcabler de maux & d'af-
füittions ceux qui commettent adultere
avec elle. Ieferay mourir [es eufans
d'une mort precipirée,cÿ toutes les Egli-
fes connoërront que je fais celwy qui fon-
de les reins ç les cœurs, cj je rendray
& chacun felon fes œuvres.
Le jour fuivant étant venus au
bout de la plaine , nous paísàmes
quelques collines , puis une autre
grande plaine longue de prés de vingt
lieués, & large de quatre où cinq, oà
Scipion furnommé l'Afriquain defit
autrefois Antiochus. L'ayant traver-
fée nous gayámesl Hermus petite ri-
viere qui fe va jetter avec le Pacto-
le à l'entrée du golfe de Smyrne.L'u-
ne & l'autre rouloient anciennement
de l'or dans leur fable, mais on n'y
en remarque pas à prefent. Vn mille
au delà eft le mont Sypilus , & aw
pied la Ville de Magnefie, appellee à
prefent Aagnefa , où nous vinmes
coucher chez un Turc. La Ville eft
grande, & a plus de douze mille ha-
bitans. |) la refidence du Gou-
MAGNEi
SIE,
MYR-
302 Voyage du Levant,
verneur de ces quartiers-là,à qui l'on
donne le titre de Muffellem.La mon-
tagne eft au Sud-Eft.Surle panchant
il y a une Citadelle affez mal en or-
dre.Les Grecs n'y ont qu'une Eglife.
Le 31. nous montámes trois heu-
res durant le Sypilus , & arrivames
cinq autres heures aprés à Smyrne.
Ainfi Magnefie n'en eft pas fi loin
que nos Cartes la mettent. 1] vine
environ cinquante Anglois à la ren-
contre des nôtres. Monfieur le Do
&eur Picrelin en ef fort aimé , & ils
le lay ont témoigné en luy faifant
une penfion de douze cent écus pour
l'arréter à Smyrne & être leur Mede-
cin. Nous étions en peine où aller
loger ; mais entre ceux qui étoient
venus au devant de nous , il y avoit
un Traiteur Frangois qui avoit ap-
porté une belle collation,& qui s'of--
frit de nous recevoir chez luy. ll
s'appelle Honorat , & s’eft marié là
avec une Greque. Son logis où nous
fümes tres-bien , eft dans le quartier
des François qui regarde fur le Port;
SMYRNE eft une Ville fort an-
cienne , bâtie, à ce que diloient les
e des [ept Egliles: — 303
Grecs par l'Amazone $myrne,qui luy
donna fon nom. On la voit reprefen-
tée dans les medailles antiques de la
Ville avec la double hache & le pe-
tit bouclier d'Amazone , & l'on re-
marque à l'entrée de la Fortereffe fon
bufte de marbre , que Monfieur de
Monconis prenoit pour Apollon.Les
gens du pays font des contes ridicu-
les fur cette téte,& difent que c'étoit
une certaine Reine de Smyrnequi vi-
voit du tems d'Alexandre le Grand ;
d'autres difent que c'eft Semiramis :
mais au fond ce n’eftautre chofe que
ce que je viens de dire. On le recon-
noit à la coiffure femblable aux me-
dailles où elle e£ gravée. Si les Turcs.
ne s'étoient divertis à luy tirer des.
coups de moufquet pour luy caffer le
nez, on luy verroit peut-être encore
la hache fur l'épaule.
Le Port de Smyrne eft un grand
golfe de huit lieués de tour, & qui a
prefque par tout bon ancrage , &
bonne tenue. Mais il y a comme une
efpece de darfe ou petit Port renfer-
mé pour les Galeres & barques Tur-
quefques, La Doüanc qu'on y a bá»
304 Voyage du Levant,
tie depuis peu eft une maifon avan-
cée fur la mer , & fort propre, bien
qu'elle ne foit que de bois peint &
verniffé, Son droit eft de trois, qua-
tre, cinq & huit ro cent, felon les
Nations,qui n'y font pas traitées éga-
lemét.Les Anglois y bat les plus fa-
vorifez,& les Armeniés les plus char-
gez ; à Smyrme,de méme qu'au refte
de la Turquie, fi l'on furprend quel-
qu'un qui veuille frauder la Douáne,
on ne luy confifque pas fa marchádi-
fe,mais on luy fait feulement payer le
double du droit ordinaire, On s'en
fie le plus fouvent à la bonne foy des
Anglois fans les vifiter ; parce qu'ils
agiffent avec honneur, & que la plà-
part des negocians qui font là font
Gentilshommes,ou de riche maifon,
n'ayant pas befoin de ces adreffes
pour avancer leur fortune, Lorfque
nous étions à Smyrne on achevoit .
d'y bârir un Bezeftein, vouté de pier=
res de taille, & long de quatre cent
pas, qui prend jour par de petits ἀδ--
mes couverts de plemb , & qui fera .
fermé par quatre portes,aux cótez & |
aux exuemitez. On y élevoit auff
& det fept Eclifes. — 30$
tout joignant un grand Kan de pier«
re de taille; mais pour mettre en état
ces deux edifices;ils en détruifent un
autre qui ne faifoit pas un des moin-
dres ornemens dela Ville, C'eftun
theâtre antique , qui eft far le pan-
chant de la colline,comme l'on mon-
te à la Citadelle. I] étoit fort haut &
tres-bien bâti, & avoit la νὰ fur la
. mer. Avant nôtre arrivée on y avoit
trouvé un pot de medailles de Gal-
lien, de fa famille, & des Tyrans qui
regnoient en méme tems que luy.
Ty trouvay dans la fcene une bafe de
ftatué qui n'avoir que le mot de
Claudia en Lettres Greques aflez
mal formées , & peut-être du même
tems de cét Empereur. Ainfi l'on
pourroit juger qu'il avoit été bâti,
ou du moins renouvellé fous fon
regne.Àu deffus de cette petite mon-
tagne, qui eft àu Levant de la Ville,
font les ruines de la Citadelle dont
jay parle. C'eft un ouvrage des Em-
pereurs Grecs ; car nous y vimes fur
une porte murée deus ou trois lignes-
Greques fi mal-aifées à dechifrer ,
qu'on cónoiffoit bien qu'elles étoient
306 Voyage du Levant,
du bas Empire , & d'un ficcle peu
li. Les Turcs ont auffi une Forte-
reffe à la bouche du golfe pour rece-
voir les droits de chaque Vaitfeau,&
pour defendre l'entrée aux Corfai-
res;mais elle n'a que les murailles, &
un petit foffé, fans aucune force que
celle de fes canons. A la porte de la
vieille Fortereffe où nous étions mó-
tez, il y aun grand cerifier fauvage,
que les Grecs du pays difent être le
bâton de S.Polycarpe premier Evé-
que de Smyrne,qui un moment aprés
qu'il fut planté en terre , pouffa des
branches. Le dedans de cette Forte-
reffe ruinée n'eft qu'un grand amas "
de pierres , & il y a auffi une petite
Mofquée qu'on dit avoir été l'ancien-
ne Eglife Metropolitaine dediée à |
S.Iean. On voit à fon veftibule deux .|
colonnes d'ordre Corinthien,mais de |
la plus belle maniere qui fe trouve |
parmi les ouvrages des Anciens.Pro-
che de la Mofquée eft une grande M
voüte foütenué de fort gros piliers.
le crus que c’avoit été une citerne,
parceque les fources manquoient
dans ceue Citadelle. Vn peu plus .
€ des fept Ealifes. 107
bas on voit hors de fes murailles les
ruines d'une Chapelle dediée à S.Po-
lycarpe,& les reftes de fon tombeau,
où il n'y a rien de confiderable, Il
eft proche d'un beau & grand Cir-
que long d'environ deux cent cin-
quante pas, & large de quarante-
cinq. Je m'accommode à l’ufage des
Launs en appellant ce lieu-1à un Cir-
que ; car les Grecs l'appelloient δι4-
dium , loríqu'il étoit de 125.pas , &
Dianlos quand il avoit le double,
comme à celui-cy.
Au bas de la Viile on voit quel-
ques pans de murailles de groffes
pierres de taille,mélées avec les mai-
fons ; & ce peuvent être des reftes
du Téple de Cybele mere des Dieux,
un des plus celebres du pays. Au
Nord & au Levant des murailles
coulela riviere 44e/es,que la croyan-
ce qu'on eut qu'Homere étoit né au-
prés rendit autrefois fameufe; ce qui
| donna à ce grand Poëte le furnom de
AMelefigeues. Ce n’eft maintenant
qu'un ruiffeau prefque à fec,à moins
que les pluyes ne le groffiffent. Le
| peu d'eau qui s’y trouve eft tellement
308 Voyage du Levant, -
partagé pour deux Moulins qu'il fait
tourner , & pour arrofer les jardins
du voifinage,qu'à peine luy en refte-
t-il pour payer le tribut que tous les
fleuves doivent à la mer. C'eft de-
quoy il ne faut pas s'étonner , puif-
que toutes les rivieres prefque de la
Perfe qui courent vers le Midy , font
coupées & diverties par tant de ca-
naux pour arrofer les terres, qu'elles
s’y perdent enfin, & qu'elles ne peu-
vent aller jufqu'à l'Ocean. Au refte
fcpt Villes fe difpatoient enfemble la
gloire de la naiffance d'Homere, :
Smyrne, Rhodes , Colophon, Sala-
mine , Chios, Argos & Athenes:
mais Smyrne avoit pour elle les plus
fortes preuves,comme Strabon le té-
moigne. Cér Autheur ajoüte qu'ils
avoient un portique où étoit le Tem-
ple & la figure d'Homere. Jay crá
que c'étoit cette mafure à un mille
de la Ville entre des Oliviers, que
quelques-uns appellent le Temple de
Janus. C’eft un petit portique,qui a
l'entrée de deux cótez , au Midy &
au Scptenttion , bâti de groffes pier-
ces fans chaux. Du coté de l'Orient
& des fept Ealifes. 309
contre la muraille pouvoit être l'effi-
gie dont parle Strabon ; & le Temple
étoit en ce lieu-là méme , ou quel-
qu'autre bâtiment joignant , que le
tems a détuit. Neanmoins on m'a
écrit depuis mon depart;qu'on a trou-
vé depuis peu en creufant là proche,
une ftatué de Ianus à deux faces,que
M.le Conful de Venife Luppazzolo a
achetée : ce qui confirmeroit l'opi-
nion vulgaire, que c'étoit un Temple
de ce Dieu.
Tous ces autres beaux portiques
dont cét Autheur fait mention , ne
s'y voyent plus , & les rues n'y font
plus à droite ligne,côme elles étoient
anciennement, ayant été fix fois ter-
riblement fecoüée par les tremble-
mens de terre, Les Grecs du pays
apprchendent le feptiéme , qu'ils di-
fent devoir être fa ruine entiere. On
voit encore à vingt ftades , comme
Strabon le remarque,c’eft-à-dire en-
viron à deux milles & demi en allant
le long de la mer au Château qui eft
à l'entrée du golfe, l'endroit où étoit
la vieille Smyrne,où il refte quelques
colonnes & fondemens fux le rivage.
310 — Voyage du Levant,
Pour ce qui eft des Infcriptions
antiques,j'en trouvay quelques-unes
affez remarquables dans le Cimetie-
re des Armeniens, parce qu'il fe font
fervis de ces marbres pour leurs
tombeaux ; mais ils en ont quelque-
fois effacé le Grec pour y gravet
leurs Epitaphes en Armenien. Il y ἃ
aux jardins d'Achmet Aga un cer-
cueil de pierre avec une infcription, !
dans lequel on a trouvé depuis peu
les os d'un Romain avec fon cafque,
δὲ fes armes de cuivre , dont l'uíage
étoit plus ancien pour la guerre que
celuy du fer.
Monfieur Ricaud Conful des An-
glois nous fit mille civilitez, & vou-
lut que nous mangeaffions fouvent M
avec luy. C'eftun tres-galant hom-. !
me , fort aimé & refpecté de tousles M
Francs. C'eft luy qui a écrit l'état de
l'Empire Ottoman , & prefentcment
il travaille à la centinuation de l'hi-
ftoire Ottomané depuis Sultan Mou-
rat, quc les Turcs n'ont jamais nom-
mé Amurat, comme nous faifons. Il
nous fit auffi voir un livre qu'il avoit
avancé, ὃς qui traite de l'état prefent
e des [ept Eolifes. — 3m
de l'Eglife Greque. Il n'y a perfon-
ne qui fe puiffe mieux acquiter que
luy de femblables ouvrages. Il a été
long-tems Secretaire de l'Ambaffade
d'Angleterre (ous Monfieur le Com-
te de Vvinchelfeay,& il (gait parfai-
tement le Grec ancien & moderne,le
Turc, le Latin , l'Itralien & le Fran-
cois, outre l'Anglois qui eft fa Lan-
| gue maternelle. Les droits du Con-
fulat font tous à l'Ambaffadeur ,mais
il a en fon particulier deux mille
écus d'apointement dela Compagnie
du Levant.
Nous vimes auffi Monfieur Cham-
bon , qui faifoit l'office de Monfieur
. du Puy Conful pour les Frangois.On
m'a affuré depuis,qu'on avoit obligé
nos Confuls de fe tenir à leurs refi-
dences de Confulat. Les Hollandois
& les Venitiens ont auffi leurs Con-
fuls à Smyrne , qui cft la meilleure
échelle de negoce de tout le Levant,
| particulierement pour les foyes de
Perfe que les Armeniens apportent
par terre jufqu'à Smyrne , où elles fe
vendent de 58.à 40. piaftres le Bar.
| qnan , qui fait environ & d'ordinaire
312 Voyage dn Levant,
dix livres & demi de nôtre poids; caf
il y a de ces batmans de different
poids. Les autres marchandifes que
l'on y charge font des fils & toiles de
coton de Magnefie , des camelots
d'Angoura luftrez & tabifez plus
beaux quela moire. La piece vaut
40.0u $o.piaftres, & celle des rouges
teints en cochenille va juíqu'à 6o. |
bien qu'il n'y ait à chaque piece que .
pour deux Veftes à la Türque. On y :
charge aufli du tabac & de la fcam-
monée,qui eft le fuc d’une plante qui ι
croit aux environs de Smyrne , & M
dont nous nous fervons dans la Me-
decine. |
Je recherchay particulierement à —
Smyrne des medailles antiques, pour |
apprendre quelques fingularitez du
pays. Monfieur Falkner marchand
Anglois curieux & fçavant m'en fit ἢ
voir de fort belles , prefque toutes
des Villes d’alentour de l'Ionie, de la
Carie & de la Lydie, & m'en fit pre-. |
fent de quelques-unes.Il m'en montra
entr'autres une qui m'apprit l'origi- -
ne du nom de Phocée, à qui Marfeil-
le doit fa naiffance. C'eft une Ville #
qui |l
e des fept Eclifes. 313
qui n'eft éloignée de Smyrne que de
vingt milles, & méme il y en a deux
voifines l'une de l'autre qui portent
le nom de Foja vecchia,& Foja nova.
La vieille étoit la fameufe ville de
Phocée , & n'eft prefentement qu'un
miferable village. Elle tiroit appa-
| remment fon nom du mot de : boca,
qui fignifie un veau marin, parce
qul Ἢ pêche prés de là quantité de
ce poiffon,& méme dans tout lc gol-
fe de Smyrne. Le medaillon dont je
viens de parler de l'Empercur Phi-
lippe femble le confirmer par fon fe-
vers , où il y a un chien qui eft aux
prifes avec un de ces Phocas , & le
mot £QKAIEON à l'entour , qui
veut dire que c’eft une m:daille des
Phoceens. L'Embleme eft difficile à
Jenétrer , car pourquoy joindre un
chien avec un poiffon , fi ce n'eft
peut-être pour donner à entendre,
que leur puiffance fur terre étoit éga-
€ à leurs forces maritimes ; ou que
eur fidelité à l'Empire Romain , &
eur vigilance,dont le chien eft l'em-
sleme,difpofoient leur Ville fignifiée
"at ce poiffon;à tous lcs devoirs que
Oo
314 Voyage du Levant,
demandoit une fi douce domination.
Mais à dire vray,ces fortes d'enigmes
-. font des nez de cire qu'on peut tour-
* ner de quelque cote qu'on veut, ὃς il
me fuffit d'avoir fait part aux curieux
de cette remarque, pour leur en laif- |
fer le jugement libre.
Continuant de m'informer par
tout de ces fortes de curiofitez , jen M
achetay de differentes perfonnes af- 9
fez avantageufement pour payer une 3
partie des frais de mon voyage; car M
à mon retour à Venife;j'y rencontray M
Monfieur Patin , qui ne me quitta ἢ
point que je ne luy en euffe vendu ἢ
affez confiderablement , ne luy pou- ἢ
vant tien rcfufer, comme à celuy qui
a été mon maitre en matiere d’anti=
quitez , lorfque j'érois à Strasbourg M
avec luy. J'en accommoday les Ca- 3
binets de quelques autres curieux des
celles que j'avois doubles, & il m'en
refta encore une centaine des plus]
belles que je voulois au moins porter ἢ
en France. Je ne defavoie point ce
commerce , dont les honnêtes gens#l.
ne font point difficulté de fe mêler, E
de méme qu'un Gentilhomme ne fait
Οὐ des fept Eglifes. 315
pas de Ícrupule de troquer ou de ven-
dre un cheval. C’eft par le grand
nombre de medailles qui paffent par
les mains qu'on fe peut rendre habi-
le dans cette Science;& il eft prefque
impoffible de le devenir autrement.
Nous ne nous ennuyâmes point à
Smyrne. C'eft une Ville de bonne
compagnie , & de bonne chere , plus
qu'aucune de tout le Levant. Il y a
tout autour tres-bonne chafle d'ex-
ccllent gibier,& entr'autres de Fran-
colins , qui valent mieux que des
perdrix. Cette Ville eft. bien peu-
plée, & l'on tient qu'il y a plus de
:30.mille Turcs,douze ou quinze mil-
le Iuifs , & neuf ou dix mille Grecs
qui n'y ont que deux Eglifes. Les
Chrétiens y fouffrirent de grandes
erfecntions dans les premiers fie-
cles. S.Polycarpe y fut martyrifé, ὃς
e Pafteur étant frapé;l'on n'épargna
“pas le troupeau. Mais Dieu les a
maintenus, comme il leur avoit pro-
nis dans l'Apocalypfe. Ne eraignez.
ien dit l'Efprit aux Fideles de Smyr-
1e: le diable dans peu de temps mettra
uelques-uns de ur | prifon,afin que
4
316 — Voyage du Levant,
vous foyex éprouvez , (δ᾽ vous ferex, af-
füigex pendant dix jours ; mais foyez fi-
deles jufques à la mort, qj je vous don-
neray la couronne de vie. ü
Nous n'avions garde de demevrer
un mois à Smyrne , fans aller voir -
Epbefe qui n'en eft éloignée que d'u-
ne journée & demi. Nous primes un |
Trucheman Armenien pour y venir.
avec nous, & nous fümes coucher à:
quatre lieuës de Smyrne, à un villa- τ
ce appellé Zzeaaci ; chez un Ianif- ;
faire qui connoifloit les Anglois » CN
avoit accoütumé de les mener àj
Ephefe. Nous luy proposimes dej
venir avec nous , & d'abord il en fit?
difficulté, parce qu'il y avoit des vo- ἢ
leurs en campagne , & il nous dit ἢ
qu'ils étoient au nombre de dix-huit jJ,
cavaliers Arabes. Il s'accorda ncan-],
inoins de nous accompagner, fi nousj.
voulions quiter le chemin ordinaire
qui eft dans les rochers du Mont-]
, Mimas ,. où il y a un paflige dans le
roc,que les bonnes gens de ces quar-j
tiers-Jà difent que S.Paul coupa aveel},
/ / . /
- fon épée. L'endroit étant favorablelk
aux voleurs, il ous reprefenta qu'il]
D 2 e des [ρὲ Eclifes.… 317
| étoit bien plus feur de paffer par la
| plaine, quoyque le chemin foit plus
long ; parce qu'au moins nous au-
rions l'avantage de les voir venir de
loin,& de n’eftre pas furpris par der-
iriere. Ayant donc confenti à ce qu'il
voulut , & profitant de l'avis qu'il
inous donnoit , nous partimes une
/heure ou deux avant jour. Nous paf-
'sàmes de grandes plaines; & la petite
riviere Halis , qui alloit autrefois à
Colophon. Nous n'y fentimes point
une fraicheur fi extraordinaire que
les anciens Naturaliftes le veulent
erfuader. Sur les dix heures du ma-
in nous vimes à droite & à gauche
les ruines d'un ancien Aqueduc qui
traverfoit nôtre chemin,& alloit vers
un village appellé Tozrbalé;qui don-
e quelques marques d'avoir été an-
ciennement une place plus confidera-
;le qu'elle n'eft prefentement, & qui
€
7
“τοῖς peut être la Ville appellée 24e-.
ropolis, dont il femble que le nom de
"ourbalé foit venu, fi ce n'eft plutôt
"endroit dont nous parlerons bien-
ôt. Enfuite nous trouvàmes durant:
ine heute un grand chemin pavé de:
O 35
318 — Voyage du Levant,
quartiers de pierre en plufieurs en-
droits. C'étoit apparemment le che-
min militaire qui alloit de Smyrne à
Ephefe, & nous jugeámes par là que
la Ville de Metropolis n'en devoit pas
être loin, puifque nous étions à moi-
tié chemin de ces deux Villes,mais un.
peu plus prés d’Ephefe,côme Strabon:
remarque qu'elle étoit fituée.Cepen- 2
dant il n’y a plus de lieu qui porte ce
nom,& nôtre Ianiífaire, ni nôtre Ar-M
menien ne nous en fcórent dire au-
cune nouvelle.L'heure du diner s'ap- 2
prochant , nous ne voulümes pas.
manger à la Turque , c'eft-à-dire en!
marchant, comme ils font lors qu’ils’
font en voyage , ne s'arrétans point M
depuis le matin jufqu’à la couchée : -
mais nous mimes pied-à-terre , & |
étalàmes nos provifions foüs un!
grand Terebinthe prés d’un Cime-
tiere , où nous fümes aprés le repas,
chercher parmi les pierres, fi nous
trouverions quelque chofe digne de:
nôtre curiofité. Nous y vimes quan-
tité de pieces de colonnes & de mar- 7.
bres antiques, & un entr'autres,on il}
y avoit encore quelque refte d'infcri-
οὐ des [ept Eglifes. 119
ption. Bien qu'elle ne nous apprit
que le nom de celuy pour qui elle
avoit été faite, elle nous ue ον au
moins dans la penfée que c'étoit la
veritable fituation de Metropolis;par
le grand nombre de mafures & de de-
bris que l'on voit autour ; & nous
trouvàmes enfuite dans le champ
proche de l'arbre fous lequel. nous
avions mangé, deux ou trois voütes
foûs terre, & quelques autres ruines.
Il ne nous en falloit pas davantage
pour nous perfuader la chofe ; & nó-
tre Armenien s'informant de ce que
nous cherchions,nous luy dimes que
nous voulions juftifier s'il n'y avoit
pas eu autrefois une villeen ce lieu-
là. Il nous avoüa qu'en effet ceux du
| village de Cabagea à un mille del'en-
| droit où nous étions, affuroient qu'il
y avoit eu là une Ville, & que méme
le mot de Cabagea fignifioit en Turc
une grande Ville, quoyque ce Villa-
ὃς n'ait que quinze ou vingt mal=
ons, ayant pü garder le nom de Vil-
le, pour être voifin des ruines de cel-
le-cy. Il n'y a peut-être pas méme
fort long-tems qu'elle eft détruire,
O 4
320 γε du Levant,
puifqul y a encore aux environs -
quatre ou cinq grands Cimctieres
Turcs, qui témoignent que ces quar-
ticrs-là n'ont pas été fi depeuplez aux
fiecles precedens qu'ils le font pre-
fentement ; car nous ne rencontrá-
mes pas jufqu'à Ephefe une feule
maifon dans le grand chemin. Cette
Ville étoit prefque au pied du mont
Mimas , ayant une tres-belle vàe fur
la piaine , & le Caiffre deux ou trois
milles plus avant. Nous commengca-
mes à voir cette riviere deux heures
avant que d'arriver à Ephefe ; mais
auparavant nous apperceümes fix ca-
valiers , qui venoient du côté de la
montagne , & marchoient à travers
champ. Nous nous tinmes fur nos |
gardes à cette vüc,nous doutant bien «
que c'étoient des voleurs. Dés qu'ils
nous eurent découverts , ils s'arréte-
rent dans le chemin ; mais nous fans
faire mine de les craindre, nous allá-
mes nôtre pas ordinaire , tenant la
main fur nos carabines. Nôtre Ianif-
faire paffant le premier , ils luy de-
manderent qui nous étions , & où
nous allions. Luy voyant qu'il y
τς € des (ρὲ Eglifes. .— 321
avoit du danger de nous declarer des
Francs,que l'on croit toájours en ces
pays-là chargez d'or & d'argent, ré-
pondit prudemment que nous étions
de fes amis,& que nous allions nous
promener à Ephefe. Ainfi aprés nous
avoir confiderez un moment , &
voyant que nous étions tous bien ar-
mez, à lareferve de nótre Armenien
qui n'avoit que fon fabre; comme ils
n'avoient pas tous des armes à feu;
ils crürent qu'il ne feroit pas bon fe
jouerà nous , & que nous ne nous
laifferions pas fi aifement dépoüiller
que les pauvres Grecs du pays qu'ils
venoient de piller aux environs. Ils
nous quitterent donc ; & s'il en eut
fallu venir aux mains;nótre Ianiffai-
re fe feroit fans doute bien batu; car -
d'ordinaire ces gens-là ne font pas
fourbes , & l'on peut fe fier à eux
quand on les a pris pour guides. Il
avoir deux où trois piftolers à la
ceinture , & de plus il avoit toute la
- mine d’être brave. Celuy de ces vo-
, leurs qui paroiffoit être le chef, étoic
un Arabe de ceux qui courent d'un
pays à l'autre , & n'ont d'autre pro-
Om
322 Voyage du Levant,
feffion que de brigand. Quelqu'un
nous dit aprés ; que le pere de notre
Janiffaire avoit autrefois été de ce —
nombre , & qu'apparemment ils fe
connoiffoient, ce qui nous avoit fau-
vé de leurs mains. Quoy quil en
foit, Dieu nous en garentit, & il a un |
foin particulier des voyageurs qui fe :
confient en fa providence , puifque -
fouvent même les precautions que
nous prenons hümainement ne nous |
fervent qu'à nous precipiter dans les M
dangers; comme il arriva dans cette M
zencontre;ayant quitté le grand che- #
min , où nous croyions que ces vo- M
leurs fe trouveroient , plutôt qu'en .
l'autre que nous primes pour lesévi- |
ter. Duc óté de l'Afie il n'y a prefque 4
póint d'autres voleurs que des Ara-
bes ; & du côté de la Grece , ce font M
les Albanois qui courent les grands M
chemins. Pour ce qui eft des Turcs, M
on en trouve tres-peu qui faffent ce M
métier-là , n'y ayant rien que leur !
Loy recommande tant que la chari-
té, & cela eft peut-être canfe en par-
tie, qu'ils ne E portent pas au vol&.
au brigandage. A quoy il faut ajoà-
c des fept Eolifes, 323
cer qu'ils ne font pas miferables
comme les Albanois & les Arabes,
que leur extreme indigence reduit
quelquefois à cette neccffité.
Nous fuivimes pendant une heure
& demie la petite riviere dont j'ay
parlé , laquelle fait de grands con-
tours, & va tellement en ferpentant,
que cela a porté la Valle . du Loir &
Monfieur de Monconis à la prendre
pour le Meandre. Mais c'eft une er-
reur, qui doit être corrigée. Ce que
j'y trouve de plaifant, c'eft que com-
me on la voit deux fois en allant à
Ephefe,& qu'à caufe des tours qu'el-
le fait, on la perd de vûe , lorfqu’on
fuit le grand chemin , ὃς qu'eníuite
on la paffe fur un Pont , quelques-
uns ont οἵ avoir và deux rivieres
differentes , appellant la premiere le
Meandre, &lautre le Caïftre, Mais
il eft certain qu'iln’y a qu'une riviere
| dans cette plaine;que le Meandre eft
à une journée & demi de là, & qu'il
| fe décharge dans la mer proche des
ruines de Milet ; Que celle-cy enfin
eft le Caïftre, comme Strabon & les
autres: Geographes anciens la nom-
EPHE-
SE.
- femblables à Smyrne , qui me peu-
324 Voyage du Levant,
ment ; & pour plus ar ple confirma-
tion de cela, on trouv des medailles
de Valerian,de Gallien & de Saloni-
nus avec ces mots au reyers ὁ E Φ E-
ΣΙΩΝ KAYZLIPOr,;& la figure
qui repréfente cette riviere de Kaÿ-
f/ros,que les Ephefiens mettoient fur
leurs monnoyes. T'en trouvay deux
vent fervir de garant de ce que j'a-
vance, Les Turcs donnent au Cay-
ftre deux ou trois noms differens :.
Carajon, c eft-3- dire Eau noire; Cour=
chouk- Mindre,& Minderftare, petit
Meandre ,ou Meandre noir, à caufe
de la reffemblance qu'il a avec le ve-
ritable Meandre , qu'ils appellent
fimplement Mindre,ou Bojeuc- Min- |
dre ,.le grand Meandre.. Au refte le
Cayftre vient des montagnes de Ly-
die,'& coule dans la plaine d'Ephefe,
paffant à un mille de cette Ville vers
le Couchant. |
Nous atrivàmes deux heures avant
lanuit à Ephefe , que les Turcs ap-
pellent prefentement Ajafalone. Ἐς
ne crois pas qu'il y ait de Ville ac
monde qui ait de fi grands ὃς def
'
tie
.& des fept Eclifés. 3:7
triftes reftes de fon ancienne fplen-
deur. On ne voit par tout que des
monceaux de marbre , des murailles
renveríées, des colonnes , des chapi-
teaux & des pieces de ftarué entaf-
{ées les unes fur les autres, avec des
fragmens d'infcriptions qu'on y de-
couvre en divers endroits ; & c'cft
proprement d'Ephefe qu'on pourroit
dire que ce n’eft plus que le cadavre
d'une Ville, felon la penfée de Cice-
ron en parlant de quelques Villes de
Grece. La Fortereffe qui eft fur une
eminence , eft apparemment un ou-
vrage des Empereurs. Grecs. Sur la
porte qui eff à l'Orient il y a trois
bas reliefs, qui ont été tirez de quel-
que ancien monument. Celuy du mi-
lieu eft Romain , & mieux fait que
les autres. Quelques-uns fe font f-
gurez qu'il reprefentoit un martyre
de Chrétiens , & à caufe de cela ont
appellé ce portail, la Porte: dela per-
fecution, D'autres fe perfuadent plu-
tót qu'il reprefente la deftru&ion de
Troye; ἃς He&or tire par le chariot
-d'Achille. Mais il vaut mieux laiffer
a chofe indecifé, jufqu’à ce qu'on en
puifle avoir un deffein , où en confi-
326 Voyage du Levant,
derant bien chaque figure, on pour-
roit juger de la chofe plus mes
ment ; ce qui feroit affez mal-aifé à
obtenir des Turcs , à la porte d'une
Fortereffe. Dans la muraille fe voit
enclavé par le dehors un autre bas
relief d'une téte avec un ferpent d'un
côté & un arc de l'autre, ce qui re-
preséte cette Divinité que les Payens
appelloient Proferpine dans les En-
fers, qui eft marquée par le Serpent,
la Lune dans le Ciel , qui eft expri-
mée par cette téte , & Diane fur la
terre , qui eft defignée par. cét arc.
C'eft ces trois Divinitez qui felon
leur Theologie n'en faifoient qu'une,
qu'ils nommoient auffi Hecare trifor-
mis , Hecate à trois vifages, & qu'on
pourroit dire avec beaucoup d'appa-
rence avoir été une ombre ou un
crayon de la tres-fainte Trinité.
Dans la place du Bazar, proche de
la maifon , où l'on boit le café, il y a
un ancien tombeau de marbre blanc,
avec une infcription à demi effacée,
& prés delà un chapiteau de méme
étofe, qui a été creufé par les Chré-
tiens pour fervir de Fonds de Ba-
preme, |
G des [ept Egliles. 327
On voit en arrivant fur la gauche
du grand chemin, des Aqueducs, qui
portoient autrefois l'eau dans la Vil-
le. Il en refte encore plufieurs arca-
des fur pied , & ils étoient con-
duits de fort loin. Il y a à cinq ou
fix mille d'Ephefe une file de ces ar-
cades fur pied , & l'on y lit une in-
fcription à l'honneur de la Diane
d'Epheíe, & des Empereurs Augufte
& libere. C'eft fur le chemin d’E-
phefe à Scala nova,
Le lendemain nous montámes à
| cheval pour aller voir les antiquitez
| qui font au pied de la montagne du
| côté du Temple de Diane. Nous en-
trâmes d'abord dans une grote foüs
le roc , que l’on tient être celle des
fepc Dormans,qui fuyant la perfecu-
tion de Diocletian, s'y endormirent,
& ne s'évcillerent que deux cens ans.
aprés , ne croyant pas à leur reveil
| avoir dormi plus d'une nuit, Vous
pouvez juger quelle fut leur furpri-
fe , lorfque retournant à Ephefe , ils
-ne reconnoifloient pius niles períon-
nes, ni la monnoye,& n'entendoient
prefque plus le langage , tout étant
alors change, & tout le peuple de-
328 Voyage du Levant,
venu Chrètien. De peur qu'un fi
long fommeil ne nous y prit, nous ert
fortimes promtement, La pieté des
anciens Chrétiens en avoit fait une
Eglife ; & le roc étoit taillé en demi-
cercle par devant,ce qui tient lieu de
portique. Plus avant nous vimes ce
qu'on appelle le Baptittere de Sean; |
qui eft un grand vale peu profond.
d'un beau marbre jafpé ; d'environ |
quinze pieds de diametre,dans lequel
il n'y a point d'apparence , comme
plufieurs l'a(furent , que S.Iean l'E-
vangelifte ait baptifé , les fonctions
du Chriftianifme ne fe faifant pas -
alors avec tant d’éclar,comme on les
fait aujourd'huy.
Prés de là il y a plufieurs colonnes M
moitié debout , moitié couchées par
terre , qui font apparemment auffi 2
bien que ce vafe , les ruines de quel
q q
que temple Payen.
Nous vimes enfuite un lieu affez
approchant du Cirque Romain ; où
du Stadium des Grecs,ou fe faifoient
les courfes & les autres jeux qui P
- étoient en ufage parmi les Payens ;
& tout joignanr , un portail de mar- |
bre, qui l'étoit peut-être de quelque
a is lue
@ des [cpt Eglifes. 119
| Eglife. Il y a des infcriptions, & un
| bas relief qu'on a enclavez dedans
fans ordre, & fans deflein. Nous en
Copiàmes ce que nous pümes; & al-
| lámes enfuite chercher les mafures
du Theatre d'Ephefe, dont il ne refte
‘prefque rien. Il étoit un peu plus
haut que le pied dela colline,& avoit
la vàe fur le Temple de Diane; ce qui
| étoit propre à émouvoir Ia fedition
des Orfevres, qui faifoient de petits
Temples d'argent,voyant que S.Paul
préchoit la deftruétion des Temples
, des Idoles , & qu'il leur reprefentoit
| fortement que les ouvrages de la
{ main des hommes n'étoient point des
Dieux. La νῦξ de ce Temple fi fa-
| meux dans toute l’Afie leut infpiroit
Ja hardieffe de s'écrier pendant deux
heures : Grande eff la Diane des Ephe-
T fiers.
1 Sur la cime d'une colline voifine
4 eft un refte de Tour quarrée , qu'on
appelle la prifon de S.Paul,d'oà nous
| decouvrimes les merveilleux detours
du Cayftre, & nous en tirâmes un
crayon pour les conferer avec ceux
du. Meandre , que M.le Docteur Pi-
crelin nous avoit fournis,
* -
CSS
C
| Váz du Meandre proche de Milet. 331
VA.
PP
v,
F PA
A ^
(
332 . Voyage du Levant,
Plufeurs Autheurs ont.parlé du
Meandre, Dio Prufæus parlant de fes
contours, dit qu’il en faiten toute fa
courfe jufqu’à fix cent. Quelques
autres remarquent. qu'il fait des let-
tres Greques dans fon cours, comme
eff-Givement on y peut aifément re-
marquer dans le crayon que je vous
donne le ££, le ela, ὃς le. Mais per-
fonne n'a fait une fi belle defcription
du Meandte qu'Ovide dans fes Me-
tamorphofes. |
Non fecus ac liquidis Phrygius Maan-
der in undis
Ludis @ ambigno laepfa vefimitque
fuitque ,7 ΟΣ ἐρ’
Occurrénfque fibi venturas adfpicit
undas :
Et uunc ad fontes nunc ad mare verfus Ὁ
apertum
Incertas exercet aquas, &c.
In rare deducit fe[fas erroribus undas,
Pour ce qui cft du Temple de Dia-
ne , il étoit au pied de la montagne
qui eft à main-gauche de la plaine
d'Ephefe en venant de Smyrne, dans
un terroir humide & marécageux, ce
qui fut caufe qu'on dépenfa plus aux
Q des fept Felifes. 11.
fondemens , qu'au refte du Temple:
car on ayoit mis du charbon & de la
laine entre les materiaux ordinaires,
- comme Pline l'affure au 56.livre de
fon Hiftoire naturelle. Nous entrá-
mes dans ces fondemens par un petit
efcalier pratiqué dans un pan de mu-
. taille qui nous conduifit fous terre.
| Nous avions chacun une bougie à la
main , & un peloton de fifceile , de
peur de nous égarer dans ce labyrin-
| the ; car ς᾽ εἴ le nom qu'on donne à
ce lieu-là ; & ces voûtes ont en effet
quelque rapport à un labyrinthe,
étant fort longues & entrecoupées
d'autres voûtes , où l’on auroit de la
peine à retrouver la fortie fans cefe-
cours, Comme elles font fort baffes,
nous paísàmes par tour , en partie à
| genoux , en partie à quatre pieds ,
| croyant trouvcr quelque chofe digne
| de nôtre curiofitéjmais nous ne trou-
| vàmes que des chauvefouris qui fail-
lirenc à nous crever les yeux. Je crûs
| que cela pouvoit bien avoir fervi de
citerne pour les ufages du Temple,
| & méme nous remarquàmes deux de
| ces voütes plus étroites que les au-
334 Voyage du Levant, —
tres , qui pouvoient être des Aque-
ducs qui y portoient l'eau , & meme
i| y en couloit encore affez. Nous
voulümes fuivre une de ces voütes
jufqu’au fond, mais nous fümescon- :
traints de nous enreveniraprésavoir |
avancé environ cent pas , à caufe de
la boüe , dont nous cümces de la pei-
ne à nous degager. :
Etant fortis de ce lieu foüterrain,
nous confiderámes fi parmi ces pans
de murailles & les mafures qui re-
ftent de ce fameux Temple , nous en
poutrions comprendre le plan. Au-
tant que j'en pus juger, je crois qu'il 4
étoit quarré,& que la longueur l’em- .
portoit le double fur la largeur. A ||
voir la place, & les medailles qui re- ὦ
prefentent ce Temple,jene puis croi- 4}
re qu'il ait été d’une autre figure. A
quoy je dois ajoûrer ce que j'ay re-
marqué dans Pline , que ce Temple ἢ
avoit 425. pieds de long , & 220. de !
large. La face ou l'entrée étoit tour- |
née du côté où eft maintenant le
Château & le Village d'Ephefe. Les |
murailles font de grandes pierres, & M
dc la brique en cuclques endroits.
e» des [ept Eclifes. — 35;
On y remarque plu fieurs trous difpo-
fez a droite ligne , ce qui me fit ju-
ger que ce Temple étoit tout revétu
de plaques de bronze ou d'autre me-
tal , cramponées dans la pierre, Il y
a parmi ces debris cinq ou fix colon-
nes de marbre d’une feule piece cha-
cune, qui ont 40.pieds de long &
fept de diametre , ce qui femble ré-
pondre aux proportions de l’ordre
Dorique, Pline dit neanmoins qu'el-
les avoient 6o.pieds de haut, & quil
y en avoit juíqu'à 127. Ce Temple
étoit dans fes commencemens affez
mediocre, Enfuite on le bátit plus
rand, & on le compta pour une des
licor merveilles du monde , ce qui
|pouffa un certain Heraroftrate dy
mettre le feu, pour faire parler de
luy dans tous les fiecies avenir. Les
Grecs pour excufcr la negligence de
leur Diane qui ne detourna pas cét
incendie, difent qu’elle étoit ce jour-.
là occupée à fervir de Sage-femme à
Olympia, qui accoucha d'Alexandre
le Grand. Ce grand Prince auffi gc-
nereux que vaillant fe voyant au plus
haut point de fa fortune , s'offrit de
355. Voyage du Levazt ,
le faire rebárir à fes dépens , pourvü
qu'on y mit fon nom fur le frontifpi-
ce : mais les Ephefiens trop Ícrupu-
leux s’en defirent galammeñr,& d'u-
ne maniere dont il ne pouvoit pas fe
choquer,luy reprefentát qu'il n'étoit
pas jufte qu'un Dieu comme luy de-
ἀϊᾶτ un Temple à une autre Divinité.
Au refte il n’y a plus perfonne à #
Ephefe , capable d'entendre les Epi- M
tres de S.Paul , qu’il leur a autrefois ἢ
écrites. Il n'y a aucun Chréden dans ἢ
le Village , & leur principale Eglife 1
dediée à S. lean a été convertie en ἢ
Mofquée,depuis que les Turcs fe font
rendus maîtres du pays. Celuy qui:
en avoit les clefs eut bien dela peine!
à nous y laiffer entrer ; carcn cette:
matiere-là,l’on eft plus fcrupuleux en. ἢ
Natolie qu'à Conftantinople. Ils di-
fent que nous polluons leurs Mof-
uées en y entrant; mais on a trou-
vé le fecret de leur lever ce fcrupule!
avec de l'argent, Ce Turc vouloit:
que Monfieur Vvheler & moy luy M
donnaffions chacun une piaftre ; car ἢ
ils s'imaginent que les piaftres & les 3
ducats ne coütent rien aux Francs,&
qu'ils 31
G des (ρὲ Ealifes. 337
qu'ils en font tous chargez. Notre
Armenien fit en forte qu'il fe con-
renta d'une demi-piaftre pour Mon-
fieur Vvheler , fans rien prendre de
moy ,l'ayant affuré que je n'étois que
lEcrivain de ce Gentilhomme , ce
qu'il devoit croire , puifqu'il me
voyoit la plume & le papier à la
main. Nous approuvàmes fon ad-
dreffe à épargner nôtre bourfe, ὃς
nous en rimes enfemble, ne pouvant
luy en fgavoir mauvais gré. Il y a
dans cette Mofquée quatre grardes
colonnes de marbre granite , & non
pas de pierre fondue, comme quet-
ues-uns de nos voyageurs l’affurenc
dans leurs relations.Ie ne fçais com-
nent on eft entété. de cette forte de
picrre imaginaire , comme fi les car-
ieres n'avoient pas d’aflez grandes
reines pour en tirer de ces grandes
lonnes d'une feule piece. On cft
1ifatué en plufteurs endroits,& par-
iculierement à Lyon de ces preten-
ués pierres fondués, dont l'on veut
lue foient compofées quatre colon-
tes de l'Eglife d'Enay. Je me fuis
tonné que Monficur dc Monconis,
P
333 Voyage du Levant,
tres- habile homme d’ailleurs ait au-
torifé cette erreur dans fes Memoi-
res. On fuppofe que c'eft un fecret
perdu ; mais il faudroit montrer au-
paravant,qu'il a été trouvé. Ie vous
donneray encore, s'il vous plait , là
deffus , une remarque. Il y avoit à
Geneve unecroix de pierre extreme-
ment haute , au niveau de la façade |
de S.Pierre. On tient qu'elle étoit
toute d'une piece de cette pierre fon-
duëé,& qu'elle fut abbatue d'un coup |
de foudre. Jay fouvent confideré les |
pieces de cette croix , & je tombe!
dans le fentiment d'un de mes amis, |
qui les a aufli obfervées exactement. |
Il tient donc qu’elle étoit compofée ]
de petites pierres rondes enchaffées.
dans un cimét tres-fort jetté au mou-.
le; ce qui fait enfuite un corpsauffi
dur que s'il étoit tout d'une pierre.
En effet il eft certain que le ciment].
dont les Anciens fe fervoient, étoit)
d'une extreme dureté ; ce qu'on re |
connoit par les demolitions anti- ἢ
ques,qui font prefque impenetrables f,
au fer & au feu. 4
Mais revenons à nôtre Mofquée,!
C des [ept Edlifes. 339
‘qui n'a rien autre chofe de confide-
rable que ces colonnes,qui font d’or.
dre Compofite; & à la cour qui eft δὰ
devant , que quelques fragmens de
chapiteaux & de colonnes , qui de
méme que preíque tous les materiaux
| de la Mofquée,font d'un marbre tres-
beau & tres-folide.
| Nous laifsàmes enfin Ephefe avec
une ferieufe confideration du juge-
[ment de Dieu fur cette Ville,dequoy
Hesus-CHrisT lavoit menacée
par ces paroles de l'Apocalypfe:Soz-
]uenez-vow de létat dont vous etes de-
be , faites-en penitence , @ rentrez
]dans la pratique de vos premieres œu-
Ures. Que fi «ous y manques , je vien-
]ray bien-t0t ἃ vous , € j'oteray votre
cpcbandelier de fon lieu , fi vous ne vous
"epentez..
. Comme nous fümes occupez tout
Le matin à voir ces curiofitez , nous
ie pámes partir que fur le midy,& la
uit nous furprenant avant que de
euvoir arriver à Iamovaci, où nous
ivions pris nôtre Ianiffaire,nous per- -
limes le chemin dans la plainc;fans
€ pouvoir retrouver , quoyque nous
PU
340 . Voyage du Levant,
euffions allumé du feu pour le cher-
cher. Nous nous étions bien doutez
qu'il nous faudroit marcher deux
heures de nuit, mais nôtre Ianiffaire
fe vantoit de fcavoir bien le chemin,
& qu'il étoit impoflible qu'il le man-
quát. Nous étions méme bien aifes
de profiter de l’obfcurité,pour éviter!
Ja rencontre des voleurs, qui fontaf-:
fez frequens. en ces quartiers - à.
Ainfi nous fümes contraints de paíf-
fer la nuit en pleine campagne , fans]
trouver le moindre abry , & ayant,
toute la nuit une pluye froide fur le]
dos. Nous primes cette diferace avec]
patience, & ayant mis le feu à quel=
ques broffailles , nous nous rechaus
fámes un peu au dedans avec un
bouteille de vin de Smyrne qui nous
cftoit. Nous entendimes affez long-
tems hurler autour de nous de cet
animaux appellez Zachalia , qui ont
Ja voix femblable à celle d'un hontl!
me, & ayant un peu fommeillé dans
nos capots , nous nous levàmes à]
pointe du jour pour nous aller repos
fer un peu plus à nôtre aife chez nà
tre Iauiffaire,qui nous donna un am
€ des {ept Eclifes. 341
ple dejeuner. Nous avions admiré le
{oir precedent fa patience & fa mo-
deration , cat il ne profera jamais le
moindre mot de colere fur nôtre £i-
cheufe avanture,comme des gens de
fa forte feroient parmi nous, & quoy
| que fa foif dàt égaler la nôtre , il ne
|| voulut jamais boire du vin,toute au-
| tre boiffon nous manquant alors. Ie
| luy reprefentay inutilement que la
neceffité n'avoit point de loy , qu'il
Jpourroit fe rendre malade , ἃς que
ἡ comme Médecin de profeffion je luy
] confcillois de prendre un peu de vin
] pour fe foütenirle cœur.ll me répon-
| dit en fon langage, Hekim Beuum bir
D Allah, c'eft-à-dire ; Diez fera mon
LMedecin, & il n'y eut jamais moyen
de vaincre fon opiniátreté dans cette
rencontre. Vne fi ferme refolution
Ide ne point boire de vin ne venoit
toutefois pas tant du fcrupule de pe-
cher contre la Loy , qu«:d'un. acci-
dent qui luy étoit arrivé depuis peu.
Il avoit toûjours fa cave fournie du
eilleur vin du pays , & commeil
éroit un jour en débauche avec trois
urcs de fes amis;il les mena-au pied
P^
342 Voyage du Levant,
des tonneaux pour faire choix de ce-
luy qu'ils voudroient. Ils y burent fi
bien,queles fumées du vin leur étant
montées au cerveau , ils s'entretin-
tent d'une fille bien faite deleur Vil-
lage; qu'ils concerterent d'aller voir; |
ce qu'ils firent auffi-tót,entrant dans
la maifon malgré toute la refiftance |
que l'on leur fix. Cette fille les regót |
avec plus de fierté qu'ils ne fe lé- ]
toient imaginez,& voyantqu'ils n'a- |
vangoient rien par la douceur , ils |
voulurent en venir à la force. Mais]
ils trouverétà qui parler ; car la fille]
s'étant fifie d'un poignard , elle ει}
coucha un d'abord fur le carreau, ἃς ἢ
les autres épouvantez de la mort de]
leur camarade fe fauverent prompte- |
ment. Cependant elle ne laiffa pas |
de porter le lendemain fes plaintes à]
la juftice. On fit venir ceux qui a-
voient voulu ufer de violence contre]
elle , & comme le Cady eut appris]
qu'ils étoieñt yvres lorfqu'ils en vin
rent à cét excés,il fe contenta de leur"
faire donner quelques baftonnades,!
& de les condamner chacun à uneïl
amende. Nôtre Laniffare du depiti
]
[
@ des fept Eclifes. 343
qu'il eut de la fottife qu'il avoit fai-
te, & du châtiment qui l'avoit fui-
vi, fut auffi-tót à fa cave , & pour
laver l'affront que le vin luy avoit
caufé , enfonça tous fes ronneaux &
épancha tout fon vin,faifant un vœu
| particulier de n'en jamais boire.Auf-
fi les Turcs ne fgauroient prefque
boire de vin, qu'ils n'en viennent
d'abord à l'excés & à la brutalité.
Etant de retour à Smyrne , nous
nous informàmes des autres Eglifes
de l’Apocalypfe que nous n'avions
pas vûés. Monfieur le Conful An-
glois & Monfieur le Doéteur Picre-
lin nous communiquerent les me-
|moires qu'ils en avoient, & les in-
fcriptions qu'ils y trouverent en un
| voyage qu'ils y avoient fait depuis
cinq ou fix ans.
PERGAME eft encore connue
par les Turcs & par les Grecs foûs le
nom de Pergamo.Cette Ville cft à 34,
| milles de Smyrne, & à 20.de Thya-
tire , affife au pied d'une montagne
qu'elle a au Notd , dans une belle
plaine fertile en grains, où paffentle
Juan ὃς le Cacus , qui fe déchar-
P'4
PER-
GAME,
344 Voytge du Levant,
ent dans la riviere d'Hermws. À
côté de la Ville palfe la petite rivie-
re , ou plutôt le ruiffeau rapide ap-
pellé anciennement Selinus,qui court
au Sad-Sud-eft,& fe va rendre dans
le Caicus. De l’autre coté du Seli-
nus il y a une belle Eolife qui portoit
le nom de Sainte Sophie, convertie
prefentement en Mofquée. Dans le
quartier Oriental de la Ville on voit
les ruines d'un Palais , qui étoit
peut-être la demeure des Roys du
pays ; car c'eft à Pergame que fai-
foient leur refidenceles Roys Eume-
nes & Attalus , dont il eft fouvent |
parlé dans l’hiftoire Romaine, De :
toutes les colonnes qui enrichifloiét |
cét edifice , il n'y en refte que cinq |
belles de marbre poli , hautes feule- |
ment de 21.pieds, & l'on en voit en-
core quelques-unes de l'autre cóté |
de la ruë. Vers la partie Meridionale
de la Ville, il y a aux deux côtez du |
grand chemin deux petites collines |
artificielles, fur lefquelles il y avoit :
deux petits Forts pour garder l'en- |
trée de la Ville, & au Levantil y en
avoit deux autres femblables. On!
e des [ρὲ Egliles. 345
voit prés de là un grand vafe de mar-
bre de vingt & un pieds de tour,gra-
vé d'un bas relief d'hommes à che-
val, fort bien travaillé. Le long de
la montagne vers le Sud-oueft fe
voyent les ruines d'un Aqueduc, qui
a encore fix arcades fur un ruiffeau;
& au Midy de ces arcadesil y en a
fix autres avec de grandes voûtes
que les Turcs appellent Kzffray. De
Fa en tirant encore plus vers le Sud
on trouve les ruines d’un théatre fur
le panchant de la colline,d'oà la vàé
eft tres- belle fur la plaine.
Les Chrétiens de Pergame fonten
pauvre état. Leur Eglife Cathedrale
de S.Iean qui eft à 'Orient;eft entie-
rement tuinée.Elle a $6.pas de long;
& 32.delarge. Les Turcs ont pris les
pieces des colonnes qui étoient à la
nef,pour mettre fur leurs tombeaux,
mais le corps du bâtiment n'étoit
que de brique. La Ville eft peuplée
| de deux ou trois mille Turcs ; mais il
n'y a que douze ou quinze familles
|miferables de Chrèriens Grecs qui
| cultivent la terre. El leur refte une
| -Eglife dediée à S. Theodore Evéque
Pg
LAODI-
CEE.
foit nomméc par les Turcs Nove-
346 Voyage du Levant ,
de Smyrne , fous le Diocefe duquel
ils font compris. Dieu les a encore
confervez , parceque felon le témoi- |
gnage de celuy qui parle dans l'Apo-
calypfe: /4s voient confervé fon nom,
οὐ n'avoient point renoncé la Foy , lors
méme qu'Antipas fon témoin fidele
avoit fouffert le martyre parmy eux.
LAODICEE eft appellée par les
Turcs du voifinage Eskshiffar , c'eft-
à-dire,vieuxChateauzaufli eft-ce une
Ville entierement rafée , & il n’y ἃ
prefentement qu'un Moulin fans au-
tre habitation. La Ville de Coloffe à |
qui S.Paul addr.ffe une Epitre n'en
eft éloignée que de 21.milles , & les
Grecs l'appcllét Chonos. Ferrari dans.
Íon Di&ionaire veut que Laodicée
s'appelle encore Laudichia,& qu'elle.
Lefche ajoûtant qu'elle jouit encore]
du titre d'Azchevéché. Mis il faut, ἢ
ou qu'il ait écrit fur de faux memoi.- |
res, ou que cette Ville ait achcvé de |
fe ruiner & de perdre fon nom de-.-
puis cc tems-là. El cft vray qu'il y en
a pluficurs qui fe font trompez de
prendre le Bourg de Laozik ;, proche: |
e des fept Eolifes. 147
d’Angoura pour Laodicée;à caufe de
la reffemblance de nom. Ce qui refte
de plus beau à Eskihiffar font quatre
theatres de marbre auffi polis & auf-
fi entiers que s'ils avoient été bâtis
depuis peu. Proche d'un de ces thea-
tre on lit une infcription Greque à
-Fhonneur de l'Empereur Tite-Vefpa-
fian. Elle a au Nord-eft la riviere
Lycus qui fe perd dans le Meandre,
ce qui la diftinguoit de quelques au-
tres Villes du même nom ; car on
l'appelloit Laodicée proche le Ly-
cus, Cette riviere eft la méme que
Tite-Live appelle Marfvas , du nom
du Satyre Marfyas qu' Apollon écor-
cha tout vif pour avoir eu la temeri-
té de luy difputer la gloire de bien
chanter. Quinte-Curfe nous donne
une defcription exa&e & tres-belle
de ce fleuve, & remarque que fa four-
ce eft au (ommet d’une montagne,
d’où il tombe fur un roc avec grand
À bruit,& que venant à s'épandre dans
la plaine , il arrofe les campagnes
À voilines , confervant fes eaux toû-
(jours claires fans les méler avec
| d'auzes, Et parce qu'il reffemble en
SARDES. -
548 Voyage du Levant,
couleur à ia mer quand elle eft cal-
me, les Poétes , dit cét Autheur, ont
pris de là occafion de feindre que les
Nymphes éprifes de fon amour fai-
foicnt leur demeure en ce rocher. Il:
ajoüte que jufques dans l'enceinte
des murailles de Celenes il garde fon
nom de Marfyas ; mais qu'au fortir- |
des ramparts,comme il s'enfle,& de- |
vient impetueux , il change de nom, :
& qu'on l'appelle Lycus.
On ne four ce qu'eft devenu l'E-.
glife Chrétienne, qui étoit autrefois |
à Laodicée,& la menace de celuy qui j
eft la Verité même ; n'a pas manqué 3
d'avoir fon effet. le/catm quelles font «
Vos œuvres, que vous n'êtes ui froid, ni |
chaud ; mais parceque vous. êtes tiedes 4
je fus prét de vous vomir de ma:
bouche. 1 |
SARDES appellee aujourd’huy #
Sardo eft au pied du fameux Mont- |
T molus, ayant au Nord une grande M
plaine arrofée de quantité de ruif-
(eaux,qui fortent en partie d'une col-
line voifine au Sud-eft-de la Ville, Sc
en partie du Tmolus. Le Pa&ole forrM
de la même montagne à l'Orient ; Sc
e des (ρὲ Ealifes. 340
perd fon nom dans l'Hermus qui paf-
| fe prés de Magnefie. Sardes.a été an-
ciennement le fiege du Roy Crefus,
le plus riche Prince de fon fiecle.
| Tout y étoit riche & fuperbe , mais
elle eft prefentement zeduite à un
pauvre Village qui n'a que de che-
| tives cabanes , mais où il y a pour-
| tant un grand Kan bâti à la ma-
| niere des autres Kans de Turquie,
|. & où les Voyageurs font cómodc-
mentlogez. C’eft le grand paffage
des Caravanes qui vont de Smyrne
à Alep & en Perfe. Elle n’eft pref-
| que habitée que de Bergers qui
| vont mener leurs troupeaux dans les
| beaux pâturages de la plaine voi-
| fine. On voit à l'Orient de la Ville
|
[αν
[9
«
[2
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σὺ
to
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RS]
—
€
e
--
[4]
c
r
c
-
d
e»
ca
d'une grande Eglife. Au Midy & au
Nord il y a aufli des ruines confide-
rables de quelque ancien Palais;mais
au fond ce ne font que des ruines;
Les Turcs y ont une Mofquée qui
étoit une Eglife de Chrêtiens , à la
porte de laquelle il y a plufieurs co-
lonnes de marbre poli. Il s’y trouve
quelques Chrétiens ; qui s'occupent
PHILA-
DELFE.
350 Voyage du Levant,
la plüpart au jardinage, ὃς qui n’ont
ni Prêtre , ni Egclife. Aufñile Fils de
Dieu dans la revelation de 5. Iean
reproche à ceux de Sardes, Qu'ils
avoient la reputatiou d'etre vivans 5 c
qu ils étoient morts. — Soyez, vigilans ,
ajoüte-t-il, c faites peniteuce ; car fi
vous ne veslleX , je viendray à vous
comme le larron, @ vous ne [çaureX à
quelle heure je viendray. |
PHILADELPHE n'eft qu'à 27.
milles de Sardes vers le Sud-eft , au
ied du méme Tmolus , d’où la vàé
eft tres belle fur la plaine.Les Grecs
luy confervent fon ancien nom,mais
les Turcs qui les broüillent tous ;
l'appellent A//4h-fcheyr , comme qui
diroit , /a Ville-de- Dieu, Lorfqu'ils
vinrent s'emparer du pays , les habi-
tans fe batirent & fe defendirent vi-
goureufement. Les Turcs pour leur
donner de la terreur s'aviferent de
faire un retranchement par une mu-
raille toute d'os de morts liez en-
femble avec dela chaux. Monfieur
le Conful Ricaud m'en fit voir une
piece qui étoit affez folide , & qu'il
avoit eu la curio(ué d'apporter du
d des fept Ealifes. — 351
lieu où il s'en trouve quelque refte,
Ils furent forcez de fe rendre , mais
ils firent leur Capitulation plus dou-
ce que leurs voifins. On leur laiffa
quatre Eglifes qu'ils ont encore, Pa-
nagia , S.George , S. Theodore & S.
Taxiarque , qui eft le méme que S.
Michel. Il y a dans Philadelphe fept
| ou huit mille habirans,entre lefquels.
| on peut conter deux mille Chrétiés ;
ce qui nous fait voir l’accomplifle-
ment merveilleux de la prophetie de
l'Apocalypfe : Je (ρα quelles font vos
œuvres. le riens la porte ouverte de.
vant vous , @ per[onne ne la peut fer-
mer, parce qu'encore que VONs ayez. peu
de force , vous avez neanmoins gardé
ma parole, n'avez point renoncé mor
nom. Parceque vous ave? gardé la pa-
tience qui vous efl ordonnée par ma pa-
role , je vous carderay auffi de l'heure
de la tentation qui viendra fur tout =
| mavers, pour éprouver ceux qui babi-
sent fur la terre. ι
Que pourroit-on fouhaiter de plus.
formel pour marquer la venue du
"Eurclcnnemi juré du Chriftianifme..
& qui femble n'avoir été envoyé que
352 Voyage du Levant ,
pour la punition de nos crimes , &
pour diftinguer les veritables fideles
d'avec les faux Chrétiens» Maisil ne
faut pas feulement parler des Turcs,
il faut parler en general de tous les
Mahometans , qui occupent plus de
la moitié de nótre grand Continent,
& font répandus non feulement dans
tout l'Empire Ottoman, mais encore
dans toute la Perfe & toute la Tar-
tarie , dans une partie des Indes , &
dans toutes les cótes de l'Afrique qui
regardent nôtre Europe. Quelle pro-
digieufe étendué de pays n'occupe
pas le feul Grand Seigneur? & πὲ
faut-il pas des crois mois entiers pour
traverfer fon Empire ? Combien de
Royaumes n'a pas affujeti /a Ville à
“ρει collines ,c qui domine fur les eaux?
Η n’y en a point au monde à qui ces
paroles fe puiffent mieux appliquer |
qu'à Conftantinople. Elle a fept col-
lines , fur chacune defquelles il y a.
une Mofquée Royale, où il fe pro-
fere tous les jours des blafphernes.
contre Izsus-Cun 15r. Et à prendre
méme la chofe àla lettre;elle domine
fur les eaux, érant la clef de Archi"
e des [ept Ealifes. 353
pel, de la Mer blanche , & du Pont-
Euxin. Je ne nie pas que cela ne fe
puifle auífi attribuer aux Empereurs
Romains , qui ont long-tems perfe-
cuté l'Eglife naiffante , jufqu'à ce
qu'elle eut furmonté toutes ces tra-
verfes, & que le diable fut enchaîné
pour mille ans. Ceterme expiré il eft
forti à la faveur des terribles armées
des Ottomans , qui depuis trois cens
ans , c'eft-à-dire , environ mille ans
aprés les derniers abois du Paganif-
me,s'acrurent prodigieufemét,& oc-
cuperent unegrande partie de l'Afie,
de l'Afrique & de l'Europe:car avant
ce tems-là la loy de Mahomet n'étoit
prefque pas connué dans l’Europe,ni
dans une grande partie de l’Afie.Leur
nombre , ajoüte l'Oracle de l'Apoca-
lypfe ch.zo. égalera celuy du fable de
la mer. le les vids fe répandre fiv la
terre, environner le camp des Saints,
€ la Ville cherie de Dieu. C'eft la
| Ville de Ierufalem , dont ils fe font
rendus maîtres depuis long-temps.
Voilà ce qui eft déja arrivé, voicy ce
qui refte , dont nous devons prier
Dieu d'acourcir le terme. Aus 1 def
354 Voyage du Levant, |
cendit du Ciel un feu envoyé de Dien
qui les devora , e$ le diable qui les fe-
duifoit , fut jetté dans l'étang de fen c£
de foufre, on la bete ci le faux Prophete
féront taurmenies jour @ nuit aux fie-
cles des fiecles. Y! y a apparence que
les anciens Prophetes des Iuifs n'ont
pas porté leurs regards juíqu'aux
evenemens de ces derniers fiecles.
Mais ne diroit-on pas neantmoins
qu'Habacuc a ME, 22 les Turcs
dans cette belle Prophetie touchant
les Chaidéens , dont ils font en par-
tie defcendus , & dont ils ont herité
les moeurs ? Le feray , dit VEfprit de !
Dieu par la bouche du Prophete, we |
œuvre de votre temps que vous ne croi |
vex point, quand on vous en fera le re- Ὁ
cit. Car voicy je n'en vais fufcirer les |
Chaldéens,qui font une N ation violen-
te C étourdie , qui marchera à travers
les pays pour pofféder les T abernacles
qui ne font pas a eux. Elle eff furieufe
Οὔ terrible. Toute [on autorité, ci tout |
fon gouvernement viendront d'elle-mé- *
me. Ses chevaux font plus legers que :
les Leopards, @ ont meilleure vie que |
des Lynx. Ses gens de cheval fe répans «
ἢ
e des fept Eali[es. — 385
dront ça c là , c fes cavaliers vien-
dront de loin, Ils voleront comme uae
Aigle qui fond fur quelque proye. Elle
ne*uiendra que pour commettre des vio-
lences, ils raviront tout comme nn vent
d'Orient, feront des prifonnievs come
me du [ablon. Elle fe moque des Roys,
C méprifeles Princes. Elle fé vit de
| toutes les Fortereffes,ci avec de fimples
terra[fes elle s’en rendra máitrefe, X
me femble qu'il ne fe peut rien de
plus expreffif pour depeindre lor-
gueil des Turcs & leur tyrannie, la
legereté de leurs chevaux, ὃς la faci-
lité qu'ils one de prendre des Places,
| Les Grecs qui gemiffent fous lcurs
fers , reconnoïtroient encore mieux
| cela que nous. Ils s'étonnent que les
Princes de l'Europe étant tous Chrè-
. tiens , n'uniffent enfemble leurs in-
| terefts & leurs forces contre l'enne-
| mi declaré du Chriftianifme, au lieu
de le laiffer avancer peu à peu fur
leurs frontieres. Il n’y a plus que la
largeur du Golfe de Venife entre la
Turquie & l'Italie , & tous les jours
ils viennent faire des efclaves dans
celle-cy. De tous les Princes de la
^N
3566 Voyage du Levañt,
Chrétienté , il n’y en a point que le
Turc craignetant quele Grand Czar
de Mofcovie , car il peut mettre. de
grandes armées fur pied, & entrer
aifément dans les terres du Grand
Seigneur ; mais ce qui luy donneroit
l'avantage fur tous les autres , c'cft
qu'il n'y a aucun Monarque de la
R-ligion Greque que luy , & fans
doute que les Grecs feroient ravis de
paffer fous fa domination,& qu'ils fe
declareroient en fa faveur, quand ils
le verroient entrer dans la Turquie
avec une puiffante armée. Auffi ay-
je oüi dire à quelques Grecs,entr'au-
tres au fieur Manno. Mannea mar-
chand de la ville d'Arta,homme d'e-
fprit & d'étude pour le pays ; qu'il y
avoit une Prophetie parmi eux , qui
portoit que l'Empire du Turc devoit
être détruit par une Nation Chr»foge-
nos, c'eft-à-dire blonde , ce qui ne
peut s'attribuer qu'aux Mofcovites
qui font prefque tous blonds.
Mais avant que de quitter ce pays-
là , il faut vous dire quelques parti-
cularitez des Villes voifines des fept
Eglifes.
^ — οὖν des {ρὲ Eglifes. 357
HIERAPOLIS eft une Ville en-
tierement deferte , & les Turcs ap-
pellent fes ruines Barrhouk-kale,c’eft-
à dire Tour de coton , à caufe des ro-
chers blancs qui font aux environs.
Elle cft au pied d'une haute colline,
qui a au Midy une plaine de cinq
mille de largeur,& prefque vis-à-vis
de Laodicée. Le Lycus paffe entre
l'une & l'autre, mais plus proche de
Hierapolis. On y voit une fi grande
quantité de ruines de Temples an-
ciens,& tant de belles fources d'eaux
minerales propres à guerir des mala-
dies , qu'il ne faut pas s'étonner que
les Anciens luy ayent donné le nom
| de Hierapolis, c'cft-à-dire V7//e Sain-
| 16. On y remarque entrautres un
fort beau bain de marbre blanc enri-
chi tout autour de colonnes qui font
tombées dedans. Delà l'eau fe diftri-
buë en divers canaux , & fe répan-
dant quelquefois hors des bords,for-
me une croüte de terre blancheitre,
dont la fuperficie reflemble à la cou-
leur de Topale. Ces eaux étoient
auffi renommées pour les teintures,
& l'on y trouve encore une infcri-
HIERA-
POLIS.
MILET.
1.39 Voyage du Levant,
prion Greque dreffée par le Corps
des Teinturiers. Il y refte aufli un
grand Theatre de marbre à quarante
degrez , qui merite d’être confidere,
& dans le portail duquel fe lit une
infcription à Apollon furnommé Ar-
chesetes. ATINAAONI APXHTHTEI,
MILET n'a eu guere moins de re- j|
nom que la Ville d'Ephefe, & fa de- |
ftinée n'a pas été plus favorable dans
ces derniers fiecles. Car cen'eft plus
qu'un amas confus de belles mafu- 4
res, parmi lefquelles il y a quelques «
cabanes de Bergers. Palar/chia eft le |
nom qu'on luy donne prefentement, M
à caufe des ruines de Palais & de “
marbres qui s'y trouvent: Tous nos M
Geographes modernes fe font égarez
dans ce pays-là , ayant pris la Ville
de M:laffo , qui eft deux journées |
plus loin que Palatfchia , pour l'an- M
cien Milet, à caufe de la reffemblan-
ce du nom; au lieu que Melaffo,com-
me je montreray dás la fuite eft l’an- |
cienne Ville de Mylafa. Les Anelois
de Smyrne découvrirent que la Ville -
de Milet,ou Milefium étoit ce lieu de :
Palatfchia par une belle infcription 3
C des [ept Egliles. 359
qui s'y voit encore , où le mot de
IIOAIZ MIAHZIQON eft rcpeté
par cinq fois. La fituation s'y accor-
de, n'étant qu'à une joutnéc & demi
d'Éphefe , & proche du Meandre , à
quelques milles de la mer. Le Mean-
dre que les Turcs appellent encore,
comme jay déja remarqué Boiouc-
Mindre, ou grand Meandre , eft ce-
lebre dans l'Antiquité pour fes mer-
veilleux detours, qui imitent les Ler-
tres Greques, comme on le peut voir
dans le crayon que j'en ay donné.
C'eft une riviere fort étroite; qui n'a
guere plus de 15. braffes de large ;
mais en revanche elle eft fort pro-
| fonde , particulierement proche de
Milet , où elle a autant de fond que
de largeur. |
Milet étoit ia patrie de Thales un
des fept Sages dela Grece. C'eft luy
à qui ce nom de Sage fut premiere-
ment donné » & qui le meritoit bien,
puifqu'il fut le premier entre les
| Payens qui foûtint l'immortalité de
| lame , comme le remarque Suidas.
Les uns mettent cette Ville dans
l'Ionie, les autres dansla Carie;mais
ASKEM
KALESI
360 Voyige dn Levant,
fi le Meandre faifoit , comme on.
écrit, la divifion des deux Provinces,
il la faut reconnoitre avec Strabon
de l'Ionie.
ASKEMKALESI , ou autrement
le Chateau δ᾽ Askemeft une Ville rui- M
née & un Port de mer, une journée |
& demi plus loin que Miler. Mon- |
fieur Picrelin croyoit que ce für la |
Ville d'Halicarnalle fiege des anciens |
Roys de Carie ; mais fi nous en
croyons Pline, il faut que cette Ville M
füt encore plus loin, car il ne la met ἢ}
qu'à quinze milles de l’Ifle de Coos. ἢ
Ce qui luy avoit donné cette penfée M
eft la grande quantité de marbres & ὦ
anciens monumens qui s'y trouvent, M
avec plufieurs infcriptions. Il m'en ἢ
communiqua trois ou quatre, en l'u-
ne defquelles quoyque peu correcte, !
je trouvay que celuy pour qui éroit ἢ
dreffé l'Epitaphe étoit IAZEYS, c'cft- M
à-dire de la Ville de Jafis ou laffus; 4
ce qui me fit connoître que ces ma- |
fares éroient la Vilie d'Iafus. J'en M
trouvay enfuite la fituation confor- |
me à ce qu'en difent les anciens Gco-
graphes. Strabon dans la defcription |
de
- & des fept Eglifes. 361
de la Catie dit qu'Iaffus cft une Ville
dans une Ifle proche de terre-ferme,
On y voit encore l'enceinte des mu-
irailles, & un theatre de marbre où fe
lit une infcription Greque, qui nous
apprend qu'un certain Zopater fils
d'Epicrates l'avoit dedié à Bacchus,
comme étoit celuy d'Athenes. Les
habitans de cette Ville étoient autre-
ois fort adonnez à la pefche,comme
on le peut remarquer par une hifto-
riette que Strabon nous debite, Vn
joüeur d’inftrument mufical frifoit
un jour montre de fon addrefle dans
la Ville d'Iaffus. Tout le monde s'é-
oit aflemblé autour de luy pour l’é-
couter ; mais d'abord qu'on ouit le
lignal pour vendre le poiffon , ils fe
“etirerent rous,à la referve d'un feul,
qui étoit un peu fourd. Le joüeur
d'inftrument ne fcachant pas fon de-
faut luy fit un compliment, & le re-
mercia de ce qu'il luy faifoit l'hon-
aeu de l'écouter , & de ce qu'il efti-
moit plusla mufique que les autres
jui s'en étoient allez au premier
coup du fignal. Comment, répondit
"autre? je ne l’avois pas oui , & en
Q:
362 Voyage du Levant,
difant cela , il le quitta brufquement
pour fuivre les autres, 5
A quelques milles de là fe voyent
de belles ruines d'un fuperbe edifice,
que quelques-uns croyent étre du
Maufolée , fuppofant que ce lieu-là
eft l'ancienne Halicarnaffe. J'ajoüte
pour confirmation de ce que j'ay
avancé , que Strabon décrivant la
côte de la mer en venant du côté
d'Halicarnaffe pour aller à Smyrne,
met Iaffus, & enfuite Milet, qui n'en
eft en cffet éloigné que de quinze
milles, & qu'il parle aprés des Villes
qui font éloignées , coinme de celle
ui fuit.
MELASSO ν᾽ εἴ donc pas la Ville
de Milet, comme Ortelius, Ferrari &
tous les modernes l'affurent; ce qui
fe reconnoit , non feulement par ce
que j'ay dit de Palatíchia , mais auífi
par la conformité de ce que Strabon
rapporte de la Ville de 745/a4f2 avec
celle-cy. Auffi voyez-vous qu'cllea
gardé à peu pres le méme nom. Le
temple de Jupiter qui étoit à 6o.fta-
des de la Ville,s'y voit encore entier,
C’eft un petit edifice avec quatre co-
τος εν e
lez EvkePreTnNEM
TETONOTA
OE
"11
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SUELE τὸ τος
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ISP. 36 2. Ἢ:
#7».
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2e 7 PANTIN Ps
LTMAL CA NE FRERE à
n T 5 peu ee hs di m — —— δ...
Ld
2. Pau. 362, T. I.
e des fept Ealifes. 264
tonnes à la façade, dont vous verrez
icy le deffein qu'on m'a communi-
ué. L'autre qui eft plus vafe &
lus fuperbe eft dedié à Augufte,
comme il paroit par l'infcripuon de
a Frife. Mais ce qui eft de plus con-
ainquant pour montrer que Melaffo
eft la Ville de Mylafa , & non pas de
ilet , c'eft cette belle colonne que
l'ay fait graver erigée à l'honneur de
Menander fils d'Euthydemus,laquel-
es’y voit encore, Car Strabon par-
ant de cette Ville de Mylafa,dit que
cet Euthydemus étoit un de fes plus
lluftres Bourgeois, & qu'il avoit he-
ité de grandes richcffes de fes ancé-
res,& qu'il étoit fort confideré non
eulement dans fon pays , mais dans
oute l'Afie , où il fut honoré des
remicres Charges. Cependant un
'ertain Hybreas vint à fe pouffer
lans le monde.Son Pere neluy avoit
aiffé qu'un mulet pour gaigner fa
ie à chargcr du bois , ou l'employer
d'autres chofes encore plus viles.
"entretenant de cela il étudia à An-
ioche foûs Diotrephes tres-excel-
ent Orateur, Etant de retour à My-
2
364 Voyage “ Levant,
lafa fa patrie,il s’adonna au Barreau
& fe poutfa dans quelques Charges
publiques,ouù il s'avanga en fi peu dé
tems , qu'il fe rendit comme mañré
de la Ville da vivant méme d'Euthy4
demus qui étoit alors âgé. Mais Eu: |
thydemus étant dans la fleur de fog
âge avoit neantmoins eu plus d’aus
torité que n'en avoit alors Hybrea
& méme quoy qu'il y eût je ne {çais
quoy de tyrannique dans fa manieré
d'agir ; il ne laiffoit pas d'étre fort
refpecté ,' parce qu'il s'étoit rendu
vtile à fes Citoyens. Hybreas dit ug
jour dans une Harangue une parolg
hardie,mais fort à propos,& s'adrefg
fant à Euthydemus ; tu es, luy dit-il}
,un mal neceffaire à notre Ville, caf
nous ne pouvons vivre avec toy . δὲ
nous ne fçaurions vivre fans toy.
arriva enfuite que Labienus partifa
de Caffius, s'étant revolté contre le
Romains & rendu Chef des Parthes}
qui s'emparerent de l'Afie mineuré
Zenon de Laodicée & cét Hybreajf
ne le voulurent point reconnoitre jj
ayant animé leurs Villes contre lui
-Car ils étoient l'un & l’autre cres-hæ
Οὔ des fept Eelifes. — 36g
biles Orateurs , qui perfuadoient au
peuple tout ce qu'ils vouloient. Et
comme Labienus fe faifoit appeller
eneral des Parthes ; & moy , dit
ybreas, je veux qu'on m'appelle
General des Cariens : car Melaffo eft
dans la Carie. Enfuite Labienus s'en
étant approché avec des Troupes
omaines , il fe rendit maître de la
Ville, mais il ne put faifir Hybreas,
qui s'étoit déja fauvé à Rhodes. Sa
imaifon fut abandonnée au pillage,&
la Ville maltraitée. Mais aprés qu'il
eut quitté l'Afie mineure , Hybreas
retourna à Mylafa , & fe remit fur
pied avec la Ville.
| Pour ce qui eft d'Halicarnaffe , il
a long- tems qu'elle a été ruinée,&
l'on en voit encore de grans reftes en
un lieu inhabité appellé Bosdron,vis-
vis l Ille de (ὃς, qui n’eft point
ommée par les Grecs Stanchio , ni
Stingo, ni Lango; fi ce n'eft par nos
Mariniers,qui ont entendu parler les
Grecs, loríqu'ils veulent dire à Kos,
car ils difent Sx#-Go, le K aprés l’#,
fe pronongant comme un 7, & Stin
eft l'abregé de l'article εἰς z57,
Q3
Us
alie.
366 — Voyage du Levant, à
ginerent que c'étoient trois cœurs.
Ces trois Provinces qui fe tou-
chent,l’lonie,la Carie & laLydie sót
des pays tres-bons & tres-fertiles. ]
Les anciens difoient de la derniere, |
que les perdrix y avoiét deux cœurs. |
Le Docteur Picrelin me difoit que |
l'origine de cette fable venoit, de ce ]
que le pays étant extremement bon:
& fertile en grains , la perdrix , ὅσο
peut-étre plufieurs autres oyfeaux]
prenoient les oreilles du cœur fi grof-#
{es, qu'elles fembloient un autre |
cœur, & qu'il l'avoit fur tout remar- 7
vé aux pigeons. Il nous arriva ἀπο
chofe femblable comme nous étions
fur l'Archipel à nôtre retour des
Smyrne. Nos matelots prirent une
groffe tortué de mer qui pefoit bien]
prés de trentelivres. L'ayant even-]
trée,ils s'écrierent qu'elle avoit trois
cœurs. J'y accourus pour voir ce mi
racle , & je reconnus que c'étoit les
deux oreilles du cœur , qui étoient]
chacune sroffes comme la moitié du
cœur ; car comme ils virent qu'elles.
avoient aufli un batement, ils s'ima-
Nous aurions pó aifement nous]
e des fept Ealifes. 367
refoudre à aller voir quantité d'au-
tres Villes , qui ont autrefois été ce-
lebres dans ces quartiers-là, fi l'on
ne nous eüt reprefente le danger que
nous courions pour les voleurs, &
pour les avanies que les Turcs tà-
chent de faire aux Chrétiens , & le
plus fouvent pour de fauffes accuía-
tions. On nous aflura que depuis
quelques années un Conful Hollan-
dois fut affaffiné & volé auprés d'E-
phefe , & l'on nous apprit une fà-
cheufe intrigue arrivée depuis peu à
un Gentilhomme Frangois;qui alloit
de Smyrne à Alep avec la Caravane.
C'étoit un homme riche,qui ne vou-
lut pas fe faire connoître à Smyrne,
Il menoit fa femme avec luy,& quel-
|. ques domeftiques , & il arriva qu'un
à jour elle tomba de deffus le chameau
qui la portoit, Sur cela le valet de
ce Gentilhomme querella le Chame-
| lier , comme étant la caufe de cette
| chüte;& n'ayant pas bien accommo-
| dé fon chameau. Ils en vinrent à de
| groffes paroles , & des paroles aux
coups. En un mot le valet tua le
| Chamelier de nuit , & fe fanva fans
ῷ 4
E
368 — Voyage du Levant,
en rien dire à fon Maitre. Le lende-
main matin les Turcs & les Grecs
voyant le Chamelier mort allerent
fe plaindre au Cady du lieu le plus |
proche,& accuferent ce Gentilhom- |
me ; de maniere que le Cady voyant f
tant de témoins contre luy fe difpo-«
foit de le condamner à la mort. Il y!
avoit là un Convent de Capucins f
François,qui ayant fceu fon malheur ἢ
parlerent pour luy, Vidi plufieurs ἢ
follicitatiós ils firent refoudre leCady M
de luy fauver la vie moyennant mille 4
écus qu'il luy payeroit, Voicy com-
ment le Iuge s'y prit. L’aprefdinée,
lorfqu'on croyoit que l’Arreft alloit 3
être prononcé , il fit revenir toute la M
Caravanne devant luy,& recommen- 3
ca à les interroger fur l'affaire dont 3
il s'agiffoit. Voilà un homme mort,
leur dit-il ; qui eft-ce qui l'a tué?
C'eft ce Frangois , luy répondirent
tous ceux de la Caravane en luy in- 3
diquant le Gentilhomme. A quelle $
heure l'a-til tué, ajoütale Cady : IHM
l'a tué pendant la nuit, repliquerent- ἢ
ils, mais nous ne fcaurions bien dire ἢ
Vheure, Enfinle Cady leur deman- ἢ
e des fept Ecliles. 369
dant de quelle manicre,& avec quoy
il l'avoit tué , ils repartirent qu'ils
n'en fcavoient rien. Comment, ca-
naille , reprit le Cady d'un ton plus
fizr, vous venez accufer un homme
d'en avoir tué un autre fans fcavoir
ni quand , ni comment il l'a fait?
Vous n'étcs que de faux témoins , &
jc ne fçais à quoy il tient que je ne
vous falfe tous pendre à l'heure me-
m2. Si vous ne ime trouvez aujour-
d'hay vingt mille écus , à quoy je
vous condamne , vous ne partirez
point d'icy. Ainfi il trouva moyen
de tirer de l'argent de l'accufé & des
accufateurs, qui furent obligez de fe
cottifer, pour faire entr'eux cetre
fomme.Vn autre Frangois qui ne fai-
foic que d'arriver à Smyrne fut abor-
dé par un coquin de G:ec,qui le pria
inftamment de luy préter dix écus.
Le François qui ne le connoiffoit
point , dit abfolument qu'il ne poa-
voit pas;furquoy le Grec le quittanr,
luy dit qu'il pourroit bien s'en re-
pentir. Quelque tems aprés le Fran-
Qois étant parti pour aller par terre à
Conitantinople ; & ayant beaucoup
$
370 Voyage du Levant, |
foit en corrompant les Iuges > CE quil
avis, juge de la maniere qu'il luy
"" *
d'or fur foy , fut épié par deux ou
tois miferables que ce Grec avoit 4
apoftez, lefquels le dépoüillerent, le
menant enfuité garoté au premier
Village. Ils dirent que c'étoit un
Corfaire,& qu'ils l'avoient autrefois
vü fur un bâtiment faifant le métier ἢ
de Pyrate dans l'Archipel. Sur cét ἢ
expofé il fut mis dans un cachot , & 1
il eut bien de la peine à en fortir à 3
force d'argent , car il n'y a rien que
les Turcs ne foient capables de faire #
pour lintereft. Αὐ cft-ce une ma- T
niere de Proverbe dans tout le Le- 3
vant, que fi l'on prefente d'une main.
de l'argent à un Turcjil fouffrira que 2
de l'autre main on luy creveun œil. 4
Leur juftice e£ courte, comme
chacun fçait. Ccla eft bon en plu-#
ficurs rencontres, & abrege les pro--
cés que la chicane fomente. Mais:
d'ailleurs il s'y gliffe bien des abus,
LI
€ft facile; ou quelquefois par l'igno- 3
zancc & le fimple caprice d'un Cady,.
qui étant feul , & n'ayant perfonne]
dont il foit obligé de confulter les
= € des [epi Ealifes. 471
plait, & comme il trouve le plus d'a-
vantage,
Vn de nos amis revenu depuis peu
d'Alep nous racé:oit un plaifant Iu-
gement que le Cady y avoit rendu,
Vn Turc avoit vendu une de fes εἴς
claves à un de fes amis ; mais il ne
demeura pas long-tems à s'en repen-
tir, parce qu’elle étoit fort belle. Il
la zedemanda donc à celuy qui l'a-
voit achetée,& luy offrit de luy ren-
dre l'argent qu'il en avoit payé. Il
luy avoua qu'il ne pouvoit plus vi-
| vre fans elle, & le conjura de la luy
| rendre. Celui-cy témoigna qu'il ne
le pouvoit, qu'il ne l'avoit pas ache-
tce pour la revendre , & qu'abíolu-
| ment il la vouloit garder. L'autre
| voyant qu'il ne pouvoit pas l'obtenir
de cette maniere, eut fon recours au
Cady ἃ qui il propofa fon affaire. Le
Cady luy répond qu’il a tort de re-
| demander fon efclave ; & qu'il ne
peur pas obliger cel::y à qui il l'a
vendue à la luy rendre.Sur cela l'au-
tre Le preffe plus fort, & luy promet
quelque prefent s'il la luy fait obte-
nir. Hé bien, luy dit Le Cady, je le
372 Voyage du Levant,
veux bien ; pourvá que tu faffes tout
ce que je te diray , je te promets que
ton efclave te fera rendue. La partie
ayant été citée devant le Cady , ce- 4
lui-cy luy propofa de rendre l'efcla- ἢ
ve, en luy reftituant la méme fomme
qu'il en avoit donnée. L'acheteur
protefta qu'il ne vouloit point s'en.
defaire ; qu'ils en avoient paffé le |
contract enfemble, & qu'on ne pou- ἢ
voit le retra&ter. Alors le Cady fe ἢ
tournant du côté du demandeur,luy 4
dit de fe mettre à danfer,ce qu'il fic à
Pinftant, ayant promis d'obeir à tout
ce qu'il luy commanderoit. Puis s'a-
dreffant au defendeur; Et toy, luy
dit-il , danfe δι. Moy ! repliqua
l'autre, je n'en feray rien , je ne fuis
pas fou comme ]uy. Ha! ha! reprit 3
le Cady , puifque tu avoues qu'il cft |
fou, le marché ne doit pas tenir , & |
le contra& que tu as paff? avec luy
eft nul. Va luy rendre tout à l'heure A
fon eíclave pour l'argent qu'il te l’a 4
vendué;c'eft toy-méme qui t'es con- 4
damné, & il fallut que la chofc allàt. 3
de la forte. 1
- L'Ionie avoit douze Villes,qui te« -
p. de |
- & des fept Folifes. 173
noient leurs Affemblées dans un lieu. Ὁ
proche de Milet appellé Panienmum.
Smyrne y fur ajoütée , ἃς clle faifoit
la treiziéme. Ces Villes étoient
Epbefe,appellée mainten&t Ajzfalonf.
Milet , prefentement Palarfcka.
M uns, détruite depuis long-tems.
7 ebedor, qui n'eft plus rien.
Teos , Villagenommé δέ".
Colophon , ταίές.
Priene , qui ne paroit plus.
Phocée , appeliée maintenant Pal:
| Foja.
Erythre , le Village de Gefmeé.
Ciazomene Village de Fourla,ou Ke-
lif man.
Chios , . :
qui retiennent leur an-
Samos , |
in cien nom.
m»rne ,
Pendant tout le temps que nons
demeurámes à Smyrne , nous gardà-
mes deux Chameleons en vie. L'un
nous avoit été donné . & l'autre qui
étoit fort petit avoit été trouvé à la
campagne par Monfieur Vvheler. I's
tiennét beaucoup du Lezard,mais ils
marchent bien plus lentement,ayant
des jambes fort longues. Les ançiens
374 Voyage du Levant, |
Naturaliftes difent que cét animal -
vit de l'air, maison a remarqué qu'il
mange des mouches & d'autres infe-
étes, auffi a-t-il un eftomac ἃς un pe-
tit boyau, ce qui ne feroit pas necef-
faire , s'il ne vivoit que de l'air. Il
eft pourtant vray que quád onle m
de long-tems , on ne le void prefque
jamais manger,& quoyque je prefen-
taffe quelquelques mouches au plus
gros des nótres, j'avois de la peine à
les luy faire avaler.Mais cela n’ef pas
particulier à cét animal, car il en eft
de méme des Lezars & des Serpens
que jay và garder quatre ou cinq
mois dans des phioles fans rien man-
gcr. Ce que je trouve de plusremar-
quable en cette matiere, eft l'ob-
fervation que Monfieur du Four,
un des plus curieux de nôtre Vil-
le , m'a affuré d'avoir faite ; qui
eft , que bien que le Chameleon ne
mange pas , il ne laiffe pas de faire
beaucoup d'excremens. Je remar-
quay que les nótres dormoient 24.
heures de fuite fans fe remuer ; auffi
la faifon étoit alors affez froide.Leuz
langue avec laquelle ils dazdens les
. € des fept Ealifes. — 374
mouches cft longue & creufe au bout
en trompe d'Elephant , & le deffous
avance en fagon de cuilliere, enduit
d'un phlegme gluant qui tient les
mouches embarraffées, Pline & So-
lin difent qu'il a tot jours la bouche
ouverte , ce qui fe remarque neant-
moins tres-rarement. Ce qu'il a de
fingulicr fur tous les autres animaux;
cefont les yeux qu'il remué l’un d'un
coté, l'autre de l'autre, de forte qu'il
. peut regarder en haut & en bas en
méme temps, ou en tenir un fixe, &
remuer l’autre, Ils femblent deux pe-
tits jayets enchaffcz dans les paupie-
res , qui font percées d'un petit tron
rond pour leur donner du jour ; ce
qui faifoit nommer leur œil par Ter-
tullien Punélum Verticinans, un point
roulant de côté & d'autre , cét oil
n'étant en effet guere plus gros qu'u-
ne téte d'épingle. Mais pour ce qui
eft de fon changement de couleur ,
c'eft quelque chofe de fi furprenant,
que vous ne ferez pas fàché que je
vous en communique mes obferva-
tions. Ariftote, Pline, Solin & Plu-
tarque ont écrit qu'il prenoit toutes
376 Voyage du Levant,
les couleurs, fi ce n'cft le rouge & le
blanc , & ils nous veulent perfuader
que ce changement vient des objets
proche defquels il fe trouve, & dont
il emorunte la couleur. Cependant
jay remarqué auffi bien que d'autres
qu'il prend le blanc tres-facilement,
non pas à la verité un blanc degagé
de toutes les autres couleurs ; mais
αὐ toutes celles qu'il prend font
toüjours accompagnées de: quelques
nuances. Je ne voudrois pas auífi
nier abfolument , comme font quel-
ques-uns , qae les objets luy fervent
à prendre les couleurs. Il y a quel-
qé chofe de veritable, mais ce n' ft. |
as cela fzul aui la luy fait changer.
P ete dé can
Quand nous laiffitons les nôtres fur
une treille , ils devenoient peu à peu -
d'un bsau verd , qu'on avoit de la !
peine à d'ftinguer des feuilles, &
qandon les en ótoitjils le gardoient
encore quelques imomens. Lorfque
Monfieur Vvheler prit le perit à la
campagne , il étoit fur un arbriffeau,
& paroifloit tout verd : mais comme
il s'apperceut qu'on l'alloit prendre, |
il tomba en terze, & devint tout noir.
/
"e à
τ & des fept Eglifes. 177
Quand nous les mettions fur des éto-
fes noires, & qu'ils y demeuroient
lonz-tems;ils devenoient auffi noirs,
mais non pas tout d'un coup. Ien'ay
jamais remarqué que pour les mettre
fur du bleu , du rouge ou du violet, :
ils changeaffent de couleur, Pour
moy, je crois que leur changement
vient pour l'ordinaire de leurs paí-
fions » aidées peut-être quelquefois
du froid & du chaud. Car lorfqu'ils
étoient d’un beau verd, & qu'on les
vouloit prendre, ils fe retiroient, fif-
flans comme une vipere , & fe noir-
Ciffans. Le petit comme plus craintif
changeoit auffi plus promptement,
mais particulierement lorfque je l'é-
veillois. La couleur la plus ordinai-
re du gros étoit un vert grisátre avec
"cinq ou fix taches blanchätres &
rougeätres, à coté de l'épine du dos,
Mais ce fond fe changcoit fonvent
en noirátre , fans aucune apparence
de verd ni de taches, principalement
fi nous le laiffions aller au grand air
en un tems froid. Lorfque je le met-
tois (οὖς un bonnet blanc,ou rouge,
ou d'autre couleur , je l'en tirois in-
379 Voyage du Levant,
continent aprés tout blanc mélé d'o«
rangé & de jaune, & quelquefois fe-
mé de taches plus claires. Jene fga-
vois à quoy attribuer cela qu'à l'ef-
fort qu'il faifoit pour en fortir ; car
s'il dormoit , il ne changeoit point.
Je l'avois porté dans nôtre Vaifleau,
& je pris garde un jour qu'il grim- |
poit proche de la fenêtre de mon ca- ἢ
binet , & cherchoit à s'échaper par
quelque fente. Le Siroc qui eft un
vent chaud foufloit à travers,& je le
trouvay alors d'une couleur que je
ne l'avois jamais veu. Il étoit jauná«
tre,moucheté de grandes taches noi- #
res. Jel'ótay delà, & cette couleur 8
paífa prefque auffi-tót, devenant gri- M
sätre. Ic l'y remis deux ou trois fois, ὦ
mais il ne devenoit que jaune mélé ἡ
d'orangé , fans taches. Ie l'ay và:
quelquefois d'un gris noir,mouche- |
té comme un Leopard par tout le
corps de taches noires & jaunes, qui.
difparoiffoient dés qu'on le manioit, |
Il prenoit avffi queiquefois un beau |
verd enfoncé tacheté le long de l'é- ἡ
pine de cinq mouchetures blanches |
larges comme un denier, Vn foir je
ὁ defipEdits 379
letrouvay d'un verd clair moucheté
de jaune & de noir ; mais ce fonds
devenoit gris noir , & fe confondoit
avec les taches en l'irritant. Le pe-
tit venant à mourir étoit jaune pale
fans mouchetures, & je le garde en-
core comme cela. C'eft auffi ce que
dit Pline : Defuntlo pallor eff. Enfin
ccít une chofe merveilleufe que cet-
te grande variation de couleurs ; ce
qui me fait étonner de ce qu'a dit le
Ígavant Monfieur Gaffendy dans la
À vie de Monfieur de Peirefc. Car il
À allure que le Chameleon ne change
] qu'en devenant un peu plus brun,
| lorfqu'il cft mis au Soleil. Ne feroit-
| ce point qu'en nos quartiers il ne fait
À pas fi bien remarquer fes change-
A mens. Cela me fait fouvenir que
] deux Capucins pafferent à Lyon il y
| a quelques années, portant un Cha-
mcleon à Paris, pour le prefenter au
Roy. Plufieurs perfonnes le virent,
& affurerent que ce changement de
couleurs étoit une fable. Ie l'obfer-
vay moi-méme plus d'une heure fans
y rien remarquer. Mais pour ceux
que nous avions à Smyrne , les cou-
\
380 Wayage du Levant,
leuts étoient fi differéres qu'ils fem-
bloient tout-à-fait d'autres animaux,
fion ne leur eut và la méme figure,
& qu'on ne les eut pas quitté de γᾶς,
Monfieur Vvheler remarqua auffi
bien que moy ces changemens mer-
veilleux , de méme que plufeurs de
ceux qui étoient avec nous dans le -
Vaiffeau. J'eus bien du regret du
gros qu'on me laiffa échaper, ayant ἢ
laifféla fenêtre de mon cabinet ou-
Verte ; car je n'en eus depuis aucune
nouvelle. Cét animal craint extre- !
mement le froid, & M. du Four en |
ayant fait venir cinq ou fix d'Egy- !
pte; ils fe trouverent en chemin pen-
dant l'hyver de l'année derniere, qui
fut fort rude. Ces pauvres animaux
qui étoient dans une caiffe de fon,
s'étoient tellement repliez en forme |
de peloton , les jambes en croix , &
la queue noüée autour du col pour
fe garentir du froid en fe concen- 4
trant de cette maniere , qu'i] les re-
ceut tous morts en cette trifte po-
fture. ;
Nous refolumes nôtre embarque-
ment {ur des Vaiffeaux Anglois, qui
e des fept Falifes. 381
s’en rctournolent , & devoient τοῦς
cher à Zante , où nous étions bien
aifes de nous rendre, pour aller de là
à Athenes. Il y avoit deux Vaiffeaux
marchands , l'un nommé la Ville de
"Londres, & l’autre l'Oin-David;
avec deux Vaifleaux de guerre , le
Dragon, & le Darthmouth , fur le-
quel le Capitaine Iean Tempel nous
receut avec beaucoup dé civilité.
C'eftune Fregate de trente pieces de
canon, avec laquelle il a fait dans
cette derniere guerre neuf ou dix pri-
fes fur les Hollandois. C'eft un Ca-
pitaine reconnu pour ures-brave, ὃς
hardi comme un Lion. Il mouroit
d'envie de rencontrer ceux de Tripo-
li;avec qui les Anglois avoient alors
la guetre,& il nous promettoit ἃ cha-
cun un efclave , comme s’il les eut
déja eus en fon pouvoir ; mais nous
ne fouhaitions point une pareille
. rencontre. Ces Coríaires de Tripoli
font les plus méchans de tous les
Corfaires de Barbarie. Les Anoclois
n'ont pas laiffé de les mettreà Ted
- fon, leur ayant brülé cinq Vaifleaux
jufques dans leur Port ayec des Cha:
382 Voyage du Levant ,
loupes, qui fe moquoient de la gréle |
de leurs moufquetades. Il les ont en-
fin obligez de faire la paix avec eux,
& de leur payer la valeur de quatre-
vingt mille écus , en efclaves , mar- |
chandifes , ou argent. Pour recon- -
noître la civilité des Chevaliers de :
Malthe , qui avoient bien receu les |
Vaifleaux Anglois , & leur avoient
SE
donné des provifions,ils racheterent -
un Chevalier,& quatre cens efclaves
Malthois pour la fomme de vingt-
cinq mille écus , qui fut rabatue fur
ce qu'ils avoient promis, Il futcou- .
ché dans les articles de Paix qu'on.
ne vifiteroit point leurs Vaifleaux,&
qu'ils pourroient porter telles mar-
chandifes qu'ils voudroient,& méme
appartenantes à des marchands d'au-
tre Nation. Car c'étoit là le princi-
pal fujet de leur querelle, ceux de
Tripoli croyant avoir droit de con- ἡ
fifquer ce qui n'appartenoit pas aux |
Anglois , quoyque foûs leur bannie- «
re. C’eft le Chevalier Narbrouc qui
conduifit fi bien cette guerre , & qui |
la finit avec honneur avant la fin de
année 1675. C'eft le méme qui fui
— @ des fept Eglifes. 383
il y a quelques années par ordre de
fa Majefté Britannique au Détroit de
Magellan pour en découvrir toute la
firuation & les paffages. Il en rap-
porta une relation fort exacte.
Le 28.Novembrenous fifmes voi-
le avant le jour avec bon vent pour
fortir du golfe de Smyrne. Nous
f laiffames environ à quinze milles fur
nôtre gauche le Village de Pourla,8c
cinq milles plus loin celuy de Ke/;f-
À man fur une pointe vis-à-vis de quel-
} ques Ifles, & de l’écueil de Ca/abea-
À roun. Les deux jours fuivans nous ne
ffifmes que changer de bord entre
Chio & Pfara,ayant le vent contrai-
re au Sud-ouücft. Mais le premier de
Decembre nous doublàmes ces deux
| Iles, portant la proüe vers Negre-
{ pont,dont nous approchàmes. Le
lendemain nous fümes rcjettez prés
de Pfara avec une tourmente qui du-
ra deux jours,& finit par des tonner-
res , des éclairs & des tourbillons,
qui mettoient tous nos Marelots en
À defordre, Nous roulämes encore
quatre ou cinq jours-là autour avec
vent contraire jufqu’au 9.Decembre,
384 Voyage du Levant,
que Ie vent s'étant mis au Nordoüeft
nous nous trouvàmes prefts à palier
entre Negrepont & Andros ; mais la
nuit nous ayant furpris , & le vent
s’érant renforcé , nous n'osámes pas
nous engager entre ces deux Ifles ,4
qui ne font éloignées que de cinq ou
fix milles l’une de l’autre. Le lende-
main matin nous nous trouvâmes.
proche de Tiné & de Mycóné , mais.
comme nous voulions pafler entre!
ces deux Ifles , la bonace nous arréta
tout court , & la nuit une furieufe
Tramontane s'étant levée nous ren-
versámes le bord , pour ne nous pas.
engager entre ces deux Ifles;tefiftant |
au vent le mieux qu'il nous futpoffi-
ble. La tourmente des nuits pre-!
cedentes nous avoit beaucoup tra-.
vaillez , mais celle-cy fut terrible,
& nos Matelots en furent épouvan-
tez, Sur le minuit le vent s'augmen-
ta fi fort , qu'il dechira le voile de
Trinquet que nous portions fcul.
Pendant plus d'un quart-d'heure il
fut impoffible d'en mettre aucun , &
les autres Vaiffeaux furent auffi mal- |
ttaitez. Les vagues couvroient fou-#
vent
C des fept Eclifes. — 385
vent le nótre, & j'avois beau fermer
la fenêtre de ma chambre , j'enten-
dois à tous momens entrer des ravi-
nes d'eau , qui me fembloient étre
autant d'avertiffemens que nous
étions prés de faire naufrage. Les
cofres , les armoires & les canons
ébranlez pas les coups de mer fai-
foient un furieux bruit, & vous pou-
[vez juger dans quel embarras nous
fümes toute la nuit, Notre Vaiffeau
comme le plus petit & le moins char-
σέ, étoit le plus fecoüé de tous , &
nous croyions à toute heure le voir
renverfé. Le matin nous étions ἃ
5o.milles de Tiné proche de l'ifle
Icaria, fans apparence que le vent fe
voulüt appaifer de tout le jour. Cet-
[te Ifle n’a point de Port, comme ont
remarqué les anciens Geographes.
Le naufrage d'Icarus fils de Dedale
luy a donné fon nom, & à la mer
d'alentour celuy de mer Icarienne.
Tout cela ne nous étoit point de bon
augure , non plus qu'un de nos
Vaiffeaux que nous n'appercevions
plus. C'étoitl'Oin-David, qui étant
le moins fort de tous, nous fit crain-
R
336 Voyage du Levant,
dre qu'il n’eût été enfoncé , ou qu'il
n’eût échoüé contre les Ifles de Tiné
ou de Micone. Nous allâmes tout ce
jour-là vent en poupe;quoy qu'il füt
terrible , & malgré les vagues auffi
hautes que la poupe duVaiffeau nous
avangames environ cent milles. Sur
le foir nous vîimes à nôtre droite
l'Ile de Srampalia , & la nuit avec
une feule voile nous avangames juf-
qu'à Scarpanto. C'eft une Ifle d'en-
viron fo. milles de tour , pleine de
montagnes aflez fertiles. Ainfi avec
laide de Dieu nous échapimes de
cette tempête , avec une ferme refo-
lution de ne nous plus fier à la mer,
fi nous pouvions gaigner la terre.
Mais les fermens de ceux qui voya-
gent fur la mer , ne font gueres plus
forts que ceux des Amans, & le dan- |
ger paffé on ne s'en fouvient plus.
Nous nous confolàmes de ne pas
voir Rhodes qui étoit à nótre gau-
che , parce qu'on nous dit qu'on ne
laiffoit pas entrer les Etrangers dans
la Ville. Lors méme que Monfieur
l'Ambaffadeur de France y alla,on le
lailfa bien entrer, mais on ne voulut
>
e des fept Eglifes. 387
pas le laiffer fortir de fa maifon ju(-
qu'à fon depart , parce qu'il n'avoit
pas un Paffeport du grand Vizir,fans
quoy un Etranger ne fçauroit voir
Rhodes. On dit méme que c’eft
maintenant tres-peu de chofe,& que
les Turcs, qui ne raccommodent
prefque jamais rien , en feroient bien
plus facilement chaflez,que n'en fu-
rent les Chevaliers,
Nos trois Vaiffeaux tinrent Con-
feil,& refolurent ἃ caufe de ces mau-
vais tems de s'éloigner des Ifles , &
de paffer au Sud de Candie ; ce qui
étant executé, nous fit encore rouler
fur ces mers dix-huit ou vingt jours
avant que que de pouvoir arriver à
Zante. Il nous eut été incommode
de demeurer plus long-tems en che-
min, car nôtre Vaiffeau commençoic
à manquer d'eau , & en avoit em-
prunté quelques tonneaux du Dra«
gon.
388
ἘΞ ΞΘ ΕΣ
IAS COPIE
DES CABINETS
ET PALAIS DE ROME,
Et des pieces les plus curieufes quon
J remarque , © quon ma pas
voulu inferer dans le difcours
fuivi de cette Relation.
ΤΣ &E Jardin 4idebrandim , ἃ
P Monte - Magnanopoli a des.
Starues , des Bas-reliefs , les
portraits de Bartole & de Baldus de |
la main de Rafael , une Baccanale ; :
une Notre-Dame , une Iudith & un
S.Icrôme du Titian : une Pfyche du «
Carrache , & d’autres excellens ta-
bleaux de Leonard Avinci , de lules
Romain & d'Albert Durer: avec une
peinture antique à frefque d'une
Noce., qui eft le plus beau morceau
qui nous refte des anciens Peintres
du tems du Paganifme. On en trou-
Liffe des Cabinets & Palam. 389
e des copies dans une taille douce
ravée à Rome,
Le Palais du Duc d’A/semps pro
che la Place Navonne, a quantité de
atues & de buftes, un beau triomfe
e Bacchus de marbre fin , avec plu-
ieurs manufcrits.
Le Palais de la Marquife Angeleli
des Reliques & plufieurs antiqui-
tez Chrètiennes , imprimées dans le
ivre intitulé Roma fabterranea , des
eintures de Guido Reni & une Re
furrection d'Annibal Carrache.
Le Palais d'Aquafparta, proche de
l'Hópital S.Efprit , renferme quel-
ques buftes ὃς inícriptions anti-
ques.
Le Cardinal Azzoini poffede des
tableaux de Lanfranc & d’autres
modernes qui font en reputation.
Le Palais de l'Zmba[fadeur de Mal-
the au Cours, a neuf ou dix ftatues
dans la baffe- Cour ; fçavoir Iupiter,
Apollon, Hadrian,Antonin,&c.
Le Cardinal Bonelli a une belle
Bibliotheque laiffée par le Cardinal
Alexandre neveu de Pie V. oùil y a
des Livres de Theologie & des Ma-
R 3
390 — Liff des Cabinets,
nufcrits , entr'autres un Virgile écrit
dés le huitiéme fiecle,-
. Le Signor Iean-Pierre Bellori An-
tiquaire du Pape ἃ ramaffé un Cabi.
net ttes-curieux de quantité de bi-
joux antiques, comme lampes , peti-
tes ftatuës , infcriptions , urnes 9 la-
crymatoires & quelques tableaux
' fins. Il loge proche de S.Iofeph, au 7|
mont de la Trinité, |
Le Palais Borghefe a une Cour δέ
des Corridots foutenus de colonnes
antiques , quelques ftatués, & en-
trautres une fort grande & fort
belle de la Deeffe Flora: & dans les
appartemens une infinité d'excellens
tableaux & de meubles tres-riches.
L'Abbé Zracbeft , à Sainte Marie
Maior ,a des tableaux, des buftes &
de tres-belles medailles , & particu-
lierement une des plus belles fuites
de grand bronze qui fe puiffe voir. —
Le Palais Chig; , àla Lungara, à
une voûte où eft reprefenté le Ban-
quet des Dieux, & des autres appar-
temens peints à frefque par Rafael,
& il ne fe paffe point de jour qu'on
n'y voye une foule de jeunes Pcin-
e Palas de Rome. 391
trés, qui s'exercent à deffigner aprés
ces beaux orfginaux.
Le Palais du Cardinal Chigi à San
ti Apoftoli, a neuf ou dix chambres
ornées de ftatués antiques,entre lef-
quelles font un Apollon qui écor-
che le Satyre Marfyas , une Matrone
Romaine affife,quelques Venus tres-
belles , & quatre. Athletes trouvez
depuis quelques années. Ils font
tous une pofture femblable ; mais il
y en a un cinquiéme expirant de fa
bleffure, qui eft un chef-d'œuvre de
Sculpture, On y void outre cela une
Notre-Dame de Guido R eni , quel-
ques tableaux de Rafacl , & d'autres
Peintres renommez.
Le Palais du méme Cardinal, à la
Strada de Sainte Marie Major, eft un
beau recueil de produ&ions rares de
la nature, de lampes, d’urnes,de pe-
tites ftatucs, & d'autres bronzes an-
tiques.
Le Palais du Marquis Corfini, à
Piazza Fiammetta.eft enrichi de fta-
tués , de peintures excellentes & de
Livres curieux.
Le Chevalier Corvino , à la Lune
R 4
392 Lifie des Cabinets,
gara , a été curieux de deffigner les
differens infe&es qui naiffent de cha-
que plante. Il a outre cela quelques
autres curiofitez, comme des urnes,
des lacrymatoires & des plantes. Il
nous fit voir une Salamandre qu'il a |
gardée long-tems en vie , & qui eft
une efpece de petit lezard. Il nous
dit qu'il a plufieurs fois fait l'expe-
rience de ce qu'on dit qu'elle ne
craint point le feu , & qu'elle fe.
nourrit dans les flàmes,& que la ve
tité eft que lor(qu'il mettoit cét ani-
mal dans le feu, il jettoit autour de
luy une bave qui l'éteint & qui l'em-
pêche de fe brüler, pourvà qu'on ne
l'y laiffe pas trop long-tems , car le |
feu confumant à la fin cette bave, &
n'en pouvant plus jetter,il auroit été
brûlé comme un autre animal.
Euftachio Divini eft celebre pour
les Telefcopes, Microfcopes, Engyf-
copes , & autres Lunettes qu'il tra- .
wailles (iia
Antonio de gli Effetti poffede une
étude de petites peintures, mignatu-
res, pierres precieufes ; & autres bi-
joux.
m
e Palais de Rome. . 393
Le Palais Ca/ezan proche du Cours
a fur l'efcalier une douzaine de fta-
ucs antiques , entre lefquelles la
lus curieufe à mon gré cft une Om-
ale vétué dela dépoüille de Lion,
que le bon Hercule effeminé par fes
fcharmes, avoit troqué contre fa que-
nouille & fon fufeau. |
Le Palais du Cardinal Nerli , à
S.Maria in Campitelli, a des bas re-
liefs & quelques ftatués , entr'autres
au bas de l'efcalier celle de M. Met-
tius Epaphroditus Grámairien Grec;
qui uent un volume à la main. Il en
avoit écrit trois mille felon le témoi -
gnage de Suidas , qui l'appelle fim-
plementEpaphroditus. Cela ne vous
doit pas furprendre : car le volume
n'étoit qu'un rouleau de parcheming
dont la groffeur n'eft pas definie. IL
vivoit depuis l'Empire de Neron juf-
qu'à celuy de Nerva, & eníeignoic
publiquement à Rome.
Le Palais de Santa Croce eft. em-
belli de quelques ftatucs & bas re-
liefs dans la baffe-cour. iius
Celuy du Cardinal Gabrielis de
méme à | Efcalier & àl1a Cour.
R $
. 394 — Life des Cabinets, —
Le Palais Colonna proche l'Eglife:
de Sancti Apoftoli eft meublé de ft:
tués, de buftes, de tableaux , & d’un:
beau lit de fculpture, porté par qua-
uc chevaux marins de bois doré, &
dans le jardin il y a des corniches & |
des chapiteaux antiques d'une gran--
deur demefurée qu'on pretend être:
du Palais de Neron, & de cette Tour
dont il regardoit brüler la Ville de
Rome en chantant l'incendie de |
Troye. Tous les Antiquaires ne |
tombent pas neanmoins d'accord que:
ce futlà ce Palais de Neron. |
L'Eghfe de S.Paul hors de la Ville:
a quantité d’infcriptions antiques.
Payennes & Chrétiennes parmi les:
marbres du pavé, mais la plüpart. | |
fort gátées,. ὃς feulement en pieces. |
Paul François Falconiers ἃ des ta
bleaux & des fleurs rares. |
Jofeph Felice s'applique aux Me--
dailles & aux gravures antiques ;que-
Tes Italiens appellent /mtagh. |
Pierre Gili àla Lungara,a un beau;
jardin d'Orangers & de Citroniers:
de toute forte, avec des fleurs etran=
geres & autres fort curieufes..
e Palas de Rome. 705
Monfignor Ginerri prés de Sainte
Marie Major, a un beau Cabinet de
medailles , entre lefquelles il y en à
une finguliere de bronze de celles.
qu'on appelle medaillons. Elle eft
de l'Empereur Alexädre Severe avec
l'Amfiteatre de Tite , & l'infcription
MVNIFICENTIA AVGufíti, C'eft
apparemment parce qu'il l'avoit fait
raccommoder : car Lampridius dit
que cét Empereur avoit redreffé plu-
fieurs ouvrages des Empereurs fes
predecetfeurs , & marque particulie-
rement l'amfiteatre dansunautre ena
droit : Lenonum, meretricum ei exo-
letorum veitigal in facrum aerarium in-
ferri vetuit, fed fumptibus publicis , ad:
inflaurationemy Circi, Theatri, Amphi-
| theatri & eÆrary defignavit, Yl à
aufi un Medaillon de Philippe avec
cette Infcriptió au revers EX OR A-
CVLO APOLLINIS & un Tem-
ple d'Apollon. Cette medaille auffé
bien que la precedente eft l'unique
qui foit au monde en fon cípece.
Le Palais {ufhnsani à |a Rotonda.
a une Salle pleine de ftatues ,oüil y
en. aune entz'autres.d'une Venus for»
396 Lifle des Cabinets,
tant du bain, dont le Chevalier Ber-
nin a extremement bien imité toutes.
les beautez , en ayant fait une fem-
blable qu'on void au mémelieu. Vn |
Ecce homo & une Notre-Dame du
Titian. S.Iean au defert de Guido.
Reni. Le Baptème de N.S. du Car-
rache & quelques pieces de Paul Ve--
ronefe.
Carlo "Zagnini Gentilhomme Ro-
main a fait un recueil furprenant de
toutes fortes d'armes anciennes &
modernes, de medailles.& de bron-
Zes antiques.
Le Palais du Cardinal de 7affi-
mis aux quatre Fontaines , cftun des
mieux fourni d’infcriptions de fta-
tués ὃς de buftes antiques , avec une
Bibliotheque & un Cabinet de me-
dailles tres-bien cho;fies. Ey ay và
un finge qui fentoit naturellement
le mufc, & qui parfumoit de cette ἡ
odeur la chambre où on le tenoit.
Le Palais de Fabrici Maffimis à
S.André , a un tres-bcav Coloífe de
Pyrrhus, deux büftes de Theophra- —
fte & dc Xenocrates de Chalcedois
ue, avec quelqu'autres ftatués..
& Palas de Rome. 397
Le Jardin de Medici à la Trinité
du Mont , des bas reliefs , des Ter-
mes , des infcriptions & des ftatus;
entre lefquelles eft cette belle Venus.
fi renommée.
Le Palais Barberin , autrement du.
Prince de Paleflrine , renferme une
quantité furprenante de belles fta-
tués & de buftes antiques : deux ou.
trois tableaux de Rafael , du Baffan
& du Pouffain. Vne voûte admira-
blement belle , peinte par Pietro da
Cortone. Vne Bibliotheque où il y ἃ.
plufieurs curiofitez & quelques ma-
nufcrits , & dans le jardin une cin-
quantaine d'infcriptions que le Car-
dinal Barberin a ramaflées, & qui ne
font point imprimées, ἢ y a un Li-
vre in folio , qui fait la defcription
de ce Palais, ὃς qui eft intitulé e Ædes
Barberine.
Le Pere Kirker au College Ro-
main, a fait un Cabinet de pieces de
Marhematique , Mechanique , Dio-
puique, Talifmans & Medailles.
Le Capitole renferrae quantité. de
belles chofes. Ees inícriptions des
Magiftrars & Confuls Romains 5 &
398 | Lifle des Cabinets,
de leurs triomfes.Les ftatués de Ma-
rius, de Ciceron , de Iules Cefar,.
d'Augufte , de Virgile & du Heros.
Aventinus. Celle de bronze de ce
jeune homme qui vint en diligence
à Rome porter la nouvelle du gain
d'une bataille ,, & qui s'arracha en-
fuite à fon aife une épine du pied,
qu'il n'avoit pas voulu ôter par Jes
chemins, pour ne pas perdre un mo-
ment, Les trois Furies, qui tiennent
les lambeaux ἃς le fouet à la main.
Vn bon homme qui conduit les Al-
lemans & les autres étrangers pour
voir les curiofitez de Rome, leur dit —
fort ferieufement quece font les trois.
graces , & penfa fe mettre en colere.
contre moy , qui difois que c'étoient- «
les trois furies ou les Eumenides, :
comme on les appelle auffi.Dans les :
baífe-cours on voit le beau Marc-
Aurele de bronze à cheval. Marfo-
rio, qui étoit une fort grande ftatué
du Tibre à demi couché. La téte
d'un Coloffe de Domitian , avec le
gros arteiil. Vn tombeau de mar-
bre qu'on attribue à faux à l'Émpe-
xeur Alexandre Severe & à fa mere
ὧδ Palas de Rome. 79%
Mamea , & dont le bas relief ne re—
prefente point non plus l’enlevement
des Sabines , comme l'infcription.
qu'on y a ajoütée le veut períuader.
La Columna roftrata de Duillius..
La Colonne milliaire, d’où l'on pre-
noit la diftance des lieux éloignez:
deRome. Les ftatués de Caftor ἃς.
Pollux. Les Trophées appellez vul-
gairement de Marius , que les Sça-
vans affurent étre ceux de Trajan,
des Adlocutions , des Chars de
triomphe , & des Sacrifices en bas:
reliefs fur l'efcalier ,. & quantité de:
: peintures du Chevalier Giofeppe.
Le Palais Lancelotti ,. u$ des Cos.
| fonari, a une Cour ornée de ftatués.
& de bas reliefs.
. Le Signor Luka fait negoce de
medailles antiques , & les netroye
tres- bien; |
Paul Afacarani poffede une gale-
| tie de ftatués & de tableaux.
Le Palais nouveau des Palg73: ou:
Altieri , au lefu, eft un des plus fu-
perbes de Rome. Il y a au bas de.
l'efcalier une ftatu? d'un Roy captif,.
qui fut trouvée il y a quatre ou cinq;
ans à la place Navonne..
4oo Liffe des Cabinets, — .—
. Le Palais Pamfile à la place Na-
vonne a des ftatués & des tableaux, |
'& une voute peinte à frefque par le
fameux Pietro da Cortone.
Raymond Pennalis a une Biblio-
theque & un Cabinet de toutes for-
tes d'Ambres. | à
Le Cardinal Carlo P10 , une Venus.
du Titian, une Europe de Paul Ve-
ronefe. Vne Sainte Helene du mê-
me, une Annonciation du Baffan , .
avec un beau jardin de toutes fortes
de Tulipes.
Le Chevalier del Po770,a entr'au-
tres les fept Sacremens du Pouffain;, .
des medailles & des livres de def- —
feins de pluficurs antiquitez de
Rome. 4
Le fieut Pierre Cherchemon? de Pa-
fis, tres-intelligent en medailles, en
fait commerce , de méme que d'au-
tres bijoux antiques.
Le Palais du Cardinal Raggi , a.
une Sainte Dorothée de Guido R eni,
la vertu de Paul Veronefe , & autres
pieces rares. .
Le Cardinal Rzffoni , des peintu-
res de Titian,de Tantoret & de Paul
e Palais de Rome. 401
Veronefe. Vne Bibliotheque four-
ie de livres de Droit & autres Sien-
ces.
Felice Rondanini a un beau recueil
e peintures, de camayeux,medailles
gravüres antiques.
Le fieur Pietro Roffs; Antiquaire
la place d'Efpagne vend des me-
ailles & autres pieces antiques.
Le Cardinal Fules Aofpigliof , ἃ
ine fuite de la Vierge en Egypte du
'ouffain , & autres pieces du méme.
Sainte Rofalve de Vandeik , & des
ayfages de Claude Lorrain.
Le Palais Saccherti , à S.Iean des
lorentins. Vne Venus du Titian,
Vne Nótre-Dame du méme. Vn en-
levement des Sabines de Pietro da
Cortone.
_ Le Palais du Duc Sziviat; , à la
Lungara , une Diane du Correge.
Vn Ganymede du Titian,
Le Palais Saznefi des peintures à
frefque de Lanfranc , des ftatués de
bronze, & camayeux antiques.
Le Palais du Marquis Spada des
atués , des bas reliefs , des inícri-
prions & des peintures,
\
y
4o2 Lifedes Cabinets,
LaReine de Suede une Bibliothe-
que où il y a nombre de manuícrits,
d'acathes , de bons tableaux, & une
étude de medailles antiques , & en-
tr'autres plus de 200.beaux medail- ἢ
lons Grecs & Latins. |
Le Princé de Sicovaro des peintu-
res excellentes & des deffeins rares.
Le Vatican a de tres-beaux jar-
dins, oà l'on void la grande pomme
de pin de bronze, qui étoit autrefois
fur la Moles Hadriani, appellée pre-
fentement Château S. Ange. Des
ftatucs admirables , & entr'autres
celles du Laocoon, d'Antinous,& ce
tronc d'un Hercule, qui étoit tant
eftimé par Michel-Ange. Les gale- - |
ries & les loges de Rafacl & Iules |
Romain. L'école d'Athenes. La“
Chapelle du Pape oü eft peint le
dernier Iugement par Michel-Ange,
des infcriptions , des jets d'eau , & |
une Bibliotheque de manufcrits ce-
lebre par tout le monde.
La Villa Borghefe eft remplie d'u 7
ne prodigieufe quantité de ftatués ἢ
antiques, & de modernes du Cheva-
lier Bernin, de buftes , d'urnes , de.
Q Palars de Rome. 403
bas reliefs, dont Le Palais eft prefque
tout revêtu en, dehors ; d'inícri-
prions, de tableaux , de belles allées
& de jets d’eau , dont on a la de-
fcription dans un livre exprés en
Latin.
La Villa Cefarini n'eft confidera-
ble que pour un grand nombre d'in-
Ícriptions antiques enchaffées dans
une muraille,
La Vigne Iufliniani , à la Porte del
Populo, n'a gueres moins de 300.in-
{criptions & autant de ftatués & bu-
ftes antiques , & quelques urnes de
marbre , gravées de bas reliefs tres»
excellens.
La Vigne Ludovifio a des marbres,
des infcriptions & des ftatués antis
ques , entre lefquelles on compte le
Gladiateur pour une des meilleures
de Rome. Il y aauffi un lit touten-
fichi de lapis, d'agathes & autres
pierres precieufes eftimé cinquante
mille écus , mais il eft prefentement
affez negligé & je ne penfe pas qu'il
Len valüt la moitie.
La Villa Mattbei eft riche en τας
bleaux , ftatues, buftes , obelifquess
404 Lifle des Cabinets;
& prés de 200.infcriptions antiques: |
Il y a un tres-beau tombeau, où font
gravées les Mufes avec un Hercule, 4
qui étoit furnommé quelquefois 444-
Jagetes; Le Palais Matthei dans la
Ville eft auffi tout orné de bas reliefs
antiques,
La Vigne Pamfile bâtie par Inno-
cent X. eft une des plus belles, pour
les allées , jets d'eaux , beaux meu-
bles , ftàtues & infcriptions anti-
ques.
La Vigne Perretti , ou Montalto,
renferme mille belles chofes. Les
ftatues de Quincius Cincinnatus, de
Germanicus , d'un Gladiateur de
pierre de touche. Vne Vierge de
GuidoReni. S.Iean de Pomeranci,
une Bibliotheque AS
eft peint à frefque par Balthafar à
Croce. Vne affomtien de la Magde-
laine par Lanfranc. Vn Chrift mort ἢ
de Raphaël. Les buftes de Neron, -#
de Pyrrhus, de Pefcennius Niger.
S.Frangois d'Annibal Carrache. Vn
Chrift mort du Paflignan : & dans
le petit Palais les buftes d'Antonin
nt le plat-fonds $
Pie , de Caracalla & de Geta. Les ἢ
€ Palas de Rome. ἀος
| fatues de Scipion , de Marius &
| d'Adonis. Bacchus & Ariane de.
| Guido Reni, & grand nombre d'in-
| fcriptions antiques dans les Tar-
dins.
Fin du premier Tome,
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